MICHEL GANDILHON
Correspondance :
Michel Gandilhon
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Résumé
Si le cannabis et les drogues de synthèse sont consommés aujourd’hui sur tous les continents, nulle substance n’incarne mieux la mondialisation de l’usage de drogues, et la mondialisation tout court, que la cocaïne. Elle symbolise en effet, du fait de son statut de drogue de la performance et de l’insertion, un certain esprit du temps marqué par le culte de la compétition. Le développement de sa consommation à l’échelle de la planète à partir des États-Unis est d’ailleurs contemporain de la fantastique accélération des échanges commerciaux provoquée notamment par l’émergence de la Chine et l’intégration de l’ex-Empire soviétique au marché capitaliste mondial. Dès lors, les flux de son trafic épousent les grandes voies commerciales maritimes par l’entremise notamment des porte-conteneurs, tandis que l’usage, autrefois apanage des « élites » occidentales, se démocratise et touche de plus en plus les consommateurs des pays de l’ex-Tiers-Monde. Comme le téléphone portable, la cocaïne est aujourd’hui un des marqueurs de l’entrée dans le monde de la consommation de masse.
Mots-clés : cocaïne, usages, mondialisation, trafics, porte-conteneurs
Cocaine : a worl-wide commodity
Abstract
Cocaine perfectly symbolizes globalization itself. As a performance and insertion enhancer, cocaine embodies a certain “spirit” of the times marked by the cult of competition. The globalization of its use coincides with the increase of international commercial activity following the emergence of China and the integration of the former Soviet empire in the world capitalist system. Cocaine traffic flows through maritime commercial routes, especially by means of container ships. Once a staple of Western elites, cocaine consumption is now increasing worldwide and can be seen as a symbol of mass consumer society.
Keywords: cocaine, drug use, globalization, drug trafficking, container ship
La cocaína, una mercadería mundializada
Resumen
Si el cannabis y las drogas sintéticas se consumen hoy en día en todos los continentes, ninguna sustancia encarna mejor la mundialización del uso de drogas, y la mundialización en si, que la cocaína. En efecto, la cocaína simboliza, en virtud de su condición de droga de rendimiento y de inserción, un cierto espíritu del tiempo marcado por el culto de la competencia, mientras que el desarrollo de su consumo en escala planetaria a partir de Estados Unidos es contemporáneo de la fantástica aceleración de los intercambios comerciales provocados principalmente por el surgimiento de China y la integración del ex-imperio soviético al mercado capitalista mundial. Desde entonces, el flujo de su tráfico emprende las grandes vías comerciales marítimas por intermedio principalmente de los portacontenedores, mientras que el uso, en otros tiempos reservado a las “élites” occidentales, se democratiza y toca cada vez más a los consumidores de los países del ex-Tercer Mundo. Como el teléfono portátil, la cocaína es hoy en día uno de los señalizadores de la entrada en el mundo del consumo de masas.
Palabras clave: cocaína, usos, mundialización, tráficos, portacontenedor
Introduction
La cocaïne est sans doute, avec le téléphone portable, une des marchandises emblématiques de la deuxième mondialisation économique, celle qui s’approfondit après les réformes de Deng Xiaoping en Chine, à la fin des années 1970, et la chute du mur de Berlin en 1989. En effet, en l’espace d’une vingtaine d’années, sa consommation, qui n’affectait essentiellement que le nord du continent américain (États-Unis, Canada), s’est développée massivement à l’échelle mondiale, dans un premier temps en Europe, puis dans certains pays émergents d’Amérique latine, et des continents africain et asiatique; son usage dans les couches moyennes engendrées par le développement économique constituant un marqueur symbolique de l’entrée dans la société de la consommation de masse. Cette affinité de l’usage de la cocaïne, comme drogue de l’intégration et de la performance [1], avec l’univers du capitalisme mondialisé ne s’observe pas seulement dans le domaine symbolique des représentations, qui font de la cocaïne, dans beaucoup de milieux, une substance à la mode. La cocaïne comme marchandise à la fois dans sa dimension physique (valeur d’usage) et abstraite (valeur d’échange) s’est parfaitement insérée dans les flux marchands globalisés, devenant la passagère clandestine de la mondialisation marchande et financière. Du porte-conteneurs, vecteur par excellence de la multiplication des échanges commerciaux sur la planète, aux transactions bancaires, via le blanchiment des milliards de dollars engendrés chaque année par le trafic, le chlorhydrate de cocaïne fait pleinement partie du monde contemporain.
Après un bref retour sur l’histoire de la cocaïne à la fin du XIXe siècle, la première partie de l’article traitera de la réapparition d’un usage de masse de la cocaïne à partir de la fin des années 1970 aux États-Unis puis, dans une deuxième partie, de la conquête du marché européen à partir des années 1990. La troisième partie examinera quant à elle la situation de l’Afrique − où le développement de la consommation de cocaïne a été précédé par l’implantation, dans sa partie occidentale, notamment de réseaux de trafic −, symptomatique de l’accès progressif d’États de l’ex-Tiers-monde aux standards de consommation internationaux, tandis que la dernière partie, à travers le paradigme du porte-conteneurs, abordera l’insertion de la cocaïne dans les flux du commerce maritime qui relient les grands ports de la planète.
Le premier cycle de consommation de la cocaïne
La consommation et le commerce de cocaïne ne constituent guère une nouveauté. Découverte en 1860 en Allemagne, celle-ci a rapidement été produite et utilisée, dans un cadre alors légal, par l’industrie pharmaceutique émergente aux États-Unis, ainsi que dans un certain nombre de pays européens (Angleterre, Allemagne, France). Il est même avéré que dans le cadre de la « première mondialisation » (Berger, 2003), qui court de 1870 à 1914, les succès rencontrés dans ses différentes indications thérapeutiques (anesthésie, antidépresseur, etc.) ont contribué à l’apparition de grandes entreprises comme Merck en Allemagne [2]. À la fin du XIXe siècle, la coca et le sulfate de cocaïne (pâte-base), produits essentiellement au Pérou, contribuent à l’extension des flux commerciaux et nourrissent l’activité des grands ports marchands européens comme Hambourg (Gootenberg, 2013), tandis qu’au début du XXe siècle, c’est Rotterdam et les Pays-Bas qui tirent profit du boom de la coca dans les colonies néerlandaises d’Indonésie (Gootenberg, 2004). Parallèlement, un usage non médicamenteux commence à se développer en Europe comme aux États-Unis, tout en restant circonscrit dans des milieux sociaux limités, relevant de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie (médecins, pharmaciens) [3]. Cet usage de la cocaïne pour ses vertus stimulantes et la prise de conscience des effets sanitaires négatifs de l’usage à partir des années 1890 sera l’objet, sous la pression insistante des États-Unis, de premières interdictions édictées par la communauté internationale avec la Convention de La Haye en 1912 [4]. Pendant, la Première Guerre mondiale, l’opposition à la cocaïne se radicalisera pour prendre la forme d’une « croisade » – prélude à la « guerre » déclarée par Richard Nixon au début des années 1970 – masquant mal la volonté de puissance des États-Unis dans le cadre de la rivalité avec une Allemagne considérée par la propagande de guerre de l’époque comme un « empire malfaisant de la drogue » (Gootenberg, 2004).
Cette législation ne parviendra pas à empêcher le développement de l’usage récréatif de la substance dans certains pays comme la France. Au contraire. C’est dans les années 1920 que l’on assiste dans ce pays à l’apparition de la première « épidémie » moderne d’usage de cocaïne, même si celle-ci est sans commune mesure avec la vague de consommation actuelle. En effet, s’agissant du cas de la France, et de Paris plus particulièrement, l’historienne Emmanuelle Retaillaud-Bajac a bien montré que les quatre-vingt mille usagers qu’aurait connus la capitale française dans les années 1920 relevaient du mythe et que le nombre de consommateurs, contrairement à aujourd’hui, se comptaient alors plutôt en milliers qu’en dizaines de milliers (Retaillaud-Bajac, 2009).
Le retour de la consommation de masse de cocaïne
Pendant une quarantaine d’années, de 1930 à 1970, l’usage et le commerce de cocaïne, qu’ils soient légaux ou illégaux, vont connaître une éclipse du fait de la raréfaction progressive de son utilisation dans le secteur pharmaceutique d’une part et à la structuration de la répression consécutive à la mise en place du système international de contrôle des stupéfiants d’autre part. Certes, un usage clandestin persiste dans les années 1950 et 1960, aux États-Unis surtout, mais celui-ci demeure extrêmement marginal (Gootenberg, 2013). C’est à la fin des années 1970 et au début des années 1980, et en premier lieu aux États-Unis, que l’usage de cocaïne, sous sa forme chlorhydrate et base, allait renaître. Deux phénomènes vont se conjuguer pour favoriser ce processus.
Du côté de la demande, c’est la fin du cycle des contestations étudiantes et des grandes manifestations contre-culturelles dont la marijuana et l’héroïne étaient les emblèmes (Fernandez et Libby, 2011). La seconde moitié des années 1970, marquée par la fin du grand boom économique de l’après-Seconde Guerre mondiale (Mandel, 1980), signe en effet le passage à une autre époque, celle du durcissement des rapports sociaux et de la compétition économique symbolisée par l’arrivée au pouvoir du républicain Ronald Reagan (Wolfe, 2001). Dans un tel contexte, la cocaïne, produit stimulant et drogue de la performance par excellence, symbolise le nouvel esprit du temps − le fameux Zeitgeist d’Hegel − l’heure est moins aux drogues de la dissociation, comme l’héroïne ou le LSD, qu’aux drogues dites de l’insertion : « Les drogues de socialisation, d’intégration ou d’insertion sont à l’intersection de deux histoires : d’abord, elles rompent avec les traditions de déviance et de la marginalité qui caractérisaient l’univers des drogues illicites ; ensuite elles prolongent dans le domaine de la consommation courante des instruments chimiques inventés dans le champ psychiatrique pour traiter les maladies mentales et les dépressions » (Ehrenberg, 1991). Le 6 juillet 1981, dans un article, cité par le journaliste Misha Glenny dans son ouvrage McMafia, le magazine américain , qui fait sa une sur la cocaïne, saisit parfaitement les évolutions à l’œuvre dans la société : « Ca n’est plus comme dans les décennies passées le péché mignon d’une élite argentée, ni un vulgaire trait de décadence dans les cercles où l’on s’encanaille. Pas davantage une faiblesse exotique et branchée que s’autorisent les entrepreneurs clinquants, les gens d’Hollywood et les flambeurs, comme il y a trois ou quatre ans encore – quand, avec la plus grande ostentation, les consommateurs prisaient à même la table des cafés chics, au moyen d’un billet roulé de 100 dollars tout neuf. Aujourd’hui, en partie précisément parce qu’elle est à ce point emblématique du rang social et de la richesse, la coke est peut-être la drogue de prédilection de millions d’individus, bons citoyens, conformistes et souvent en voie d’ascension sociale – avocats, hommes d’affaires, étudiants, fonctionnaires, politiciens, policiers, secrétaires, banquiers, mécaniciens, agents immobiliers, serveuses » (Glenny, 2008). Dans un monde où l’histoire s’accélère, où les points de repère traditionnels et identitaires tendent à s’effacer sous les flots d’un « présent liquide » [5] (Bauman, 2007), l’usage de drogues et de stimulants, notamment dans le contexte des années 1980, semble pour certains individus un recours afin de demeurer dans la course (Ehrenberg, 1996).
Du côté de l’offre, les mutations viennent de l’Amérique du Sud, notamment de la Colombie avec le passage de ce pays du statut de premier fournisseur des États-Unis en marijuana au début des années 1980 à celui de cocaïne. Ici se manifestent les premières impasses de la « guerre à la drogue » lancée par l’administration de Richard Nixon en 1971, puisque les efforts d’endiguement des flux de marijuana et d’héroïne mexicaine et française (Grillo, 2011) aboutissent, par un phénomène que les services répressifs appellent l’« effet ballon » (Gandilhon, 2014), à un simple déplacement des problèmes criminels. La culture de marijuana qui fait l’objet des premières politiques d’éradication par épandage de pesticides au Mexique migre vers le nord de la Colombie (Guajira), laquelle devient au début des années 1980 le principal fournisseur du marché américain devant le Mexique et la Jamaïque (Sauloy et Le Bonniec, 1992). L’éradication presque totale de ces cultures en Colombie, par les mêmes méthodes qu’au Mexique, favorisera la reconversion des réseaux criminels qui l’exportaient vers le marché américain dans le trafic de cocaïne. Ceux-ci n’auront qu’à substituer la cocaïne à la marijuana et à utiliser le même vecteur (aérien) et les mêmes routes (Colombie-Floride via les Antilles). Ainsi, bon nombre de trafiquants colombiens du cartel de Medellín notamment, le plus connu étant Carlos Lehder, avaient fait leurs premières armes dans le convoyage d’herbe de cannabis (Delpirou et Labrousse, 1986).
Dès lors, la rencontre de la demande et de l’offre aboutit à une augmentation rapide de la consommation dans la société américaine. La nouveauté par rapport au cycle de consommation précédent est que l’usage de la cocaïne touche un très large spectre social qui va de l’élite économique blanche aux marginaux issus de la communauté noire qui consomment la cocaïne sous sa forme métamorphosée en « crack » (Bourgois, 2013). En 1982, le nombre de consommateurs de cocaïne dans l’année aux États-Unis au sein de la population âgée de 12 ans et plus est estimé à 10,2 millions (ONUDC, 2009). Toutefois, à partir de 1985, le nombre d’usagers dans l’année commence à décliner significativement [6]. Ainsi, entre 1985-1997, il diminue de près de 60 % (ONUDC, 1999). Une tendance qui se poursuit tout au long des années 2000. En 2008, le nombre d’usagers dans l’année de cocaïne aux États-Unis est estimé à 5,3 millions soit un repli du marché américain de près de 50 % en 25 ans (ONUDC, 2009).
La conquête du marché européen
C’est afin de pallier cette baisse du marché nord-américain que les organisations criminelles décident de conquérir le marché européen où l’usage de cocaïne est encore relativement marginal. Ainsi, à partir des années 1990, avec des divergences de rythme selon les pays d’Europe occidentale, les prévalences d’usage mesurées dans les enquêtes en population générale commencent à augmenter fortement, notamment chez les 15-34 ans (Costes, 2012).
Alors qu’en 1995, dans son premier rapport annuel, l’OEDT (Observatoire européen des drogues et des toxicomanies) ne fait état que d’« une progression modeste de la prévalence de la cocaïne dans la majorité des pays », tout en soulignant que « cette progression n’est pas aussi forte que pourraient le laisser penser les hausses enregistrées par les indicateurs de l’offre tels que le volume de cocaïne saisie par la police et les douanes » (OEDT, 1995), une quinzaine d’années plus tard, la cocaïne est devenue la deuxième substance la plus consommée derrière la marijuana. En 2014, le nombre d’expérimentateurs de cocaïne [7] était estimé à 15,6 millions chez les 15-64 ans, tandis que le nombre d’usagers dans l’année tournait autour de quatre millions, soit des niveaux se rapprochant de ceux des États-Unis (OEDT, 2014). Dans certains pays européens, comme l’Espagne (4,4 %) ou le Royaume-Uni (4,2 %), les niveaux de prévalence de l’usage dans l’année chez les 15-34 ans sont même plus élevés que ceux observés aux États-Unis (4 %) (OEDT, 2014). Ainsi, selon l’ONUDC, entre 1998 et 2008, alors que la consommation de cocaïne mesurée en tonnes doublait en passant de 63 t à 124 t, celle des États-Unis diminuait de près de 40 % passant de 267 t à 165 t. Par ailleurs, en termes de chiffre d’affaires, l’Europe rattrape les États-Unis, puisque la valeur en dollars constants du marché américain atteignait en 2008 la somme de 35 milliards de dollars, tandis que le marché européen était évalué à une trentaine de milliards de dollars (ONUDC, 2009).
Cette conquête du marché européen par les firmes trafiquantes [8], qu’elles soient situées au stade du gros ou du semi-gros, emprunte largement aux méthodes classiques du commerce international mondialisé par le recours à une baisse des prix importante (dumping) afin d’élargir le marché. Si, en France, en 1990, le gramme de cocaïne au détail, pour un taux de pureté oscillant entre 30 et 50 %, se situait dans une fourchette comprise entre 1 200 et 1 500 francs français, soit environ 290 euros, en euros constants (2014) (Boekhout Van Solinge, 1996), dix ans plus tard, à la fin de la décennie, le prix du gramme était divisé par trois et atteignait 530 francs, soit un peu plus de 100 euros constants, pour une qualité équivalente (TREND, 2000). La chute du prix qui se poursuivra au début des années 2000, le prix du gramme se stabilisant autour d’une soixantaine d’euros. Parallèlement, l’usage de chlorhydrate de cocaïne en France, qui ne concernait dans les années 1980 et 1990 que des couches plutôt privilégiées, à l’exception de toxicomanes qui l’injectaient en association avec l’héroïne (speed ball), touche qualitativement toutes les classes de la société, des ouvriers aux cadres en passant par les usagers de drogues les plus désaffiliés (Rahis, Cadet-Taïrou et Delile, 2010). Ainsi, entre 1992 et 2014, porté par une image positive de substance festive dans les milieux de la fête (clubs, discothèques, techno parties) et plus largement dans une partie de la jeunesse [9] de drogues des « gagnants » (Fontaine et Gandilhon, 2004), l’usage de cocaïne dans l’année parmi les 18-64 ans a presque quadruplé (Beck, Richard, Guignard, Le Nézet et Spilka, 2015). La cocaïne offre ainsi un témoignage supplémentaire de l’aptitude du capitalisme à « démocratiser le luxe » (Sloterdijk, 2003) afin d’élargir son processus d’accumulation.
Il est difficile en 2015 d’apprécier la dynamique globale de l’usage de cocaïne en Europe et son devenir. Il semblerait qu’à l’instar des États-Unis dans les années 1990 un début de retournement de tendance soit en cours dans les pays les plus consommateurs comme l’Espagne, le Royaume-Uni, le Danemark et dans une moindre mesure les Pays-Bas. La stagnation, voire la baisse de ces marchés nationaux observée depuis 2008 sera-t-elle compensée par la croissance d’autres marchés ? Il semble que ce soit le cas en Europe centrale où la consommation d’amphétamines et de méthamphétamines affiche des taux de prévalence en baisse au profit de la cocaïne (OEDT, 2014). Les saisies augmentent dans la région depuis deux ou trois ans au point que s’est constituée une route de la cocaïne des Balkans visant certes à contourner les dispositifs répressifs mis en place par l’Union européenne à l’ouest du continent, à partir notamment des ports du Pirée et de Varna, mais surtout à approvisionner des marchés locaux de plus en plus dynamiques (OICS, 2013).
La cocaïne et les pays émergents : le cas de l’Afrique
Quoi qu’il en soit, la chute du marché nord-américain et l’éventuelle stagnation du marché européen sont en passe d’être largement compensées par l’apparition des pays émergents dans le paysage des grands pays consommateurs. Le cas de l’Afrique est à cet égard intéressant et fournit une illustration saisissante de la mondialisation en cours de la cocaïne. Le dynamisme économique de nombreux États du continent, avec l’émergence d’une classe moyenne minoritaire, mais nombreuse, s’accompagne en effet d’une évolution de l’usage particulièrement rapide. Ainsi, selon l’ONUDC, entre 2004 et 2011, la part de l’Afrique dans le nombre d’usagers annuels dans le monde a plus que doublé pour passer de 7 à 15 %. Le nombre d’usagers africains serait passé sur la même période d’un million à 2,5 millions dans l’année (ONUDC, 2013). Même s’il convient de rester prudent compte tenu de la faiblesse des outils statistiques sur ce continent, il est certain que le fort développement du marché africain a été précédé par l’implantation, au début des années 2000,
de réseaux de trafiquants originaires d’Amérique latine (Colombie, Bolivie, Mexique) en Afrique de l’Ouest (Guinée-Bissau, Guinée-Conakry, Côte d’Ivoire, Nigéria). Cette implantation est alors attestée par la très forte croissance des saisies observée. Tandis qu’en 1998 et 2003, celles-ci s’élevaient selon l’ONUDC à 0,6 t par an, l’année 2003 marquait une nette inflexion de tendance avec 3,6 t interceptées, le point culminant étant atteint en 2007 avec 7 t (Champin, 2012). Il s’agit alors pour les trafiquants qui s’implantent dans la région d’utiliser l’Afrique comme point d’entrée afin de contourner les dispositifs de sécurité de l’Union européenne dans la Méditerranée [10]. Si c’est toujours le cas en 2015, avec le développement des trafics terrestres transsahariens de la cocaïne, alimentant notamment les réseaux liés au djihadisme qui entretiennent des relations intéressées avec les filières de trafic (Julien, 2011), il apparaît néanmoins que la cocaïne n’est plus seulement en transit en Afrique. Celle-ci est de plus en plus une marchandise destinée à répondre non seulement aux besoins des classes moyennes émergentes, mais aussi des populations les plus pauvres du fait notamment de la chute des prix observée depuis quelques années dans certains pays (Carrier et Klantschnig, 2012). Pour ce faire, les trafiquants latino-américains disposent de relais locaux puissants, qu’ils soient issus du monde des élites politiques ou du crime organisé comme c’est le cas au Nigéria avec l’existence d’une puissante mafia internationalisée (Champin, 2012). En outre, la forte croissance économique subsaharienne – depuis le début des années 2000 les PIB, de différentes économies de la région progressent de 5 % par an – marquée par un important développement des échanges extérieurs de l’Afrique de l’Ouest, favorise la modernisation des grands ports de la région (Dakar, Conakry, San Pedro, Cotonou, Tin Can-Anapa-Lagos) qui, à mesure de leur conteneurisation, constituent autant de portes d’entrée de la cocaïne [11] (Ducruet, 2014).
La cocaïne, le porte-conteneurs et la mer
Substance emblématique de la globalisation, la cocaïne a profité pleinement de ce que certains experts appellent la « maritimisation » du monde. Comme l’exprime le géopoliticien Cyrille P. Coutansais « la mer [est] au cœur de l’expansion de la criminalité transnationale » (Coutansais, 2012), comme elle est au cœur de la dynamique de la mondialisation marchande. En 2014, en effet, plus de 80 % des échanges commerciaux planétaires s’effectuaient par voie maritime pour dix milliards de tonnes métriques de marchandises transportées (Alix et Carluer, 2014). Ainsi, dans la conquête du marché européen entreprise par les trafiquants latino-européens, l’océan Atlantique constitue un passage obligé pour les flux de cocaïne. À l’heure actuelle, trois grandes routes maritimes sont identifiées : la route dite du nord, qui part des Caraïbes via l’archipel des Açores pour atteindre les grands ports du nord de l’Europe, notamment Rotterdam et Anvers; la route dite du centre, qui part d’Amérique du Sud, notamment du Venezuela, et passe par le Cap-Vert, Madère et les Canaries; et enfin la route africaine évoquée plus haut (Gandilhon, 2012). Si ces différentes trajectoires sont empruntées par toute sorte de vecteurs [12], qui vont du voilier de plaisance aux bateaux de pêche en passant même par le sous-marin, c’est le porte-conteneurs qui est aujourd’hui le principal mode de transport des cargaisons de cocaïne qui arrivent en Europe. Celui-ci est devenu, du fait de la centralité des mers dans le commerce international, un symbole de la mondialisation reliant les villes-monde de la planète et un facteur décisif de la baisse du coût final des marchandises du fait des formidables économies d’échelle que permet ce mode de transport. Ainsi, pour les réseaux criminels transnationaux le transport de la cocaïne par conteneurs offre trois avantages importants. Un avantage portant sur les quantités transportées, un deuxième sur les coûts et un troisième tenant à la difficulté pour les services répressifs de détecter dans les immenses cargaisons de marchandises qui circulent quotidiennement la cocaïne dissimulée dans les marchandises. Selon la Banque mondiale, le nombre de rotations de conteneurs sur la surface du globe atteindra à partir de 2015 les 750 millions de mouvements annuels et rend impossible, malgré le ciblage des cargaisons [13], un contrôle systématique (OCRTIS, 2013). Tout cela dans un contexte où la politique de restructuration des ports, entamée en Angleterre au début des années 1980, a favorisé, via les politiques de flexibilisation du travail et de privatisation de la gestion des ports, un fonctionnement continu des infrastructures portuaires, sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre (Guègen-Hallouët, 2014).
En outre, les techniques de dissimulation se sophistiquent d’année en année. Si l’incorporation de la drogue dans la marchandise transportée est bien connue, les services répressifs font état de plus en plus de saisies d’objets en plastique (tables, chaises, etc.) contenant du chlorhydrate de cocaïne, rendant nécessaire à l’arrivée le passage par des laboratoires se livrant au processus de seconde extraction (EMCDDAet Europol, 2010). La cocaïne est aussi de plus en plus insérée dans la structure même des conteneurs (parois, blocs, réfrigérants). Enfin, pour limiter les quantités saisies, les trafiquants tendent à atomiser les cargaisons de cocaïne en utilisant la technique dite du « rip-off », laquelle consiste à placer, avec la complicité de membres du personnel portuaire, des sacs de cocaïne contenant quelques dizaines de kilogrammes dans un conteneur (Gandilhon, 2014).
Ce sont les grands ports du nord (Rotterdam, Anvers, Hambourg) qui sont les portes d’entrée principales de la cocaïne destinée à l’Europe occidentale et centrale. En 2013, d’après les données de la police néerlandaise, il semble que ce soit Rotterdam, huitième dans le classement des plus grands ports au monde, qui soit devenu, devant celui d’Anvers, le premier lieu de transit de la cocaïne puisque 25 à 50 % de celle-ci passerait par le port hollandais : 10 tonnes y ont été interceptées contre 3,6 tonnes en 2012 [14]. La France est également affectée par le trafic conteneurisé, et ce, malgré le déclin de ses grands ports marchands. Ainsi, il semble que le port du Havre, premier port français pour le trafic de conteneurs, soit en train de devenir une porte d’entrée importante de la cocaïne. En 2014, la plus grande saisie de cocaïne jamais faite en France métropolitaine, avec 1,4 tonne, y a été réalisée. Ce phénomène qui a commencé à prendre de l’ampleur à partir de 2011, avec une forte croissance des saisies, est à mettre en relation avec la réactivation récente des routes de la cocaïne dans la mer des Caraïbes. Les Antilles françaises sont en train de devenir une zone rebond significative, notamment par l’intermédiaire de la connexion du port martiniquais de Fort-de-France avec les grands ports français (Gandilhon, 2014).
Le sud du continent européen n’est toutefois pas en reste avec le rôle croissant de la Méditerranée, du fait du développement de la route africaine et de la mer Noire, avec l’émergence de la route des Balkans de la cocaïne (EMCCDDA et Europol, 2013). Depuis quelques années, le port de Gioa Tauro, situé en Calabre, ancien port sidérurgique reconverti dans le trafic de conteneurs en 1992, devenu le premier port italien, joue un rôle de plus en plus considérable dans le trafic de cocaïne en Europe, du fait notamment de l’emprise sur le port de familles appartenant à la ‘NDrangheta, la mafia italienne la plus puissante aujourd’hui et dont les ramifications s’étendent jusque dans les régions productrices de cocaïne d’Amérique latine (Maccaglia et Matard-Bonucci, 2014).
Bien évidemment, la « maritimisation » de la cocaïne n’affecte pas seulement l’océan Atlantique et la Méditerranée. Il se pourrait, à l’instar des processus en cours qui voient l’épicentre du commerce mondial se déplacer vers le Pacifique [15] (Ducruet, 2014), que cette région du monde devienne le cœur du trafic de cocaïne. Il semble en effet que les grands pays d’Asie − notamment la Chine via notamment ses grands ports que sont Hong Kong et Shanghai (respectivement deuxième et treizième ports mondiaux en 2013) − qui avaient été épargnés par la consommation de masse de cocaïne, probablement du fait d’une forte tradition d’usage de stimulants amphétaminiques, par ailleurs produits sur place, voient les usages de cocaïne augmenter. Ainsi, selon les données de l’ONUDC, ce serait l’Asie qui connaîtrait depuis quelques années les rythmes de progression de la consommation les plus élevés avec un quadruplement des usages dans l’année [16] entre 2004-2005 et 2011 (ONUDC, 2013). À cette lumière, il apparaît que le devenir global de la marchandise cocaïne est loin d’être achevé.
Même si son usage a fortement diminué aux États-Unis et tendrait aujourd’hui à se stabiliser en Europe occidentale, la cocaïne demeure une substance emblématique de la modernité marchande et de la globalisation. À la fin des années 1970, sa réapparition significative aux États-Unis dans la configuration des consommations de drogues illicites est contemporaine de la rupture historique et politique marquée par l’avènement du néolibéralisme incarné par les arrivées au pouvoir de Ronald Reagan et Margaret Thatcher. Drogue de l’insertion, elle vient répondre en effet aux besoins d’individus pris dans l’étau d’une société où les logiques de compétitions deviennent de plus en plus prégnantes et concernent toutes les sphères de la vie, qu’elles soient privées ou publiques. Ainsi à mesure de l’accélération de la mondialisation, et de l’insertion de nouvelles régions du monde dans les flux marchands, l’usage de cocaïne s’étend géographiquement, aujourd’hui en Afrique et demain en Asie, pour toucher, sous sa forme chlorhydrate, les classes moyennes des pays de l’ex-Tiers-monde ou sous sa forme « basée », les couches les plus déshéritées, en épousant les grandes routes commerciales qui irriguent la planète. La cocaïne au sens propre comme au sens figuré est devenue, en une trentaine d’années, la passagère clandestine du monde global (Saviano, 2014).
Références
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Notes
[1] ^Le concept de drogue de l’intégration et de la performance est développé par le sociologue Alain Ehrenberg pour rendre compte des transformations des usages qui interviennent dans les années 1980 avec l’avènement du néolibéralisme. L’heure n’est plus aux substances emblématiques de la contre-culture des années 1960 (héroïne, LSD), mais aux produits favorisant la performance individuelle dans le cadre de la société de compétition généralisée (ecstasy, amphétamines, cocaïne) incarnée par les figures du sportif de haut niveau et du chef d’entreprise.
[2] ^Entre 1880 et 1913, la production de cocaïne de l’entreprise allemande passe de 1 kg à 9 t.
[3] ^Ce constat doit être nuancé notamment pour les États-Unis. Il existait en effet des usages de coca et de cocaïne au sein de la communauté noire. Ces usages illicites ont été instrumentalisés politiquement dès le début du XXe siècle, notamment dans le sud du pays, dans le cadre de campagnes de stigmatisation raciale visant les Noirs et les classes dites dangereuses.
[4] ^Les douze États signataires de la convention (France, Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas, Portugal, Italie, Russie, États-Unis, Chine, Japon, Perse, Siam) décident de limiter aux seuls usages « médicaux et légitimes » la fabrication, la vente et l’emploi de la cocaïne et des préparations en contenant.
[5] ^Le concept de « présent liquide » prolonge la métaphore de Marx utilisé dans Le Manifeste du Parti communiste décrivant la société dominée par la logique du Capital comme baignant dans les « eaux glacées du calcul égoïste ». Pour Zygmunt Bauman, le passage d’une société « solide », marquée par la stabilité des relations sociales, à une société « liquide », vouée à l’évanescence des flux et au changement perpétuel, produit des individus apeurés, « incertains » pour reprendre le qualificatif d’Alain Ehrenberg (L’individu incertain, Calman-Lévy, 1996).
[6] ^ « Plusieurs facteurs sont à l’origine du retournement de tendances en matière de consommation de cocaïne aux États-Unis. Certains sont liés aux représentations de la substance, laquelle est devenue, notamment sous sa forme « crack », moins « glamour ». D’autres sont liés à l’apparition de nouveaux stimulants comme les méthamphétamines, dont l’usage fortement augmenté dans la société américaine à partir de la fin des années 1990, ou les nouvelles drogues de synthèse (legal highs), dont certaines formes de cocaïne synthétique, d’origine plus récente et dont l’accessibilité par Internet permet d’éviter les risques liées à des achats via des réseaux de trafiquants.
[7] ^Au moins un usage dans la vie.
[8] ^ Ce terme désigne l’ensemble des acteurs impliqués dans le trafic international de cocaïne, des cartels colombiens aux organisations mafieuses italiennes en passant par les bandes dites de « cités » françaises, implantées à la périphérie des grandes métropoles, qui contrôlent les marchés locaux du gros et du semi-gros.
[9] ^ Avec un bruit de fond médiatique, notamment dans la presse magazine destinée aux jeunes, mêlant habilement à la fois « répulsion », « fascination » et « transgression » (Adès, 2004).
[10] ^ Les deux structures mises en place par l’Union européenne sont le MAOC-N (Maritime Analysis and Operations Center for narcotics, centre opérationnel d’analyse du renseignement maritime pour les stupéfiants), installé à Lisbonne et le CECLAD-M (Centre de coordination pour la lutte anti-drogue en Méditerranée), dont le siège est à Toulon. Ces deux structures accueillent des officiers de liaison en provenance des pays de l’Union européenne ainsi que des agents anti-drogue américains et africains.
[11] ^Depuis, les années 2010, les saisies de cocaïne réalisées dans des porte-conteneurs se multiplient en Afrique de l’Ouest. Du Benin au Nigéria en passant par le Togo. D’après l’ONUDC, par exemple, 1t de cocaïne a été saisie dans des conteneurs entre 2009 et 2010, rien qu’au Nigeria et au Ghana (Champin, 2012).
[12] ^Y compris bien sûr aérien, via les mules qui transportent la cocaïne soit in corpore ou dans les bagages, ou les norias d’avionnettes. En matière aérienne, un des cas les plus spectaculaires est celui plus connu sous l’appellation « Air cocaïne » en 2009, quand les autorités maliennes découvrirent dans le désert la carcasse calcinée d’un Boeing 727-200, en provenance du Venezuela, ayant transporté 7 à 11 t de cocaïne.
[13] ^Face à l’importance des flux, les douanes opèrent un ciblage des cargaisons en fonction des ports de départ en ciblant les pays suspects (Colombie, Venezuela, etc.). Les douanes sont également équipées, dans certains ports, de systèmes informatiques qui permettent de scanner les conteneurs et de détecter les marchandises suspectes.
[14] ^ « De Schipol à Rotterdam, les trafiquants font tourner la plaque tournante », Libération, mardi 22 juillet 2014.
[15] ^ « La répartition géographique des flux maritimes au niveau des grandes régions du monde montre le passage assez net d’une domination Atlantique (Europe, Amériques) à une domination Pacifique […]. Entre 1890 et 2008, l’Asie dans son ensemble passe de 6 % à 38 % du total des flux, pour ravir le premier rang mondial à l’Europe à partir de 1995 » (Ducret, 2014).
[16] ^ Le nombre d’usagers dans l’année serait passé de 300 000 en 2004-2005 à 1,3 million en 2011.
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