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NADINE BLANCHETTE-MARTIN, FRANCINE FERLAND, MATHIEU GOYETTE, JOËL TREMBLAY, JUSTINE MITCHELL, MAGALI DUFOUR, STÉPHANE TURCOTTE, SÉBASTIEN TCHOUBI /

Nadine Blanchette-Martin, M. Sc, agente de programmation, de planification et de recherche-chercheure, Service de recherche en dépendance, CIUSSS de la Capitale-Nationale et CISSS de Chaudière-Appalaches

Francine Ferland, Ph. D., Psychologue-chercheure, Service de recherche en dépendance, CIUSSS de la Capitale-Nationale et CISSS de Chaudière-Appalaches

Mathieu Goyette, Ph. D., professeur, Université du Québec à Montréal

Joël Tremblay, Ph. D., professeur, Université du Québec à Trois-Rivières

Justine Mitchell, D. Psy., psychologue, Service de recherche en dépendance, CIUSSS de la Capitale-Nationale et CISSS de Chaudière-Appalaches

Magali Dufour, Ph. D., professeure, Université du Québec à Montréal

Stéphane Turcotte, M. Sc., biostatisticien, CISSS de Chaudière-Appalaches

Sébastien Tchoubi, Ph. D., assistant de recherche, Service de recherche en dépendance, CIUSSS de la Capitale-Nationale et CISSS de Chaudière-Appalaches

 

Correspondance
Nadine Blanchette-Martin
2525, chemin de la Canardière
Québec, QC G1J 2G3
Téléphone : 418 663-5008, poste 24932
Courriel : nadine.blanchette-martin@ssss.gouv.qc.ca


Résumé

Les jeux vidéo font partie des loisirs d’une large proportion de la population. Toutefois, certaines personnes en développent un usage problématique. L’objectif de la présente étude est donc de comparer les motifs d’utilisation des jeux vidéo, les impacts vécus en raison de la participation de même que la présence d’indicateurs d’une utilisation problématique chez des personnes qui ont un usage problématique des jeux vidéo selon qu’elles habitent ou non avec un de leurs parents. Au total 155 personnes ayant une utilisation problématique des jeux vidéo ont été retenues parmi un échantillon de 534 personnes de 12 ans et plus utilisant Internet au moins quelques heures par semaine. Ces personnes ont été réparties en deux groupes selon leur statut d’habitation : vit avec un de ses parents (VAP) ou vit sans un de ses parents (VSP). Leur utilisation des jeux vidéo comme stratégie de régulation émotionnelle, les impacts négatifs de leur utilisation et les indicateurs associés à la présence d’une utilisation problématique des jeux vidéo ont été évalués. Les résultats soulignent peu de différences entre les deux groupes. La VAP semble être liée à davantage de temps à penser et à se préparer à jouer, à plus de colère et de frustration et à un plus grand impact du jeu sur les relations familiales. Elle est également liée à moins d’envahissement et à moins de dépassement du temps prévu pour jouer. Les personnes du groupe VAP sont également moins nombreuses à poursuivre le jeu lorsque des signes de fatigue sont présents et à penser que leurs proches croient qu’ils ont une utilisation problématique des jeux vidéo. La présence de peu de différences entre les deux groupes soulève la question de l’utilisation unique de l’âge dans l’orientation vers un service jeunesse ou adulte pour les personnes ayant une utilisation problématique des jeux vidéo. Des pistes d’intervention sont discutées selon le statut d’habitation avec ou sans un des parents.
Mots-clés : jeux vidéo, jeunes, adultes, vit avec parents

Abstract

Video games are part of the leisure activities of a large proportion of the population. However, some people develop a problematic use of them. The purpose of this study is to compare the video game habits and their impacts according to whether participants live with a parent or not. 155 people with problematic video game use were selected from a sample of 534 people aged 12 and over who use the Internet at least a few hours a week, and then categorized into two groups: those who live with a parent (VAP)and those who live without a parent (VSP). Their use of video games as an emotional regulation strategy, the negative impacts of their use, the perception of the use by their loved ones and the indicators associated with the presence of problematic video game use were evaluated. The results show few differences between the two groups. The VAP appears to be related to more time thinking and preparing to play, more anger and frustration, and greater impact of gaming on family relationships. It is also linked to less intrusiveness and less exceeding the time allotted for play. VAP participants are also less likely to continue playing when signs of fatigue are present, and less likely to think that their loved ones believe they have a problematic use of video games. The small differences found between the two groups raise the question of using the chronological age to determine the treatment to offer to the problematic gamers. Different intervention possibilities are discussed in order to consider living with a parent in their treatment.
Keywords: video game, gaming, youth, adolescent, adult, life with parents

¿Se distinguen las personas que tienen un uso problemático de los juegos videos según que tengan un modo de vida adulto o adolescente?

Resumen

Los juegos video forman parte de los entretenimientos de una gran parte de la población. Sin embargo, algunas personas desarrollan un uso problemático. El objetivo del presente estudio es el de comparar los motivos de uso de los juegos video, los impactos experimentados a causa de la participación en los mismos, así como la presencia de indicadores de un uso problemático entre las personas que presentan problemas en el uso de los juegos video según que vivan o no con uno de los progenitores. Se retuvieron en total 155 personas que presentan un uso problemático de los juegos video de una muestra de 534 personas de 12 años y más que utilizan internet por lo menos algunas horas por semana. Estas personas se repartieron en 2 grupos según sus condiciones de habitación, según que vivieran con uno de sus progenitores (VAP) o que vivieran sin ellos (VSP). Se evaluó su uso de los juegos video como estrategia emocional y se estudiaron los impactos negativos de su uso y los indicadores vinculados con la presencia de un uso problemático de los juegos video. Los resultados revelaron pocas diferencias entre los dos grupos. Quienes viven con sus padres parecen estar más inclinados a utilizar más tiempo para pensar y a prepararse para jugar, a sentir más cólera y frustración y a experimentar un mayor impacto del juego en sus relaciones familiares. Este grupo parece también estar menos sujeto a la invasión por el juego y a sobrepasar el tiempo previsto para jugar. Las personas que viven con sus padres (VAP) son asimismo menos numerosas en cuanto a proseguir con el juego cuando se presentan señales de cansancio y en pensar que sus allegados creen que su utilización de los juegos video es problemática. La presencia de escasas diferencias entre los dos grupos plantea la cuestión de la utilización de la edad como criterio único en la orientación hacia un servicio para jóvenes o para adultos en los casos de personas que presentan un uso problemático de los juegos video. Se analizan pistas de intervención según la condición de vivir o no con uno de los progenitores.
Palabras clave: juegos video, jóvenes, adultos, viven con progenitores


Introduction

L’omniprésence d’Internet dans les activités du quotidien influence différents aspects de nos vies. Au Québec, en 2022, 95 % des adultes et 98 % des jeunes âgés de 6 à 17 ans possèdent au moins un ordinateur, un téléphone intelligent, une tablette ou une console de jeux vidéo donnant accès à Internet (Académie de transformation numérique, 2022). L’utilisation des écrans, en excluant le temps passé pour le travail, les études ou les obligations, demeure associée à des bienfaits pour la plupart des jeunes et des adultes (Dufour et al., 2019a). Toutefois, certaines personnes présentent une utilisation problématique d’Internet qui les amène à vivre des conséquences importantes (Dufour et al., 2019a). Lorsqu’on s’intéresse plus particulièrement à la participation aux jeux vidéo, on retrouve des taux de prévalence très hétérogènes variant entre 0,2 % et 57,5 % pour les adultes et de 0,26 % à 38 % pour les adolescents et les adolescentes (Darvesh et al., 2020). Il est à noter que l’utilisation des jeux vidéo est actuellement la seule activité sur Internet qui fait l’objet d’un diagnostic à l’essai dans le DSM-5 (American Psychiatric Association [APA], 2013). Ce diagnostic, connu sous le nom de « Usage pathologique des jeux sur Internet » (UPJI), se caractérise par une utilisation persistante et répétée d’Internet pour pratiquer des jeux, souvent avec d’autres personnes, conduisant à une altération du fonctionnement ou à une détresse cliniquement significative (APA, 2013). Ainsi, le diagnostic tient compte des conséquences de l’usage et non de la durée d’utilisation des jeux vidéo.

Que l’utilisation des jeux vidéo rencontre ou non les critères diagnostiques de l’UPJI présents dans le DSM-5, une utilisation importante, en temps et en fréquence, de cette activité peut amener son lot de conséquences. Parmi les conséquences observées, les études rapportent notamment une moins bonne santé globale, davantage de détresse psychologique, une qualité réduite de sommeil, des insatisfactions dans différentes sphères de vie, des maux de cou, de la myopie, le syndrome de l’œil digital, davantage de risque cardiométabolique de même que des migraines (Biron et al., 2019 ; Montagni et al., 2016 ; World Health Organization, 2021). Plus spécifiquement chez les jeunes, l’utilisation problématique d’Internet (toutes activités confondues) est souvent liée à des symptômes dépressifs et anxieux, à des problèmes de sommeil et à des difficultés dans la sphère académique (Liu et al., 2022 ; Takahashi et al., 2018).

Même si l’utilisation des jeux vidéo est sans doute le type d’utilisation la plus étudiée à ce jour, très peu d’études ont brossé un portrait comparatif des impacts vécus par les jeunes et les adultes en raison de leur participation aux jeux vidéo. Seuls Griffiths et ses collègues (2004) ont réalisé ce type d’étude auprès de 452 adultes (20 à 70 ans) et 88 jeunes (12 à 19 ans) jouant à Everquest, un jeu en ligne de type Massively Multiplayer Online Role-Playing Game ou jeu de rôle multijoueur en ligne. Les résultats de cette étude indiquent que les jeunes (22,7 %) sont plus nombreux que les adultes (7,3 %) à sacrifier du temps de travail/étude pour jouer alors que les adultes (20,8 %) sont plus nombreux que les jeunes (12,5 %) à réduire leurs activités sociales auprès de leurs ami(es) leur famille ou leurs partenaires amoureux pour jouer aux jeux vidéo (Griffiths et al., 2004). De plus, autant d’adultes (18,5 %) que de jeunes (19,3 %) réduisent leur temps de sommeil pour jouer aux jeux vidéo. Par contre, les jeunes sont moins nombreux que les adultes à jouer avec des ami(es) (69,3 % vs 76,2 %). Les jeunes et les adultes de cette étude se distinguent également sur le nombre d’heures consacrées aux jeux vidéo : les jeunes jouent un peu plus d’heures par semaine que les adultes (26,3 heures/sem. vs. 24,7 heures/sem.) et sont plus nombreux à jouer plus de 50 heures par semaine (9,1 % vs. 2,5 %) (Griffiths et al., 2004).

Que ce soit dans les services cliniques ou encore dans les études, l’âge de la majorité est souvent le critère utilisé pour distinguer les adultes des jeunes. Cela dit, ce critère est-il le plus pertinent pour différencier les impacts de l’usage des jeux vidéo considérant que la transition entre l’adolescence et la vie adulte se réalise progressivement ? À ce propos, depuis un peu plus d’une dizaine d’années, des équipes de recherche s’intéressent à cette période de transition, car celle-ci comporte une période d’adaptation et se fait à un rythme différent pour chaque personne (Gillespie et Lei, 2021 ; Wood et al., 2018). Cette période de transition, aussi appelée « émergence à la vie adulte » débute souvent autour de 18 ans, moment où les jeunes cessent d’être sous la responsabilité légale de leurs parents, les relations amoureuses sont généralement en émergence et l’école secondaire ou les études postsecondaires prennent fin (Wood et al., 2018). Elle se démarque également par l’instabilité dans les relations amoureuses, le contexte professionnel et le logement, ce qui peut fragiliser le réseau social (Arnett et al., 2014). Au cours de cette période de transition, certaines personnes adultes émergentes ressemblent davantage aux adolescents ou adolescentes qu’aux adultes. Dans ces cas, elles ont moins d’obligations et de responsabilités, sont en exploration identitaire personnelle et professionnelle et plusieurs demeurent chez leurs parents avec qui elles partagent leur quotidien, les amenant ainsi à suivre les règles de fonctionnement familial (Wood et al., 2018). En fait, il s’agit d’une période marquée par une exploration identitaire globale impliquant le développement d’une plus grande autonomie dans le quotidien tout comme dans certaines grandes décisions de vie qui auront un impact dans le futur (Arnett et al., 2014).

Au Canada, en 2016, 34,7 % des personnes adultes âgées de 20 à 25 ans vivent avec au moins un de leurs parents (Statistique Canada, 2017), alors que cette proportion se situe à 9 % pour les adultes de 25 à 64 ans (Statistique Canada, 2019). Pour certains de ces adultes, il s’agit d’un retour au domicile familial expliqué par diverses raisons alors que les autres n’ont jamais quitté le domicile familial. Une étude de Sassler et de ses collègues (2008) menée auprès de personnes adultes émergentes effectuant un retour à la maison indique que plusieurs d’entre elles ne contribuent pas financièrement à la vie familiale ; les personnes qui le font ne contribuent pas à un niveau comparable à celui nécessaire pour vivre de façon autonome. Il en est de même pour les responsabilités domestiques puisque, comme l’indiquent Sassler et al. (2008), les parents reprennent généralement en grande partie leur rôle en ce domaine dès le retour de l’adulte émergent au domicile familial. On peut donc penser que les adolescents ou adolescentes, tout comme les adultes émergents habitant avec un de leurs parents bénéficient d’un soutien parental pouvant avoir le rôle de facteur de protection, limitant ainsi les impacts importants causés par l’utilisation problématique des jeux vidéo, entre autres, en ce qui a trait à la réponse aux besoins de base. Par ailleurs, la vie de famille pourrait également agir comme facteur de protection pour contrer un certain isolement social que peut occasionner l’UPJI (Anderson, 2016).

La documentation scientifique met en évidence les similitudes existant dans le mode de vie des personnes qui habitent chez un de leurs parents, que celles-ci soient adolescentes ou adultes. La présence des caractéristiques communes et les facteurs de protection associés à la vie avec les parents permettent de croire qu’il est pertinent de considérer le contexte de vie (avec ou sans les parents) pour mieux rendre compte des impacts de la participation aux jeux vidéo. L’objectif de la présente étude est donc de comparer les motifs d’utilisation des jeux vidéo, les impacts vécus en raison de la participation de même que la présence d’indicateurs d’une utilisation problématique chez des personnes qui ont un usage problématique des jeux vidéo selon qu’elles habitent ou non avec un de leurs parents.

Méthode

Participant·es

Les personnes ayant participé à l’étude ont été sélectionnées parmi l’ensemble des individus âgés de 12 ans et plus utilisant Internet au moins quelques heures par semaine (N = 534) qui ont participé au volet « Utilisation problématique d’Internet » inclus dans le projet de validation du questionnaire « ÉISD : Évaluation Intégrative Spécialisée en Dépendance » (Tremblay et al., 2017 ; Projet approuvé par le Comité d’éthique de la recherche du CISSS de Chaudière-Appalaches #MP‑23-2019-549 – ÉISD). Ces personnes ont été réparties en trois groupes représentatifs des niveaux d’intervention requis selon le degré de sévérité de leur dépendance (Feu Vert, Feu Jaune et Feu Rouge) à l’aide du Web-Addict, V 1.0 (Dufour et al., 2020). Dans le cadre du présent projet, les 155 personnes évaluées comme ayant une utilisation problématique des jeux vidéo ont été retenues. Ces personnes ont été réparties en deux groupes mutuellement exclusifs selon qu’elles habitaient chez un de leurs parents (VAP ; n = 56) ou qu’elles n’habitaient pas chez un de leurs parents (VSP ; n = 99).

Les Feu Rouge de la VAP ont en moyenne 16,3 ans (ÉT = 4,1) variant de 12 à 33 ans et 26,8 % sont des femmes (n = 15). L’âge des Feu Rouge de la VSP varie quant à lui de 18 à 64 ans (M = 33,4 ans ; ÉT = 10,2) et 45 sont des femmes (45,5 %). Les deux groupes se distinguent sur l’âge (U = 181,5 ; p < 0,001) de même que sur le nombre de femmes (χ2 (1, N = 155) = 5,25 ; p = 0,02). Les personnes des deux groupes ne se distinguent toutefois pas sur le nombre moyen d’heures qu’elles consacrent aux jeux vidéo à chaque semaine soit 24,6 heures/semaine (ÉT = 17,1) pour les Feu Rouge de la VAP et 25,2 heures/semaine (ÉT = 15,6) pour les Feu Rouge de la VSP.

Il est à noter que les analyses reposent sur une catégorisation binaire des genres puisque peu de personnes se sont identifiées comme des personnes non binaires ou « queers » dans le questionnaire (n = 7). De plus, afin de tenir compte de la différence statistique quant au nombre de femmes dans chaque groupe, la présence d’une différence entre les réponses des hommes et des femmes a été vérifiée pour les Feu Rouge du groupe VSP lorsqu’une différence entre les groupes était notée. Une seule différence significative concernant le genre a été trouvée pour ce groupe et celle-ci est présentée directement dans le texte. Le nombre de femmes présentes dans le groupe VAP est toutefois insuffisant (n = 15) pour vérifier la présence de différences entre les hommes et les femmes pour chacune des variables.

Procédure

Diverses stratégies de recrutement ont été utilisées tout au long du projet de validation du questionnaire « ÉISD : Évaluation Intégrative Spécialisée en Dépendance ». Bien que le recrutement ait eu lieu principalement au Québec, il n’y avait pas de restriction si des personnes intéressées à participer habitaient à l’extérieur de la province. Ainsi, pour assurer le recrutement, des publicités ont été diffusées sur les réseaux sociaux, auprès des intervenants et intervenantes œuvrant dans les organismes venant en aide aux personnes ayant un problème de dépendance, dans les écoles et dans les maisons des jeunes. Une stratégie de recrutement de type « boule de neige » demandant aux personnes participant à l’étude de diffuser la publicité auprès de leur entourage a aussi été utilisée. Des personnes ayant participé à d’autres projets de l’équipe et ayant donné leur accord pour être contactées afin de participer à de futurs travaux de recherche ont également été sollicitées. Le recrutement a été réalisé entre le 3 septembre 2020 et le 4 août 2022.

Les personnes recrutées via les publicités téléphonaient au numéro de téléphone inscrit sur les dépliants et un· membre de l’équipe de recherche leur expliquait le projet et répondait à leurs questions. Si la personne était toujours intéressée à participer, elle répondait à des questions de détection concernant son usage d’Internet (DÉBA-Internet ; Dufour et al., 2019b), ce qui permettait d’équilibrer le nombre de personnes dans les trois groupes recherchés pour la validation de l’ÉISD (Tremblay et al., 2017). Les personnes recrutées par l’intermédiaire des intervenants et intervenantes des milieux devaient signer un formulaire d’autorisation à être contactée qui était ensuite envoyé à l’équipe de recherche. Par la suite, un membre de l’équipe les contactait et la même procédure téléphonique était suivie.

Les entrevues, dont la durée variait de 1 h 30 à 3 h, ont été réalisées par des membres de l’équipe de recherche formés par les chercheur·et les chercheuses. Les entrevues débutaient par la lecture et la signature du formulaire de consentement et se poursuivaient par le questionnaire complet d’évaluation. Une fois la rencontre terminée, la personne recevait une liste de ressources d’aide au cas où l’entrevue suscitait des difficultés liées à l’UPI ou des difficultés émotionnelles/psychologiques. Une compensation financière de 75 $ en carte-cadeau était remise à la fin.

Les membres de l’équipe de recherche qui menaient les entrevues ont reçu en amont une formation de sept heures portant sur le protocole de recherche et sur les questions prévues. Les entrevues étaient enregistrées en format audionumérique à des fins de supervision. Elles étaient écoutées par deux cliniciennes expérimentées engagées par l’équipe qui avaient pour tâche de s’assurer de la qualité de la cotation de l’entrevue. En cas de désaccord entre la cotation des deux parties, une discussion clinique pour arriver à un consensus permettait d’établir la cotation finale. Des rencontres de supervision avaient également lieu avec les membres de l’équipe de recherche afin d’assurer la standardisation de la cotation.

Matériel

Afin de mener à bien ce projet, quatre questionnaires ont été utilisés soit : un questionnaire sociodémographique, le Web-Addict V. 1.0, la version expérimentale de l’ÉISD-UPI et le DÉBA-Internet.

Le questionnaire sociodémographique permet de brosser un portrait des participants et participantes. Il documente, entre autres, l’âge, le sexe à la naissance, le genre, l’occupation et le lieu d’habitation.

Web-Addict, V 1.0 (Dufour et al., 2020) est une entrevue diagnostique qui permet de déterminer la présence d’une UPI par type d’activités (jeux vidéo, réseaux sociaux, autres activités et télévision/séries) chez les personnes âgées de 12 ans et plus. L’entrevue permet de documenter les aspects positifs de l’usage, le degré de préoccupation/envahissement, la sévérité des « cravings », la capacité d’autocontrôle, les conséquences négatives ainsi que la perception de la problématique par la personne elle-même ainsi que par son entourage au cours des 12 derniers mois. Il est composé de questions ouvertes et de questions pouvant être répondues sur une échelle de type Likert variant de 0 à 10. Selon la question posée, 0 correspond à « Pas du tout » ou « Jamais » et 10 correspond à « Extrêmement » ou « Toujours ». Une grille de cotation de l’entrevue permet de déterminer la gravité de l’UPI selon quatre niveaux : 1) Vert : pas de comportements à risque, 2) Jaune : usage à risque sans éprouver de problème, 3) Orange : apparition de conséquences négatives et 4) Rouge : problème important. Dans le cadre de ce projet, les niveaux de sévérité Orange et Rouge ont été regroupés pour former le groupe « Feu rouge » utilisé pour les analyses.

La version expérimentale de l’ÉISD-UPI (Tremblay et al., 2017) permet notamment d’évaluer le nombre d’heures d’utilisation, les conséquences, les items de dépendance, les motifs d’usage et la perception du degré de difficultés causé par quatre types d’activités réalisées sur les écrans (jeux vidéo, réseaux sociaux, télévision/série, et autres activités). Tout comme le WEB-Addict V 1.0 (Dufour et al., 2020), il est composé de questions ouvertes et de questions pouvant être répondues sur une échelle de type Likert. Il est à noter que seules les informations concernant le nombre d’heures d’utilisation des jeux vidéo et le degré de difficulté perçu pour ces activités ont été utilisées pour les analyses actuelles.

Le DÉBA-Internet (Dufour et al., 2019b) se divise en deux sections et permet la détection d’une UPI chez les personnes âgées de 12 ans et plus. La section 1 permet de déterminer la fréquence d’utilisation d’Internet selon les différents types d’utilisation possible alors que la section 2 évalue le degré de dépendance (Feux Vert, Jaune ou Rouge). Pour ce projet, il a été utilisé uniquement lors du recrutement des participants et participantes afin de s’assurer d’avoir un nombre de personnes suffisant pour la validation de l’ÉISD-UPI. Aucune variable de ce questionnaire n’a été utilisée ici.

Variables dépendantes

Outre le nombre hebdomadaire d’heures d’utilisation des jeux vidéo qui est mesuré sur une échelle continue, l’ensemble des variables est évalué à l’aide d’une échelle de type Likert variant de 0 à 10. Selon la question posée 0 correspond à « Pas du tout » ou « Jamais » et 10 correspond à « Extrêmement » ou « Toujours ». Considérant les tableaux de fréquence et pour permettre de faire les analyses, différents regroupements de catégories de réponses ont été faits. Ceux-ci sont présentés au tableau 1. Ces variables catégorielles ont été réparties en trois catégories pour faciliter la présentation des résultats.

  1. Motifs d’utilisation des jeux vidéo. Les variables incluses dans cette catégorie ont toutes été évaluées à l’aide du Web-Addict V1.0 (Dufour et al., 2020). Elles permettent de quantifier la fréquence (jamais, quelques fois, plusieurs fois, souvent) à laquelle les participants et participantes ont utilisé les jeux vidéo comme stratégie de régulation émotionnelle pour gérer leur stress/anxiété, leur colère/frustration, leur fatigue/épuisement et leur tristesse au cours des 12 derniers mois.
  2. Impacts négatifs de l’utilisation des jeux vidéo. Les variables incluses dans cette catégorie ont toutes été évaluées à l’aide du Web-Addict V1.0 (Dufour et al., 2020). Elles permettent de quantifier dans quelle mesure la participation aux jeux vidéo a eu un impact négatif (pas du tout, un peu, moyen, beaucoup) sur l’état psychologique/émotions (humeur ou bien-être, stress/anxiété, colère/frustration, fatigue/épuisement), les relations (familiales, amoureuses, amitié), l’occupation (études, travail) et la santé physique (alimentation, sommeil, hygiène, santé physique générale) au cours des 12 derniers mois.
  3. Indicateurs associés à la présence d’une utilisation problématique des jeux vidéo. Seule la variable ciblant le degré de difficulté causé par les jeux vidéo a été évaluée à l’aide du ÉISD-UPI (Tremblay et al., 2017). Toutes les autres variables incluses dans cette catégorie ont été évaluées à l’aide du Web-Addict V1.0 (Dufour et al., 2020). L’ensemble de ces variables permettent de vérifier dans quelle mesure les indicateurs retenus permettent de distinguer les groupes. Les variables utilisant la fréquence d’occurrence (jamais/quelques fois, plusieurs fois, souvent) sont : la proportion de la semaine à penser aux jeux vidéo ou à s’y préparer, l’impression que retourner jouer apaiserait les émotions désagréables en périodes d’envie intense de jouer, la fréquence où les participants et participantes à l’étude ont joué plus longtemps que prévu/souhaité et la poursuite des activités de jeux vidéo en présence de signes de fatigue/épuisement. Les variables utilisant l’ampleur (pas du tout, un peu, moyen, beaucoup) sont : le degré d’envahissement des pensées ou du temps de préparation liés aux jeux vidéo, le degré de difficulté causé par les jeux vidéo et la perception des participants et participantes quant à l’estimation que font les membres de leur entourage d’une utilisation problématique des jeux vidéo de leur part (ami(es), partenaires amoureux, ami(es) et partenaires amoureux combinés).

Analyses

Les analyses faites sur la plupart des variables catégorielles utilisent deux types de choix de réponse à quatre niveaux soit de « Pas du tout » à « Beaucoup » ou de « Jamais » à « Souvent ». Cependant, considérant les tableaux de fréquence, des regroupements en trois niveaux ont été faits pour quelques variables.

Les analyses ont été réalisées à l’aide du logiciel SPSS version 29.0. Des analyses descriptives (fréquences et moyennes) ont été utilisées pour décrire les personnes participant à l’étude et le nombre d’heures par semaine où elles utilisent des jeux vidéo. Des tests de chi-carré ont été utilisés pour vérifier la présence de différences statistiquement significatives entre les groupes pour les variables catégorielles. Des tests U de Mann-Whitney ont été utilisés pour vérifier la présence de différences significatives entre les groupes pour les variables continues, car les distributions n’étaient pas normales.

Résultats

Les résultats sont présentés selon trois catégories : [1] motifs d’utilisation des jeux vidéo, [2] impacts négatifs de l’utilisation des jeux vidéo, et [3] indicateurs associés à la présence d’une utilisation problématique des jeux vidéo.

Motifs d’utilisation des jeux vidéo

La participation aux activités de jeux vidéo peut être utilisée pour gérer différentes émotions ressenties au cours d’une journée. Les résultats indiquent que, dans les deux groupes, les personnes ayant obtenu la cote Feu Rouge [désignées après sous le vocable Feu Rouge] sont nombreuses à avoir souvent utilisé les jeux vidéo pour se sentir mieux devant trois des quatre émotions ciblées.

En effet, 69,4 % des Feu Rouge du groupe VSP et 67,3 % des Feu Rouge du groupe VAP rapportent avoir souvent utilisé leurs activités de jeux vidéo pour gérer leur stress et leur anxiété. De plus, un peu plus du tiers des Feu Rouge VSP (35,7 %) et la moitié de celles la VAP (49,1 %) ont souvent utilisé ces activités pour se sentir mieux face à des émotions de colère ou de frustration et 39,8 % des VSP et 47,3 % des VAP ont utilisé leurs activités de jeux vidéo pour faire face à leurs émotions de tristesse. Il est à noter que peu de Feu Rouge des deux groupes ont utilisé les jeux vidéo pour se sentir mieux lors de moments de fatigue ou d’épuisement, VSP = 19,6 % ; VAP = 20,0 %.

Les résultats des tests de chi-carré ne montrent aucune différence significative dans les distributions de fréquences pour l’ensemble des variables. Le Tableau 1 présente l’ensemble des réponses des Feu Rouge selon les deux groupes.

 

Tableau 1 - Utilisation des jeux vidéo par les Feu Rouge des deux groupes dans le but de réguler le stress/l’anxiété, la colère/frustration, la fatigue/épuisement et la tristesse au cours des 12 derniers mois

 

Impacts négatifs vécus en raison de la participation aux jeux vidéo

Les Feu Rouge des deux groupes ont été interrogées sur l’ampleur des impacts négatifs qu’a pu avoir leur participation aux jeux vidéo sur leur état psychologique/émotion, leurs relations sociales, leur occupation/finances et leur santé physique. Les résultats concernant ces impacts sont présentés au Tableau 2.

Impacts négatifs de la participation aux jeux vidéo sur l’état psychologique et les émotions

Les aspects de l’état psychologique ciblés lors de l’entrevue sont l’humeur/bien-être, le stress/anxiété, la colère/frustration et la fatigue/épuisement. Les résultats indiquent que peu de Feu Rouge des deux groupes ont subi beaucoup d’impacts négatifs sur ces aspects. Seules les Feu Rouge VAP se démarquent significativement des Feu Rouge VSP pour la colère/frustration avec 38,2 % mentionnant avoir vécu beaucoup de colère/frustration contre 20,4 % des Feu Rouge VAP qui mentionnent la même chose, χ2 (3, N = 153) = 9,29 ; p = 0,03.

Impacts négatifs de la participation aux jeux vidéo sur les relations sociales
Les impacts de la participation aux jeux vidéo sur les relations avec les membres de la famille, les relations amoureuses ou intimes et les relations d’amitié ont été questionnés au cours de l’entrevue. Les résultats indiquent que les Feu Rouge VAP sont significativement plus nombreuses que les Feu Rouge VSP à avoir subi beaucoup de conséquences sur leurs relations familiales (VAP = 40,7 % ; VSP = 21,6 %), χ2 (2, N = 151) = 9,59 ; p = 0,008. Les Feu Rouge des deux groupes ne se distinguent toutefois pas significativement en ce qui a trait aux impacts sur leurs relations d’amitié et leurs relations amoureuses ou intimes. Dans les deux groupes, rares sont les personnes qui ont noté un impact sur ces types de relations.

Impacts négatifs de la participation aux jeux vidéo sur les études et le travail
Seules les personnes consacrant au moins une heure par semaine aux études et consacrant au moins une heure par semaine à un travail rémunéré ont été conservées pour les comparaisons sur ces type d’impact. Au total, 43 VSP (M = 24,6 heures/semaine ; ÉT = 16,5) et 47 VAP (M = 33,5 heures/semaine ; ÉT = 11,8) consacrent au moins une heure par semaine à des études alors que 65 VSP (M = 30,2 heures/semaine ; ÉT = 16,1) et 25 VAP (M = 19,3 heures/semaine ; ÉT = 13,3) consacrent au moins une heure par semaine à un travail rémunéré. Les résultats des tests de chi-carré effectués sur ces deux variables ne montrent aucune différence significative entre les Feu Rouge des deux groupes.

Impacts négatifs de la participation aux jeux vidéo sur la santé physique
Les impacts de la participation aux jeux vidéo sur cinq aspects de la santé physique ont été évalués lors de l’entrevue. Ceux-ci concernent l’alimentation, le sommeil, l’hygiène et la santé physique générale.

Les réponses des Feu Rouge des deux groupes indiquent la présence de beaucoup d’impacts négatifs sur leur sommeil (VAP = 53,7 % ; VSP = 51,0 %). Par ailleurs, ces personnes ont mentionné n’avoir subi aucun impact négatif tant sur leur hygiène (VAP = 63,0 % ; VSP = 53,6 %) que sur leur alimentation en raison de leur participation aux jeux vidéo (VAP = 46,3 % ; VSP = 35,1 %). Les réponses des Feu Rouge des deux groupes divergent toutefois concernant les impacts de la participation aux jeux vidéo sur la santé physique générale alors que 22,0 % des VAP et 43,9 % des VSP mentionnent avoir subi beaucoup d’impacts négatifs.

Les résultats des tests de chi-carré effectués sur les quatre variables ne montrent aucune différence significative entre les deux groupes.

 

Tableau 2a - Présence d’impacts négatifs sur l’état psychologique/émotions, les relations sociales, l’occupation et la santé physique pour les Feu Rouge des deux groupes

Tableau 2b -Présence d’impacts négatifs sur l’état psychologique/émotions, les relations sociales, l’occupation et la santé physique pour les Feu Rouge des deux groupes

Tableau 2c - Présence d’impacts négatifs sur l’état psychologique/émotions, les relations sociales, l’occupation et la santé physique pour les Feu Rouge des deux groupes

Indicateurs associés à la présence d’une utilisation problématique des jeux vidéo

Plus de la moitié des Feu Rouge des deux groupes indiquent penser jamais ou quelques fois par semaine à leurs activités de jeux vidéo ou encore à se préparer à celles-ci (VSP = 75,5 % ; VAP = 52,7 %). Par ailleurs, 14,3 % des Feu Rouge VSP indiquent que leurs activités de jeux vidéo et le temps pour s’y préparer sont très envahissants alors que 29,1 % des Feu Rouge VAP en disent autant. De surcroît, plus de la moitié des Feu Rouge des deux groupes indique avoir souvent eu l’impression que retourner jouer apaiserait leurs émotions ou leurs réactions négatives dans les moments d’envie intense de jouer (VSP = 57,7 % ; VAP = 61,8 %).

Sur le plan de la durée des activités de jeux vidéo, la majorité des Feu Rouge VSP (61,2 %) ont mentionné qu’il leur était souvent arrivé de jouer plus longtemps que ce qui était prévu ou souhaité et 48,0 % ont mentionné avoir souvent poursuivi leurs activités de jeux vidéo en présence de signes de fatigue ou d’épuisement. La plupart des Feu Rouge VAP indique quant à eux avoir souvent (47,3 %) joué plus longtemps que ce qui était prévu ou souhaité et les deux tiers ont mentionné avoir souvent (30,9 %) poursuivi leurs activités de jeux vidéo en présence de signes de fatigue ou d’épuisement.

Il est également à noter que 30,6 % des personnes VSP et 29,1 % des personnes VAP ont mentionné avoir beaucoup confiance de pouvoir arrêter ou diminuer leurs activités de jeux vidéo si elles le désiraient. Lorsque questionnées sur la présence de tentatives antérieures d’arrêt ou de diminution des activités de jeux vidéo, plus de la moitié des Feu Rouge des deux groupes (VSP = 55,7 % ; VAP = 51,8 %) ont mentionné avoir plusieurs fois ou souvent fait ce type d’essais.

Comme il peut être difficile d’identifier soi-même un problème d’utilisation des jeux vidéo, l’estimation que les ami(es) et les partenaires amoureux · peuvent faire de la participation à ces activités peut être un indicateur d’un problème. Ainsi, lorsque la perception des partenaires amoureux est combinée à celle des ami(es), les résultats indiquent que les Feu Rouge VSP sont significativement plus nombreuses que les Feu Rouge VAP à croire que les membres de leur entourage croient qu’elles ont beaucoup de problèmes avec leur utilisation des jeux vidéo, χ2 (3, N = 151) = 16,77 ; p < 0,001. Il est à noter que cette variable est la seule à présenter une différence significative entre les hommes et les femmes pour les Feu Rouge VSP, χ2 (3, N = 96) = 8,45 ; p = 0,04. Conséquemment, la différence observée entre les Feu Rouge des deux groupes pourrait être attribuable au genre.

Par ailleurs, lorsque chaque type de membres de l’entourage est pris individuellement, il est possible de noter que la moitié (50,8 %) des Feu Rouge VSP estiment que leurs partenaires amoureux croient qu’ils ont beaucoup de problèmes liés à leur utilisation des jeux vidéo, alors que ce sont plutôt 31,6 % des Feu Rouge VAP qui en disent autant. L’estimation du problème de jeu vidéo par les ami(es) se distribue quant à elle de manière équivalente entre les Feu Rouge des deux groupes. Les résultats des tests de chi-carré ne montrent aucune différence significative lorsque les types de membres de l’entourage sont pris de manière individuelle.

Finalement, près du tiers des Feu Rouge des deux groupes (VSP = 35,7 % ; VAP = 29,1 %) indiquent vivre beaucoup de difficultés en lien avec leur utilisation des jeux vidéo.

Les résultats des tests de chi-carré effectués pour comparer les groupes montrent une différence significative pour la proportion de la semaine à penser ou préparer ses activités de jeux vidéo (χ2 (2, N = 153) = 9,17 ; p = 0,01), la présence de séances de jeu plus longues que prévues ou désirées (χ2 (2, N = 153) = 10,32 ; p = 0,006) et la poursuite des activités de jeux vidéo en présence de signes de fatigue ou d’épuisement (χ2 (2, N = 153) = 6,88 ; p = 0,03). Aucune différence significative attribuable au genre n’a été trouvée pour ces variables pour les Feu Rouge VSP.

 

Tableau 3a - Présence d’indicateurs associés à une utilisation problématique des jeux vidéo  chez les Feu Rouge des deux groupes

Tableau 3b - Présence d’indicateurs associés à une utilisation problématique des jeux vidéo  chez les Feu Rouge des deux groupes

Discussion

L’objectif de la présente étude est de comparer les personnes ayant une utilisation problématique des jeux vidéo selon qu’elles habitent avec un de leurs parents ou qu’elles n’habitent pas avec un de leurs parents. Précisément, l’utilisation des jeux vidéo dans l’objectif de réguler leurs émotions, ainsi que la présence d’impacts et de certains indicateurs d’une utilisation problématique sont comparés afin de vérifier s’il y a une différence entre les deux groupes. Les résultats indiquent que les deux groupes ne se distinguent pas sur le nombre d’heures d’utilisation des jeux vidéo par semaine ni sur l’utilisation de ces activités pour gérer leur stress ou anxiété, leur colère/frustration, leur fatigue/leur épuisement ou encore leur tristesse. Une différence significative est toutefois observée sur deux types d’impacts associés à l’utilisation des jeux vidéo et sur quatre indicateurs d’une utilisation problématique des jeux vidéo. Concernant les impacts vécus, les Feu Rouge VAP sont significativement plus nombreuses à indiquer que leur participation aux jeux vidéo les amène souvent à vivre de la colère/frustration et à subir beaucoup d’impacts négatifs sur leurs relations familiales. Sur le plan des indicateurs associés à une utilisation problématique des jeux vidéo, les Feu Rouge VAP sont significativement plus nombreuses que les Feu Rouge VSP à souvent penser ou se préparer à jouer de même qu’à indiquer beaucoup d’envahissement de leurs pensées par les jeux vidéo. Ces personnes sont par ailleurs significativement moins nombreuses que les Feu Rouge VSP à jouer souvent plus longtemps que prévu et à poursuivre leurs activités de jeu en présence de signes de fatigue.

Finalement, les Feu Rouge VAP sont également plus nombreuses que les Feu Rouge VSP à estimer que leurs partenaires amoureux ou leurs ami(es) perçoivent beaucoup de problèmes avec leur utilisation des jeux vidéo.

Les présents résultats ne permettent pas de reproduire les différences observées par Griffiths et al. (2004) lors de la comparaison entre de jeunes joueurs et joueuses de jeux vidéo et de ceux et celles d’âge adultes. En effet, contrairement à l’équipe de Griffiths, les personnes ayant participéà cette étude ne se distinguent pas au plan des impacts occasionnés sur le temps consacré au travail ou aux études. Il est possible que l’absence de différence entre les groupes puisse s’expliquer par l’évaluation individuelle de ces deux types d’impacts. Griffiths et ses collègues (2004) avaient plutôt intégré le travail et les études dans une seule catégorie, faisant ainsi une évaluation plus globale des impacts sur le plan occupationnel. Estimés individuellement, les impacts négatifs sur le travail et les études rendent mieux compte de la réalité des jeunes et des adultes, et ce, bien que cela réduise le nombre de personnes par groupe. Il est également à noter que l’absence de différence entre les groupes de cette étude sur le plan des impacts sur le travail et les études ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’impacts sur ces aspects, mais plutôt que les personnes des deux groupes sont aussi nombreuses à subir des impacts.

L’étude de Griffths et al. (2004) souligne également une différence entre les adultes et les jeunes s et joueuses concernant la réduction du temps de sommeil en raison de la participation aux jeux vidéo. La présente étude s’intéresse également aux impacts sur le sommeil, mais tout comme pour le travail et les études, les résultats n’indiquent pas de différence entre les groupes sur cet impact. Encore une fois, l’absence de différence peut être attribuable au grand nombre de personnes des deux groupes qui ont mentionné avoir subi beaucoup d’impacts sur leur sommeil.

La divergence des résultats entre l’étude de Griffiths et ses collègues (2004) et l’étude actuelle pourrait être causée par plusieurs éléments. Une des différences importantes entre les deux études concerne les caractéristiques des participants et participantes. D’une part, l’étude de Griffiths et al. (2004) a été menée auprès de joueurs et de joueuses de jeux vidéo sans tenir compte de la présence ou l’absence d’une utilisation problématique des jeux vidéo alors que la présente étude a été menée auprès de personnes ayant une utilisation problématique des jeux vidéo. Ainsi, il est possible que l’absence de différence observée entre les groupes de la présente étude soit attribuable à une grande similarité entre ces derniers. Une autre différence importante pouvant expliquer la divergence des résultats entre les deux études repose sur les critères utilisés pour définir les groupes. Griffiths et ses collègues (2004) ont utilisé l’âge pour répartir les participants et participantes en deux groupes (jeunes ≤ 19 ans ; adultes ≥ 20 ans) alors que la présente étude a comparé les personnes habitant avec un de leurs parents (VAP) aux personnes n’habitant pas avec un de leurs parents (VSP), et ce, peu importe l’âge.

Selon nous, l’absence de différence entre les personnes VAP et VSP ne remet pas en cause l’utilisation de l’habitation avec un des parents comme distinction principale entre les personnes qui jouent aux jeux vidéo. Les différences observées entre les deux groupes quant aux impacts sur les relations familiales mettent en évidence l’importance des distinctions selon l’habitation avec ou non un des parents. En effet, davantage de conflits dans la famille révèlent que l’utilisation des jeux vidéo est observable par les membres de la famille qui en subissent sans doute aussi des impacts. La présente étude ne permet toutefois pas de documenter les impacts exacts qu’a pu occasionner la participation aux jeux vidéo sur les relations familiales des VAP. Il est par contre possible de croire que les personnes VSP ont une plus grande possibilité de s’isoler de leurs proches, surtout si elles vivent seules : leur utilisation des jeux vidéo est alors plus difficile à observer par l’entourage occasionnant ainsi moins de conflits.

Implication pour la pratique clinique

Cette étude met en lumière des différences très peu marquées entre les participants et participantes des deux groupes (VAP et VSP) puisque tous et toute vivent beaucoup d’impacts sur plusieurs aspects de leur vie en raison de leur utilisation problématique des jeux vidéo. Cette similarité entre les groupes basés sur l’habitation avec ou sans un des parents soulève des questions sur la structure actuelle de l’organisation des services qui distingue généralement la clientèle jeunesse et la clientèle adulte en leur offrant des programmes cliniques différents. Les présents résultats laissent croire qu’il pourrait être pertinent de davantage prendre en compte l’habitation avec ou sans un des parents lors de la référence vers un programme jeunesse ou adulte.

Sur le plan de l’intervention, des approches de thérapie familiale pour le traitement des dépendances ont fait leurs preuves aussi bien pour les adolescents et adolescentes (Young, 2009) que pour les jeunes adultes (Park et al., 2014). L’idée d’intégrer des interventions familiales, telles que la Brief Strategic Family Therapy (Szapocznik et Hervis, 2020) et la Multidimensionnal Family Therapy (Liddle, 2015) ou encore des programmes impliquant l’entourage dans le traitement (Network Therapy ; Galanter, 2014 ; modèle Social Behaviour and Network Therapy ; Copello et al., 2009), pourrait également être un des éléments de spécificité à apporter au type d’intervention selon le statut d’habitation de la personne tout en tenant compte de l’entourage proximal de la personne (famille, partenaires amoureux, enfants, etc.). La présence de besoins semblables en ce qui a trait aux impacts de l’utilisation des jeux vidéo chez les VAP et chez les VSP révélée par l’étude, portent aussi à croire qu’un programme dont les leviers d’intervention varient en fonction des caractéristiques individuelles et familiales des personnes qui reçoivent des services pourrait être une bonne avenue. Il serait tout de même pertinent de documenter de façon détaillée les caractéristiques et les besoins des clientèles VAP et VSP qui ont une utilisation problématique des jeux vidéo pour mieux orienter les programmes d’intervention.

Forces et limites de l’étude

Une des principales forces de cette étude est d’avoir été menée auprès d’un grand nombre de personnes pour lesquelles une entrevue diagnostique (Web-Addict, V1,0, Dufour et al., 2020) a été réalisée assurant une certaine homogénéité de l’échantillon et permettant de documenter plusieurs aspects associés à l’utilisation problématique des jeux vidéo. De plus, elle innove sur le plan de la compréhension de l’utilisation problématique des jeux vidéo en comparant les personnes ayant une utilisation problématique des jeux vidéo selon qu’elles habitent avec ou sans un de leurs parents plutôt qu’en fonction de leur âge.

En ce qui a trait aux limites, la collecte de données n’a pas documenté le soutien que les parents et les autres membres de l’entourage procurent aux participants et participantes, variable qui pourrait avoir un effet sur la façon dont les impacts des jeux vidéo sont vécus par les personnes qui en présentent une utilisation problématique. Il en est de même pour l’environnement de vie, alors que cette étude ne répertorie pas le nombre de personnes qui habitent avec les participants et participantes ni la qualité des relations, ce qui permettrait d’inclure dans la comparaison le type d’environnement social plus détaillé de chacun. Par ailleurs, un biais de désirabilité sociale peut également avoir influencé les réponses des participants et participantes adultes ayant une VSP. Il semble en effet plus acceptable pour un·adolescent·ou une adolescente que pour une personne adulte de jouer fréquemment aux jeux vidéo, car selon les normes sociales une personne adulte devrait répondre à diverses obligations de vie personnelle, professionnelle et familiale plutôt qu’investir du temps dans la pratique des jeux vidéo. L’utilisation d’analyses bivariées transversales constitue également une limite à la présente étude, car ceci multiplie le nombre d’analyses effectuées.

Conclusion

La présente étude est la première à distinguer les personnes aux prises avec un problème de jeux vidéo selon qu’elles habitent ou non avec un de leurs parents plutôt qu’en fonction de leur âge. Le peu de différences observées entre les groupes permet de croire que les personnes qui ont une utilisation problématique des jeux vidéo présentent des profils semblables tant sur le plan des impacts que des indicateurs d’une utilisation problématique, et ce, peu importe leur âge ou le fait qu’elles habitent ou non avec un de leurs parents. Il est donc nécessaire de se questionner sur l’utilisation unique de l’âge pour distinguer les clientèles en dépendance.

 


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