ISABELLE GIROUX, ÉMILIE FORTIN-GAGNON, ROBERT LADOUCEUR, CHRISTIAN JACQUES, FRANCINE FERLAND, DAVID LÉVESQUE, SERGE SÉVIGNY /
Isabelle Giroux, Ph.D. Professeure agrégée, Université Laval, Directrice du CQEPTJ et du GRIF-Jeu
Émilie Fortin-Gagnon, D.Psy, Étudiante graduée, Université Laval
Robert Ladouceur, Ph.D., Professeur émérite, Université Laval
Christian Jacques, M.Ps., Professionnel de recherche, Université Laval, Coordonnateur du GRIF-Jeu
Francine Ferland, Ph.D., Chercheur d’établissement, Centres de réadaptation en dépendance de Québec et Chaudière-Appalaches
David Lévesque, B.A., Candidat au doctorat en psychologie, Université Laval
Serge Sévigny, Ph.D, Professeur agrégé, Université Laval, GRIF-Jeu
Correspondance : Isabelle Giroux, École de psychologie, 2325 rue des Bibliothèques, PAV-FAS, Université Laval, Québec (Qc), Canada, G1V 0A6. Courriel : Isabelle.Giroux@psy.ulaval.ca
Remerciements : Cet article découle du mémoire doctoral d’Émilie Fortin-Gagnon, D.psy. Les questions de recherche soulevées dans cet article résultent d’un projet plus vaste financé par le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS) et par le Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQ-SC) : Évaluation des impacts de la ligne téléphonique Jeux : aide et référence et de services qui y sont rattachés : 2e Concours. Les auteurs tiennent à remercier tous les partenaires, particulièrement l’équipe de Jeu : aide et référence pour leur apport indispensable à la réalisation de l’étude.

Résumé

La participation excessive aux jeux de hasard et d’argent peut conduire à des conséquences importantes pour les joueurs. Le télécounseling représente une nouvelle modalité d’intervention auprès des joueurs problématiques et a fait l’objet d’un nombre limité d’évaluations scientifiques. La présente étude évalue a posteriori un programme de télécounseling auprès de joueurs problématiques. Le programme, à partir de données compilées provenant de 84 dossiers de joueurs, a fait l’objet d’analyses quant à (1) sa concordance avec le programme cognitivo-comportemental de Ladouceur et coll. (2000) duquel il s’inspire ; (2) l’intégrité de son administration ; (3) son effet sur la motivation au changement et (4) la satisfaction des joueurs. Les résultats révèlent que 47,3 % du contenu du programme de télécounseling s’inspire du programme de traitement cognitivo-comportemental pour les problèmes de jeu. L’intégrité de l’administration du programme révèle que 24,3 % des joueurs ayant complété le programme ont reçu l’ensemble des éléments jugés essentiels à l’atteinte des objectifs. Les résultats révèlent une augmentation statistiquement significative du sentiment que le problème de jeu est résolu ou sous contrôle, une absence d’effet statistiquement significatif sur l’envie de jouer et un taux élevé de satisfaction à l’égard du programme. À la lumière de ces résultats, le télécounseling auprès des joueurs problématiques semble constituer une méthode d’intervention satisfaisante. Les futurs programmes de télécounseling devraient, avant leur mise en place, s’inscrire dans une démarche évaluative et méthodologique rigoureuse afin de s’assurer de leur efficacité.

Mots clés : télécounseling, jeu pathologique, traitement, efficacité, problèmes de jeu

Evaluation of a telecounselling program for problem gamblers

Abstract

Excessive gambling can lead to serious consequences for gamblers. Telecounseling represents a new form of intervention for problem gamblers that has a limited number of scientific assessments. This study retrospectively evaluates a telecounseling program for problem gamblers. The program, with data compiled from records of 84 gamblers, has been analyzed with respect to (1) its consistency with the cognitive-behavioral program of Ladouceur et al. (2000) from which it is based, (2) the integrity of its administration, (3) its effect on motivation to change, and (4) gamblers’ satisfaction. The results reveal that 47.3% of the telecounseling’s components are inspired of the cognitive-behavioral treatment for problem gambling. The program integrity analysis reveals that 24.3% of completers received all the elements considered essential to reach the objectives of the program. Gamblers’ feeling that their gambling problem is resolved or under control increases significantly after the program, while no significant effect was observed on the urges to gamble. Gamblers also show a high level of satisfaction with the program. These results indicate that telecounseling seems to be worthy of further investigation. Future telecounseling programs should plan for a methodical evaluation of the intervention to ensure their effectiveness.

Keywords : telecounseling, pathological gambling, treatment, efficiency, problem gambling

Evaluación de un programa de consultoría psicológica a distancia para jugadores problemáticos

Resumen

La participación excesiva en los juegos de azar y de dinero puede tener consecuencias importantes para los jugadores. La consultoría psicológica a distancia constituye una nueva modalidad de intervención con jugadores problemáticos y ha sido objeto de una cantidad limitada de evaluaciones científicas. El presente estudio evalúa a posteriori un programa de consultoría psicológica a distancia para jugadores problemáticos. El programa, establecido a partir de datos provenientes de 84 casos de jugadores, fue analizado con respecto a los siguientes puntos : 1) su concordancia con el programa cognitivo-comportamental de Ladouceur y col. (2000), en el que se inspira ; 2) la integridad de su administración ; 3) su efecto sobre la motivación al cambio y 4) la satisfacción de los jugadores. Los resultados revelan que el 47,3% del contenido del programa de consultoría psicológica a distancia se inspira en el programa cognitivo-comportamental para los problemas de juego. La integridad de la administración del programa revela que 24,3% de los jugadores que lo completaron recibieron el conjunto de los elementos juzgados esenciales para el logro de los objetivos. Los resultados muestran un aumento estadísticamente significativo del sentimiento de que el problema de juego está resuelto o bajo control, una ausencia de efecto sobre el deseo de jugar que es estadísticamente significativa y un porcentaje de satisfacción elevado con respecto al programa. A la luz de estos resultados, la consultoría psicológica a distancia para jugadores problemáticos parece constituir un método de intervención satisfactorio. Los programas futuros de consultoría psicológica a distancia deberían aplicar un enfoque evaluativo y metodológico riguroso antes de su puesta en práctica a fin de asegurar su eficacia.

Palabras clave : asistencia psicológica a distancia, juego patológico, tratamiento, eficacia, problemas de juego

Introduction

Le jeu problématique engendre d’importantes répercussions sociales et financières pour les joueurs, leur famille et la société. Différents traitements ont démontré leur efficacité pour les problèmes de jeu, dont les thérapies cognitivo-comportementales (Pallesen et coll., 2007 ; Pallesen, Mitsem, Kvale, Johnsen, & Molde, 2005). Toutefois, amener les joueurs pathologiques à se tourner vers les ressources demeure un grand défi (Lesieur et Rosenthal, 1991). Différents obstacles peuvent empêcher ou différer la recherche d’aide. L’intention de régler ses problèmes par soi-même, les sentiments de honte et de culpabilité, la crainte de la stigmatisation, des inquiétudes liées à la confidentialité et ne pas juger avoir besoin d’aide se révèlent les obstacles les plus fréquemment identifiés dans la revue de littérature de Suurvali, Cordingley, Hodgins et Cunningham (2009). D’autres études identifient également l’inaccessibilité aux services (Coman et Burrows, 2002 ; Raylu, Oei, & Loo, 2008). Le télécounseling représente une option qui pourrait pallier certains obstacles à la recherche d’aide des joueurs.

Le télécounseling consiste en une intervention psychologique réalisée par téléphone. Conformément à la nomenclature de Coman, Burrows et Evans (2001), cette intervention peut prendre différentes formes selon la nature de l’interaction (par enregistrement audio ou en direct) et la durée du counseling (une intervention de crise ou plusieurs suivis étalés dans le temps). La forme de télécounseling qui s’approche le plus de l’intervention en face à face est celle qui est réalisée en direct et qui se poursuit dans le temps. Dans ce contexte, le client est connu du conseiller, l’intervention porte sur une problématique particulière et elle se déroule dans le cadre d’une intervention programmée, et ce, pour une période de temps donnée. Le télécounseling possède plusieurs avantages dont, entre autres, de desservir à faible coût un grand territoire et d’assurer l’anonymat des appelants (Coman et coll., 2001). Cette modalité n’offre toutefois pas la possibilité de réagir aux expressions non verbales et limite parfois la diversité des exercices en raison de l’absence de contact face à face (Coman et coll., 2001).

Différentes problématiques peuvent être traitées avec un certain succès par télécounseling, dont les troubles anxieux (Swinson, Fergus, Cox, & Wickwire, 1995), la consommation de tabac (Gilbert et Sutton, 2006) et les troubles alimentaires (Wells, Garvin, Dohm, & Striegel-Moore, 1997). Le télécounseling a été jugé aidant et satisfaisant par les utilisateurs (Reese, Conoley, & Brossart, 2002).

La plupart des programmes de télécounseling utilisent un « manuel » ou des travaux à compléter à la maison en complément aux séances d’intervention téléphonique (Leach et Christensen, 2006). À ce jour, les manuels d’auto-traitement pour les problèmes de jeu des études publiées utilisent les principes de la thérapie cognitivo-comportementale (TCC ; Raylu et coll., 2008) et les quelques études d’efficacité présentent des résultats encourageants (Dickerson, Hinchy, & England, 1990 ; Hodgins, Currie, & el-Guebaly, 2001 ; Petry et coll., 2006).

Un nombre limité d’études a vérifié l’efficacité du télécounseling pour les problèmes de jeu. Coman et Burrows (2002) ont évalué un programme de télécounseling de groupe prodigué sous la forme de conférences téléphoniques. L’intervention de six semaines, basée sur l’approche TCC, a été réalisée auprès de trente-quatre joueurs australiens répartis en groupe de six personnes. Les résultats révèlent un impact positif du traitement sur les attitudes et les comportements à l’égard du jeu, en plus d’une réduction significative des indicateurs d’anxiété et des difficultés de la vie liées au jeu. Les auteurs rapportent aussi une amélioration significative de la confiance des joueurs à l’égard de leur capacité à résister à leur envie de jouer.

En Ontario, Toneatto, Kosky et Leo ont créé, en 2003, un programme de télécounseling pour les joueurs pathologiques. Celui-ci comporte six rencontres téléphoniques, espacées sur six semaines, abordant chacune un thème spécifique auxquelles s’ajoute un manuel que le joueur remplit préalablement aux appels. Puisant ses fondements dans l’approche TCC, le programme permet au joueur de se fixer des objectifs dès le début, de maintenir sa motivation, de modifier son style de vie, d’explorer ses pensées liées au jeu, d’améliorer ses relations interpersonnelles et de prévenir la rechute. Toutefois, comme ce programme n’a pas réussi à rejoindre le nombre de joueurs visés, son efficacité n’a pu être évaluée (T. Toneatto, communication personnelle, juin 2009). Au Québec, le premier programme de télécounseling pour joueurs problématiques a été offert en 2006 dans le cadre d’un projet pilote de la ligne téléphonique provinciale d’aide en matière de jeu Jeu : aide et référence (JAR).

Programme de télécounseling de JAR

Le programme de télécounseling de JAR consiste en des rencontres téléphoniques auxquelles s’ajoute un manuel d’exercices et de réflexion. Il s’inspire du programme de traitement du jeu pathologique de nature cognitivo-comportementale de Ladouceur, Boutin, Doucet, Lachance et Sylvain (2000). Le traitement de Ladouceur et ses collaborateurs est celui qui est mis en application dans les Centres de réadaptation en dépendance du Québec et a été démontré comme étant efficace (Ladouceur et coll., 2001 ; Ladouceur, Sylvain, Letarte, Giroux, & Jacques, 1998 ; Sylvain, Ladouceur, & Boisvert, 1997). Avant d’entreprendre le programme, un conseiller effectue une évaluation du joueur par téléphone. Le manuel est ensuite envoyé par la poste au joueur, un chapitre à la fois, afin qu’il puisse compléter les exercices et amorcer sa réflexion avant la prochaine rencontre téléphonique. Chaque rencontre téléphonique (M = 75 minutes) aborde un thème précis, soit l’évaluation, la motivation, les finances, les idées erronées, les déclencheurs, la réorganisation de sa vie et la prévention de la rechute. Le joueur reçoit également, avec le premier envoi, une cinquantaine de grilles d’auto-enregistrement de ses activités de jeu. Le programme prévoit sept rencontres téléphoniques et jusqu’à trois rencontres de suivi (1 mois, 3 mois et 6 mois) ; le conseiller peut reporter les rencontres et arrêter le traitement à tout moment. Les délais d’administration entre les suivis varient ainsi de 4 à 61 jours. Tous les conseillers du programme ont préalablement reçu une formation en jeu pathologique et ont été supervisés tout au long du projet pilote.

À la suite de sa mise en application, le programme de télécounseling a fait l’objet d’une évaluation par le Centre de référence du Grand Montréal (CRGM). Selon le rapport de l’organisme, le programme a rejoint des joueurs ayant des profils sociodémographiques variés et en provenance d’un grand nombre de régions du Québec. Le rapport indique une réduction de 83 % des sommes moyennes dépensées par les joueurs entre le début et la fin du programme et une abstinence au jeu chez 63,3 % des joueurs. De plus, le rapport relève que le télécounseling est apprécié des joueurs (CRGM, 2007). En novembre 2006, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS) et le Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture (FQRSC) ont lancé un appel de propositions afin que l’ensemble des services de JAR, incluant le projet-pilote de télécounseling, soient évalués. Le mandat d’évaluation du programme a donc été lancé après la mise en place du service de télécounseling.

Objectifs

La présente étude évalue, a posteriori, le programme de télécounseling offert par JAR. Elle vise spécifiquement à évaluer (1) sa concordance avec le programme cognitivo-comportemental de Ladouceur et ses collaborateurs (2000), (2) l’intégrité de son application, (3) l’effet du programme sur la motivation au changement et (4) la satisfaction des joueurs à l’égard du programme offert.

Méthodologie

Type de protocole

Cette étude utilise les données recueillies par JAR avant l’octroi du mandat d’évaluation du programme de télécounseling, et ce, dans un protocole à groupe unique (aucun groupe de comparaison n’a été utilisé) avec mesures de prétest et de suivis sans posttest. Les données de prétest correspondent à celles qui ont été recueillies lors de la deuxième rencontre, alors que celles qui étaient disponibles à la suite de l’intervention correspondent respectivement aux trois suivis (1 mois, 3 mois et 6 mois).

Participants

Le recrutement, tel qu’effectué par JAR, a eu lieu du 15 février au 11 juin 2006 parmi les appelants à la ligne d’aide téléphonique. Pour accéder au programme, le joueur devait présenter un jeu problématique tel que perçu par l’intervenant, et ce, sans égard à la gravité. Les joueurs présentant une comorbidité d’alcoolisme, de toxicomanie, de santé mentale ou en urgence suicidaire ont été exclus du programme. Les dossiers de quatre-vingt-quatre joueurs québécois, soit la totalité des participants au programme, ont été analysés. Les participants se composent à 56,6 % de femmes et la moyenne d’âge s’élève à 46,7 ans (ET = 12,61). Les participants endossent en moyenne 6,49 des 10 critères diagnostiques du DSM-IV (American Psychiatric Association [APA], 1994). Les tableaux 1 et 2 détaillent, dans l’ordre, les informations sociodémographiques et les habitudes de jeu et de consommation des joueurs conformément aux variables présentées dans la section Instruments de mesure.

Tableau 1 : Caractéristiques sociodémographiques des participants au programme de télécounseling

Tableau 2 : Habitudes de jeu et catégories de joueurs, scores et catégories aux CAGE alcool, drogue et médicaments et objectifs de traitement des participants au programme de télécounseling

Des quatre-vingt-quatre joueurs qui ont commencé le programme de télécounseling, quarante-deux l’ont complété. Parmi ces joueurs, dix-neuf ont complété les trois suivis, dix-neuf autres ont complété un ou deux suivis et quatre n’ont complété aucun suivi. Concernant l’évaluation de l’effet du programme, seuls les joueurs ayant des données au prétest sont inclus dans les analyses (voir figure 1). Le taux d’attrition s’élève à 50,0 % (42 / 84) sur l’ensemble du programme et à 27,4 % après les deux premières rencontres téléphoniques. Le tableau 3 présente le cumulatif du nombre de joueurs ayant abandonné et le taux d’attrition pour chacune des rencontres.

Figure 1. Répartition des joueurs qui participent au programme selon la complétude ou non du programme et leur inclusion ou non dans les analyses en fonction de la présence de données au prétest.

Tableau 3 : Cumulatif des abandons et du taux d’attrition en fonction de chacunedes rencontres du programme de télécounseling

Instruments de mesure

Les instruments se divisent en deux catégories : a) ceux qui ont été administrés par JAR aux joueurs et b) ceux qui ont été complétés par les chercheurs à l’aide des dossiers cliniques fournis par JAR. Seuls les instruments ayant servi à compléter les objectifs de l’étude sont présentés. Pour obtenir les détails des autres instruments administrés par JAR, voir Fortin-Gagnon (2011).

Instruments administrés par JAR aux joueurs. Présentés selon la chronologie du programme, ces instruments ont tous été administrés par téléphone par les intervenants de JAR.

Informations sociodémographiques. Ce questionnaire de treize questions, complété lors de la première rencontre téléphonique, compile des informations telles que l’âge, le sexe, la situation civile et familiale ainsi que certaines informations sur le jeu.

South Oaks Gambling Screen (SOGS ; Lesieur et Blume, 1987). Le SOGS contient vingt items basés sur les critères diagnostiques du DSM-III et du DSM-III-R et dépiste la présence probable du jeu pathologique (Gambino et Lesieur, 2006). Le score varie de 0 à 20. Un score de 3 ou 4 correspond aux joueurs à risque de devenir pathologique et un score de 5 et plus correspond aux joueurs pathologiques probables (Volberg, 1996). Cet outil possède un coefficient de validité de 0,94, une consistance interne de 0,97 et un coefficient de fidélité de 0,71 (Lesieur et Blume, 1987).

Critères diagnostiques du DSM-IV pour le jeu pathologique (APA, 1994, version française APA, 1996). Dix critères servent à établir le diagnostic de jeu pathologique lorsque le joueur présente une pratique inadaptée, persistante et répétée du jeu avec au moins cinq manifestations sur les dix critères. Le jeu ne doit pas être mieux expliqué par une phase maniaque. Dans le programme de JAR, un score de 0 à 2 indique un jeu non problématique et un score de 3 ou 4 signifie des difficultés potentielles au jeu.

CAGE alcool (Mayfield, McLeod, & Hall, 1974). Cet instrument de quatre items dichotomiques (oui/non) recueille des informations sur la consommation d’alcool. Un score de 2 ou plus indique une grande probabilité de trouble lié à l’usage d’une substance (Ewing, 1984). Cet outil présente une bonne sensibilité (0,71), une bonne fidélité test-retest (entre 0,80 et 0,95) et une corrélation adéquate avec d’autres tests de dépistage (0,48-0,70) (Dhalla et Kopec, 2007).

CAGE drogues et médicaments. Il s’agit d’une version du CAGE alcool adaptée pour la consommation de drogues et de médicaments. Elle comporte quatre questions à choix de réponse dichotomique (oui/non) qui permettent de connaître la probabilité d’un problème d’abus/dépendance lié aux
drogues ou aux médicaments. Un score de 2 ou plus est considéré comme cliniquement significatif.

Questionnaire sur la motivation. Ce questionnaire a été créé par JAR et s’inspire des questions de Sylvain et coll. (1997). Il a pour but de promouvoir et de consolider la motivation au changement. Il comporte six questions, dont trois de type Likert (0 à 100 %) : 1- « Le sentiment que mon problème de jeu est résolu ou sous contrôle », 2- « La force de mes envies de jouer » et 3- « L’impression de pouvoir résister au jeu » et trois à réponses courtes qui portent sur : 4- la présence ou l’absence de jeu dans la journée, 5- le nombre d’heures passées à jouer et 6- les sommes d’argent dépensées au jeu dans la journée. Les questions 1 et 2 sont reprises aux suivis.

Inventaire des comportements à faible risque et à risque élevé. Ce questionnaire est complété avec le participant lors de la rencontre sur la motivation. Il est composé de onze énoncés pour lesquels le participant doit statuer si ceux-ci sont à faible risque ou à risque élevé pour lui. Cet instrument permet au participant de se conscientiser sur les risques de ses comportements.

Problem Gambling Severity Index (PGSI : Ferris et Wynne, 2001). Cet outil est constitué de neuf questions tirées de l’Indice canadien du jeu excessif (ICJE : Ferris et Wynne, 2001) et mesure la gravité du problème de jeu. Les items sont évalués sur une échelle de type Likert (0 = jamais à 3 = tout le temps) et son score peut varier de 0 à 27. Un score de 0 indique une absence de problème de jeu, un score de 1 ou 2 des habitudes de jeu à faible risque, un score entre 3 et 7 des habitudes de jeu à risque modéré et un score de 8 ou plus des habitudes de jeu excessives. Cet outil présente de bonnes qualités psychométriques. Il possède un coefficient de cohérence interne de 0,84, une fidélité test-retest de 0,78 et corrèle à 0,83 avec le DSM-IV et le SOGS (Ferris et Wynne, 2001).

Inventaire des jeux. Il s’agit d’une liste de seize activités de jeux avec lesquelles le joueur pourrait éprouver de la difficulté à se contrôler. Cet inventaire identifie les jeux problématiques et indique la période de temps depuis laquelle cette difficulté est présente.

Questionnaire d’évaluation du programme de télécounseling. Ce questionnaire a été développé par JAR afin de connaître la satisfaction des joueurs envers le programme de télécounseling. Il comporte six questions de type Likert (0 = peu satisfait à 10 = très satisfait ; 0 = beaucoup trop long [ou beaucoup trop court] à 10 = parfait), dont trois sont utilisées dans le présent projet, ainsi que deux questions ouvertes. Seules trois questions ont été retenues puisqu’elles portaient spécifiquement sur l’évaluation de la satisfaction : l’item 1 (satisfaction globale), l’item 3 (satisfaction concernant la durée du programme) et l’item 5 (satisfaction quant à la relation avec le conseiller).

Instruments complétés à partir des dossiers cliniques. Les instruments suivants ont été complétés par les chercheurs à l’aide des dossiers cliniques fournis par JAR.

Intégrité de l’administration du contenu de l’intervention de JAR. Cette grille a été développée afin d’évaluer l’intégrité de l’application du programme de télécounseling. Elle compte trente-neuf items à réponse trichotomique permettant de juger du degré d’administration de chacun des éléments du programme de télécounseling : « oui » = administration intégrale ; « en partie » = administration partielle et « non » = administration absente. Deux scores sont compilés à partir des informations colligées à l’aide de cette grille : 1) un score d’intégrité totale calculé sur les trente-neuf items de la grille et 2) un score d’intégrité limité aux trente et un items correspondant aux éléments jugés importants à administrer pour atteindre les objectifs de chaque rencontre. Ces éléments ont fait l’objet d’un accord interjuge (96,8 % après consensus). Une grille est complétée pour chacun des dossiers anonymisés. Pour plus de détails concernant la création de l’outil, se référer à Fortin-Gagnon (2011).

Nature du contenu TCC du programme. Cette grille a été développée pour les besoins de cette recherche et se divise en deux sections. La première section évalue la présence dans le programme des interventions faisant partie des composantes cognitives et comportementales du programme pour le traitement du jeu pathologique de Ladouceur et coll. (2000). Ces composantes sont analysées selon le moment de l’intervention, soit l’évaluation, la prévention de la rechute, l’évaluation post-traitement et les suivis. La grille a été créée en décomposant le traitement de Ladouceur et coll. (2000) en interventions spécifiques nommées « éléments » et sa composition a fait l’objet d’un accord interjuge. Le nombre d’éléments par moment d’intervention varie de deux à vingt pour un total de cinquante-huit éléments. Si un élément était abordé dans son entièreté dans le programme JAR, il recevait la cote « oui », s’il était absent du programme, il recevait la cote « non ». Une cote « en partie » était attribuée à un élément qui n’était pas abordé dans sa totalité dans le programme de télécounseling. La deuxième section de la grille évalue ce que devrait comprendre un manuel de traitement de TCC selon les critères généraux de Duncan et coll. (2004). Comme cette information n’atteint pas les objectifs de cet article, cette grille n’est pas détaillée ici. Pour plus de détails concernant la création de l’outil, se référer à Fortin-Gagnon (2011).

Déroulement

JAR a transmis aux auteurs de l’étude les quatre-vingt-quatre dossiers cliniques anonymisés des joueurs ayant participé au programme de télécounseling. Les données pour évaluer l’effet du programme sur la motivation au changement, l’intégrité de l’administration du contenu de l’intervention et la concordance avec le programme cognitivo-comportemental de Ladouceur et coll. (2000) ont été extraites des dossiers.

Variables dépendantes

Effet du programme sur la motivation au changement. La motivation est évaluée à l’aide des scores obtenus aux deux questions du « Questionnaire sur la motivation » : 1) le sentiment que mon problème de jeu est résolu ou sous contrôle et 2) la force de mes envies de jouer. Ces questions ont été choisies à défaut de pouvoir évaluer l’efficacité du programme puisqu’aucun des trois outils d’évaluation utilisés (SOGS, DSM-IV et PGSI) n’a été administré à nouveau par JAR en fin de traitement ou aux suivis.

Intégrité du programme. Deux pourcentages sont calculés à partir de la grille « Intégrité de l’administration du contenu de l’intervention de JAR » : 1) un pourcentage d’intégrité de l’administration sur l’ensemble des items (intégrité totale) et 2) un pourcentage d’intégrité de l’administration des éléments importants.

Concordance avec le programme cognitivo-comportemental de Ladouceur et coll. (2000). À l’aide de la grille « Nature du contenu TCC du programme », le pourcentage des éléments du programme de télécounseling inspirés du programme de Ladouceur et coll. (2000) est calculé.

Satisfaction. Le « Questionnaire d’évaluation du programme de télécounseling » permet d’évaluer la satisfaction du participant sur trois aspects : 1) l’ensemble du programme ; 2) la durée du programme et 3) la relation avec le conseiller.

Analyses statistiques

Les analyses quantitatives ont été effectuées à l’aide du logiciel SPSS (version 13.0, 2004). Des régressions linéaires mixtes (procédure MIXED de SPSS) ont été réalisées pour les analyses à mesures répétées effectuées sur les quarante-cinq joueurs avec des données au prétest. Les analyses ont été réalisées selon une covariance non structurée, sur quatre temps de mesure, soit avec les données au prétest ainsi qu’avec celles recueillies aux trois suivis. Lorsque les régressions révélaient un effet significatif du programme dans le temps, des comparaisons sont effectuées selon certaines caractéristiques des joueurs, soit le score et la catégorie de joueurs au DSM-IV ainsi que le score et la catégorie de joueurs au SOGS. Pour toutes les analyses, lorsque le nombre de joueurs pour qui il y avait des données manquantes était supérieur à 5,0 %, l’hypothèse a été posée que les réponses de ces derniers ne différaient pas de celles des autres joueurs.

Comparaison des joueurs avec et sans données disponibles au prétest pour les questions mesurant l’effet du programme sur la motivation au changement. Considérant le fort taux de données manquantes pour les deux questions mesurant la motivation au changement, les caractéristiques des joueurs avec données au prétest (n = 45) ont été comparées à celles des joueurs avec données manquantes (n = 39). Comme les quarante-cinq joueurs avec données au prétest diffèrent pour l’une et l’autre des deux questions, les analyses (test t et khi carré) sont réalisées en fonction de la présence ou non de données pour ces questions. Ces comparaisons sont effectuées afin de généraliser les résultats obtenus en considérant la donnée manquante au prétest comme attribuée aléatoirement. Les caractéristiques sociodémographiques (âge, sexe, situation civile ou familiale, scolarité, occupation et revenu) des joueurs font l’objet de ces comparaisons ainsi que les variables suivantes : l’aide préalablement reçue, le nombre de jeux problématiques, les scores obtenus au DSM-IV, au SOGS, au PGSI, au CAGE alcool, et au CAGE drogues et médicaments. Aucune différence statistiquement significative ne ressort entre les joueurs avec et sans données manquantes au prétest au « sentiment que le problème de jeu est sous contrôle ».

Pour ce qui est de la « force des envies de jouer », les comparaisons révèlent une différence statistiquement significative (p = 0,026) pour l’« aide préalable ». Les joueurs ayant des données manquantes sont plus nombreux (59,5 %) que les joueurs sans données manquantes (37,8 %) à avoir reçu une aide antérieure au présent programme.

Comparaison des joueurs avec et sans suivi. Les mêmes comparaisons réalisées précédemment ont été effectuées entre les joueurs ayant complété au moins un suivi et ceux n’en ayant complété aucun parmi les quarante-cinq joueurs avec des données au prétest. Ainsi, pour le « sentiment que le problème de jeu est sous contrôle », les vingt-quatre joueurs ayant reçu au moins un suivi ont été comparés aux vingt et un joueurs n’ayant reçu aucun suivi. Aucune différence statistiquement significative n’a été trouvée.

Pour ce qui est de la « force des envies de jouer », les quarante-cinq joueurs inclus ont été sous-divisés selon la présence (n = 22) ou l’absence de suivis (n = 23). L’analyse indique une différence statistiquement significative (p = 0,022) entre ces groupes au CAGE drogues et médicaments. Plus de joueurs (11,1 %) ayant reçu au moins un suivi présentent un problème probable d’abus/dépendance aux drogues/médicaments, comparativement aux joueurs n’ayant pas complété de suivis (0 %). Cette différence sera donc considérée lors de l’analyse subséquente.

Résultats

Effet du programme sur la motivation au changement

Des analyses à mesures répétées (procédure MIXED) ont été réalisées sur les deux variables évaluant l’effet du programme pour les quarante-cinq joueurs avec des données au prétest.

Sentiment que le problème de jeu est sous contrôle. Un effet temps statistiquement significatif ressort, F (3, 14) = 28,34, p < 0,001. Comme illustré à la figure 2, les analyses de contrastes révèlent un sentiment de contrôle statistiquement plus élevé lors des suivis (1, 2 et 3), comparativement au prétest. Aucune différence statistiquement significative n’a été détectée entre les trois suivis[1].

Figure 2. Perception de contrôle du problème de jeu et de la force des envies de jouer selon le temps de mesure

Force des envies de jouer. L’analyse à mesures répétées (procédure MIXED) ne révèle aucun effet temps statistiquement significatif (F (3, 14) = 0,10, p = 0,959) (voir la figure 2). Puisqu’une différence significative au niveau du score au CAGE drogues et médicaments avait été identifiée lors des analyses précédentes, cette variable a été considérée comme covariable dans l’analyse et l’effet temps demeure non significatif. La présence ou l’absence de données au suivi a également été considérée comme covariable dans les analyses et cette variable est non significative[2].

Intégrité du programme de télécounseling

Administration du programme. Les résultats montrent que le taux d’administration intégrale des éléments du programme de télécounseling varie de 21,6 % à 81,0 % selon les rencontres (voir le tableau 4). Un accord interjuge, effectué sur 25 % de l’échantillon, révèle un kappa de 0,94. Le nombre moyen d’éléments administrés se chiffre à 35,05 sur un total de 39 (ET = 2,82) et 10,8 % des joueurs ont reçu les trente-neuf éléments du programme.

Administration des éléments importants. L’analyse effectuée pour les éléments les plus importants du programme révèle que 24,3 % des joueurs ayant complété le programme ont reçu l’ensemble des trente et un éléments jugés comme étant essentiels à l’atteinte des objectifs, pour une moyenne de 28,81 (ET = 2,11) éléments sur 31. Le taux d’administration varie d’une rencontre à l’autre : le plus bas taux étant de 24,4 % (rencontre d’évaluation), alors que le plus haut taux s’élève à 90,2 % (rencontre IV).

Tableau 4 : Nombre d’éléments composant chacune des rencontres du programme de télécounseling et leur administration intégrale ou partielle selon la rencontre

Concordance avec le programme cognitivo-comportemental de Ladouceur et coll. (2000). Près de 33 % (32,7 %) des éléments provenant des composantes du programme de Ladouceur et coll. (2000) sont abordés dans leur entièreté dans le programme de télécounseling de JAR et 14,6 % des éléments ont été abordés partiellement. Ainsi, un total de 47,3 % des éléments du programme de télécounseling se révèlent similaires au programme de traitement cognitivo-comportemental de Ladouceur et coll. (2000). Pour ce qui est des éléments manquants, notons les principales situations à risque et les avantages/désavantages à jouer ou à cesser de jouer, l’analyse d’une séance de jeu, l’explication de la chaîne des comportements liés au jeu excessif ainsi que l’espoir de se refaire. Le tableau 5 présente les résultats obtenus pour chacune des composantes du programme de Ladouceur et coll.

Tableau 5 : Pourcentage des éléments du programme de Ladouceur et coll. (2000) dans le programme de télécounseling selon la composante.

Satisfaction

La satisfaction moyenne pour l’ensemble du programme de télécounseling (n = 22) s’élève à 9,05 sur 10 (ET = 1,64). Les principaux commentaires font état d’un service de qualité et rapide qui permet d’obtenir de l’écoute de la part d’intervenants respectueux. Certains commentaires négatifs réfèrent à l’attente entre les appels (ces derniers sont initiés par les intervenants) et l’intérêt d’aborder davantage les raisons poussant à jouer de façon excessive. La satisfaction moyenne (n = 20) à l’égard de la durée du programme s’élève à 8,05 sur 10 (ET = 3,07). Plus particulièrement, neuf personnes mentionnent que le traitement est trop court et certains joueurs recommandent d’augmenter le nombre d’appels téléphoniques et d’étendre la période de suivi. Une seule personne mentionne que le programme est trop long. Finalement, la satisfaction quant à la relation avec le conseiller (n = 21) atteint 9,90 sur 10 (ET = 0,30). Les joueurs mentionnent apprécier chez les conseillers le respect, le professionnalisme, l’empathie, le calme, l’ouverture d’esprit, la compréhension, la patience, la flexibilité, leurs encouragements et leur capacité à les motiver.

Discussion

Cette étude a pour but d’évaluer a posteriori, à partir des dossiers cliniques, le programme pilote de télécounseling offert par JAR aux joueurs problématiques.

Le premier objectif consiste à évaluer la concordance du programme de télécounseling avec le programme TCC de Ladouceur et coll. (2000). Les résultats révèlent que moins de 50 % des composantes du programme de télécounseling sont inspirées du traitement cognitivo-comportemental de Ladouceur et coll. Certains éléments pertinents sont absents, dont ceux permettant d’effectuer une restructuration cognitive efficace. En effet, le joueur n’est jamais questionné sur ses propres pensées par rapport au jeu. Facilement réalisable au téléphone, l’intervenant pourrait inviter le joueur à identifier ses pensées avant, pendant et après une séance de jeu afin de remplacer les pensées erronées par des pensées plus adéquates. Il pourrait également être pertinent d’identifier les situations à risque à l’aide du modèle ABC (A : situation à risque, B : pensée automatique qui me donne envie de jouer, C : conséquence). L’ajout de ces éléments pourrait augmenter le contenu TCC du programme de télécounseling et, ainsi, possiblement en augmenter l’impact.

Le deuxième objectif consiste à vérifier l’intégrité de l’application du programme. L’évaluation indique que 24,3 % des participants ont reçu les trente et un éléments jugés comme étant importants pour l’atteinte des objectifs. Néanmoins, vingt-neuf éléments sur trente et un sont abordés en moyenne avec les joueurs. Étant donné l’absence d’information permettant d’expliquer cette situation, il est possible de croire que les intervenants ont usé de leur jugement clinique afin de déterminer la pertinence des éléments à utiliser en cours de rencontre. Afin d’augmenter le niveau d’intégrité dans l’administration du programme et, ainsi, son potentiel d’efficacité, il serait pertinent d’ajouter une liste de vérification (check list) des items devant être abordés au cours d’une rencontre.

Le troisième objectif consiste à vérifier les effets du programme de télécounseling sur la motivation au changement. Les données recueillies à la suite du programme indiquent que les joueurs augmentent leur sentiment de résolution ou de contrôle de leur problème de jeu. L’augmentation constatée se maintient lors des suivis et se compare aux résultats obtenus par Coman et Burrow (2002) et Sylvain et coll. (1997). Par ailleurs, aucun effet n’est observé sur la force des envies de jouer. Ce résultat pourrait s’expliquer par un effet plancher de la mesure ; la moyenne des envies de jouer au début du programme s’élève à 2,34 sur 10, laissant ainsi peu de place à une diminution statistiquement significative. Toutefois, il est aussi possible qu’un plus grand nombre de rencontres téléphoniques aurait pu diminuer les envies de jouer (Crisp et coll., 2001 ; Walker, 2005). Bien que ces résultats offrent de l’information sur l’impact du programme chez les joueurs, ils ne peuvent se substituer à une évaluation en règle de l’efficacité de l’intervention. En raison de l’absence de mesures répétées des comportements de jeu ou des critères diagnostiques du jeu pathologique permettant de juger de manière plus adéquate l’efficacité du programme offert par JAR, les résultats de la présente étude se comparent difficilement à ceux d’autres études qui ont testé des traitements à court terme pour le jeu. À titre d’exemple, Dickerson et coll. (1990), Hodgins et coll. (2001) et Petry et coll. (2006) rapportent des résultats selon le nombre de critères diagnostiques endossés, le nombre de jours de jeu et les montants d’argent dépensé par séance de jeu. Il n’est donc pas possible d’affirmer que les joueurs n’ont plus de problème de jeu à la suite du programme de télécounseling en raison de l’absence d’évaluation diagnostique à la suite de l’intervention. Les futures études devront pallier cette difficulté en adaptant la méthodologie pour administrer les critères diagnostiques du jeu pathologique avant et après le programme. De plus, la présence d’un groupe de comparaison permettrait d’évaluer l’effet réel du programme.

Enfin, le dernier objectif vise à vérifier la satisfaction des joueurs par rapport au programme. Les joueurs apprécient le programme de télécounseling offert, avec un taux de satisfaction pour l’ensemble du programme de 90,5 %. Ce résultat se compare avantageusement à ceux obtenus auprès d’utilisateurs de programme de traitements autoadministrés ou de télécounseling de groupe pour joueurs pathologiques, où les taux varient de 45 % à 71 % (Coman et Burrows, 2002 ; Hodgins et coll., 2001 ; Petry et coll., 2006). Les joueurs s’avèrent plutôt satisfaits de la longueur du programme, mais plusieurs laissent entendre que le traitement est trop court. Certains joueurs conseillent d’offrir un nombre d’appels téléphoniques plus élevé et un suivi s’étendant sur une plus longue période. Ce résultat s’apparente également au constat qui se dégage de l’étude du programme d’autotraitement JEu me questionne où les joueurs souhaitent avoir un plus grand nombre de contacts téléphoniques (Ladouceur et coll., 2010). De plus, tout comme pour l’étude de Coman et Burrows (2002), les joueurs rapportent une très grande satisfaction quant aux qualités professionnelles des conseillers.

Cette étude présente certaines forces et limites. La plus grande force de cette recherche est le sujet lui-même. En effet, le télécounseling représente une nouvelle modalité d’intervention pour les joueurs. Elle se distingue par sa capacité à rejoindre les participants, peu importe leur localisation. Le télécounseling peut faciliter la demande d’aide en minimisant certains obstacles à l’accès aux services (p. ex. : peur, honte, etc.). Cette étude est l’une des seules à procéder à l’évaluation de ce type de programme. Il est donc intéressant d’en connaître davantage sur ses impacts, sa méthode d’application ainsi que la satisfaction des utilisateurs, particulièrement dans un contexte où peu de joueurs consultent et restent en traitement. Les taux d’attrition observés au cours de l’intervention par télécounseling se chiffrent à 50 %, ce qui se compare aux taux habituellement retrouvés dans les études sur le traitement du jeu pathologique (Melville, Casey, & Kavanagh, 2007) de même que dans les études évaluant des traitements autoadministrés ou du télécounseling pour d’autres problématiques (p. ex. : dépression, cessation tabagique, alcoolisme ; Bilich, Deane, Phipps, Barisic, & Gould, 2008 ; Gilbert et Sutton, 2006 ; Jamison et Scogin, 1995 ; Miller et Taylors, 1980 ; Mimeault et Morin, 1999 ; Swinson et coll., 1995 ; Wells et coll., 1997). Rappelons que JAR recrutait les joueurs sans considération de la gravité de leur problème de jeu. Ainsi, des joueurs pourraient avoir abandonné, car ils n’avaient besoin que d’une aide ponctuelle brève.

En ce qui concerne les limites, mentionnons d’abord que cette étude ne prétend pas avoir un échantillon représentatif de la population de joueurs puisqu’elle utilise un échantillon de convenance. De plus, JAR a recueilli les données avant qu’un protocole évaluatif soit conçu. Pour cette raison, les données n’étaient pas vouées à répondre aux objectifs de la présente étude, ce qui limite la portée des résultats. Par exemple, aucun des trois outils d’évaluation utilisés en début de traitement n’a été administré à la fin du traitement et lors des suivis. Ceci rend donc impossible l’estimation de l’impact de l’intervention sur le problème de jeu, soit l’élément central pour juger de l’efficacité d’une intervention. Il est également à noter que plusieurs données sont manquantes dans les dossiers, ce qui affecte la puissance statistique des analyses réalisées ou la réalisation de certaines analyses, dont l’absence des données financières dans les dossiers des joueurs. De surcroît, l’évaluation de l’intégrité du traitement a été réalisée indirectement, à partir des documents fournis par JAR. Il aurait été pertinent d’avoir accès à des enregistrements audio des rencontres téléphoniques afin de juger autant de l’adhérence au traitement que de l’intégrité de l’administration.

Conclusion

Le télécounseling représente une modalité d’intervention prometteuse pour les joueurs pathologiques, puisqu’il présente un grand potentiel pour rejoindre ceux qui ne consultent pas les ressources traditionnelles. Bien que diverses lacunes méthodologiques nuisent à une conclusion franche quant à l’efficacité du programme de télécounseling proposé par JAR, il n’en reste pas moins que les joueurs rapportent un meilleur sentiment de contrôle par rapport à leur problème de jeu et que le traitement a été apprécié. D’autres recherches poussant l’évaluation de cette modalité d’intervention auprès des joueurs permettront de raffiner les connaissances sur le sujet, de cibler les composantes de traitement essentielles et d’améliorer le programme offert.

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Notes

[1] ^Pour toutes les analyses de régression, la covariance autorégressive d’ordre 1 et compound symmetry ont été testées afin de vérifier la sensibilité des résultats. Les résultats ne diffèrent pas en fonction du choix de la covariance pour réaliser les analyses à mesures répétées.
[2] ^À titre exploratoire, des analyses ont été effectuées auprès des huit joueurs pour lesquels les données étaient disponibles à tous les temps de mesure. Les résultats obtenus sont similaires à ceux des analyses précédentes. Pour la variable contrôle du problème de jeu, un effet temps statistiquement significatif est observé (F (3, 7) = 13,24, p = 0,003), alors que pour la variable force des envies de jouer, aucun effet significatif n’a été décelé (F (3, 7) = 0,82, p = 0,525).

Tous droits réservés © Drogues, santé et société, 2013

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