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ANDRÉE-ANNE LÉGARÉ /

Andrée-Anne Légaré, Ph. D, professeure adjointe, Faculté de médecine et des sciences de la santé, Université de Sherbrooke

Magali Dufour, Ph. D, professeure agrégée, Département de psychologie, Université du Québec à Montréal

Joël Tremblay, Ph. D, professeur titulaire, Département de psychoéducation et travail social, Université du Québec à Trois-Rivières

Natacha Brunelle, Ph. D, professeure titulaire, Département de psychoéducation et travail social, Université du Québec à Trois-Rivières

Mathieu Goyette, Ph. D, professeur agrégé, Département de sexologie, Université du Québec à Montréal

Antoine Lemay, B.A., candidat au doctorat en psychologie, Université du Québec à Montréal

Yasser Khazaal, MD, Ph. D, professeur titulaire, Université de Lausanne

Correspondance
Andrée-Anne Légaré
150, Place Charles-Lemoyne Longueuil, Qc,
J4K 0A8 (450) 463-1835
Andree-anne.legare@usherbrooke.ca


Résumé

Des éléments de convergence entre les activités de jeux de hasard et d’argent (JHA) et les jeux vidéo (JV) ont été identifiés dans la documentation scientifique. Toutefois, le manque d’études qualitatives sur le sujet limite la compréhension de l’influence de ces phénomènes sur la participation aux JHA et aux JV. La présente étude recourt à un devis qualitatif afin d’explorer les points de vue et perceptions de joueurs de JHA et de JV quant aux similitudes et aux différences ainsi que les interrelations entre ces deux activités. Un échantillon de 22 joueurs de JHA et de JV âgés en moyenne de 19 ans (ET=1,53) a été constitué afin de s’entretenir sur la convergence entre ces activités. Les entrevues réalisées ont permis de mettre en lumière que le plaisir, le divertissement ainsi que l’acquisition de gains constituent des motivations communes à s’investir dans ces activités. Trois interrelations entre la participation aux JHA et aux JV ont été identifiées dans le discours des participants, soit (1) une absence d’initiation aux JHA via la participation aux JV, (2) une relation indiquant que la participation aux JV prévient la participation aux JHA, et inversement (3) que la participation aux JV génère un intérêt envers la participation aux JHA. L’étude met en lumière l’influence potentielle que la participation aux JV peut avoir sur l’initiation des JHA, par l’exposition aux publicités de JHA dans les JV, ainsi que la nécessité de poursuivre des recherches afin d’explorer davantage les motifs sous-jacents à cette convergence.

Mots-clés : jeux vidéo, jeux de hasard et d’argent, jeunes adultes, gamification, gamblification  

Convergence of games? Perception of the interrelation between video games and gambling activities

Abstract

Evidence of convergence between gambling activities and video games (VG) has been identified in the scientific literature. However, the lack of qualitative studies on the topic limits the understanding of the influence of these phenomena on participation in VG and gambling. The present study uses a qualitative design to explore the views and perceptions of gamblers and gamers regarding the similarities and differences as well as the interrelationships between these two activities. A sample of 22 gambling and VG players with an average age of 19 years (SD=1.53) was selected to discuss the convergence between these activities. The interviews revealed that fun, entertainment, and the acquisition of winnings are common motivations for engaging in these activities. Three interrelationships between gambling and VG participation were identified in the participants’ discourse, namely (1) an absence of initiation to gambling via VG participation, (2) a relationship indicating that VG participation prevents gambling participation, and conversely (3) that VG participation generates an interest in gambling participation. The study highlights the potential influence that VG participation may have on gambling initiation through exposure to gambling advertisements in video games, as well as the need for further research to further explore the motives underlying this convergence.

Keywords: video games, gambling activities, young adults, gamification, gamblification  

Convergencia de juegos? Percepción de la interrelación entre los juegos video y los juegos de azar y por dinero

En la documentación científica se han identificado elementos de convergencia entre las actividades de juegos de azar (JA) y los juegos video (JV). Sin embargo, la falta de estudios cualitativos sobre el tema limita la comprensión de la influencia que estos fenómenos tienen en la participación de los usuarios en los JV y los JA. Este estudio utiliza una estimación cualitativa para explorar los puntos de vista y las percepciones de los jugadores de JA y de JV en lo que respecta a las similitudes y diferencias, así como a las interrelaciones entre estas dos actividades. Se formó una muestra de 22 jugadores de JA y de JV con edades promedio de 19 años (RT=11,53) para estudiar la convergencia entre estas dos actividades. Las entrevistas realizadas permitieron revelar que el placer y la diversión, así como la adquisición de ganancias constituyen motivaciones comunes para la práctica de estas actividades. Se identificaron tres interrelaciones entre la participación en los JA y los JV en el discurso de los participantes: 1) la falta de una iniciación a los JA por vía de los JV; 2) una relación que indica que la participación en los JV previene la participación en los JA y viceversa y 3) que la participación en los JV genera un interés hacia la participación en los JA. El estudio destaca la influencia potencial que los JV pueden tener en la iniciación a los JA por la exposición a las publicidades de los JA en los JV así como la necesidad de continuar la investigación con el objetivo de explorar más profundamente los motivos subyacentes a esta convergencia.

Palabras clave: juegos video, juegos de azar y por dinero, jóvenes adultos, ludificación, gamblificación  


L’accessibilité grandissante d’Internet, facilitée par la démocratisation des plateformes techno­logiques au courant des dernières années, a engendré des transformations importantes dans le domaine du divertissement. L’industrie des jeux de hasard et d’argent (JHA) et celle des jeux vidéo (JV) se sont diversifiées et ont gagné en popularité, notamment en recourant à des stratégies d’attractivité similaires (Kolandai-Matchett et Wenden Abbott, 2022). Sanders et Williams (2018) mentionnent à cet effet la présence de similarités sur le plan des interfaces de jeu, dont l’expérience immersive et l’accent mis sur des éléments audiovisuels attrayants tant dans les JHA que les JV.

Au cours des dernières années, deux phénomènes de convergence entre ces activités ont été identifiés (Kolandai-Matchett et Wenden Abbott, 2022). Le premier phénomène de convergence identifié, la « gamblification », réfère à l’utilisation de mécanismes habituellement retrouvés dans les JHA dans un contexte autre que ceux-ci, notamment dans les JV (Macey et Hamari, 2022). L’achat de produits dérivés dans les JV, par exemple de « boîte à butin » (loot boxes) (Drummond et al., 2020 ; Hamari et Keronen, 2017) ou les microtransactions gratuites (free-to-play) qui sont proposées en cours de jeu afin de progresser plus rapidement, témoignent notamment d’un modèle d’affaires calqué sur celui de l’industrie des JHA (Macey et Hamari, 2018, 2022 ; Savard et al., 2018). De plus, la « gamblification » des JV est bien souvent associée aux sports électroniques (eSports ) en raison de plateformes de paris sportifs qui ont été créées pour cette pratique de JV (Gainsbury, 2017). Le second phénomène observé dans l’interrelation entre les activités de JHA et de JV se nomme la ludification, ou la « gamification » (Fisher et Griffiths, 1995 ; Johansson et Goëtestam, 2004 ; Macey et Hamari, 2018). La ludification consiste à appliquer des mécanismes d’initiation et de maintien de l’engagement des JV, par exemple la notion de pointage, de niveaux ou de missions, à d’autres domaines que celui des JV, dans le cas présent, à l’interface des JHA. Les deux phénomènes, la « gamblification » et la ludification ont un objectif commun, soit de favoriser l’expérience de jeu afin de générer des profits importants (Fisher et Griffiths, 1995 ; Macey et Hamari, 2018). Conjointement, la gamblification et la ludification contribuent à rendre plus complexe la distinction entre les activités de JHA et de JV (Kolandai-Matchett et Wenden Abbott, 2022).

En dépit des frontières de plus en plus minces entre les JHA et les JV, la documentation scientifique tend traditionnellement à traiter ces activités de façon distincte, occultant ainsi la possibilité d’étudier plus en détail les manifestations de ces interrelations et les conséquences qui leur sont potentiellement associées. Une recension de la documentation scientifique indique la présence d’une vingtaine d’études visant à identifier les liens unissant la participation au JV et la participation aux JHA (Lawn et al., 2020). Près d’une dizaine d’études ont permis de documenter l’influence que peut avoir la participation aux JV sur la participation aux JHA (Armstrong et al., 2018 ; Derevensky et Gainsbury, 2016 ; Floros, 2018 ; Frahn et al., 2015 ; Gainsbury et al., 2015 ; Kim et al., 2015 ; Kim et al., 2017 ; Teichert et al., 2017). Une tendance se dégage par rapport à la transition entre les activités de JHA simulées et gratuites (social casino games) vers des activités de JHA payantes (Armstrong et al., 2018 ; Derevensky et Gainsbury, 2016 ; Dussault et al., 2017 ; Floros, 2018 ; Frahn et al., 2015 ; Gainsbury et al., 2015 ; Kim et al., 2015 ; Kim et al., 2017 ; Teichert et al., 2017). Les microtransactions dans le cadre des JV, particulièrement au sein des jeux de type free-to-play, tel que l’achat de « boîte à butin » ou d’achats pour générer un avancement, ont elles aussi été identifiées comme un élément prédicteur de la migration vers les activités de JHA en ligne (Kim et al., 2017). Par exemple, Kim et al. (2015) ont suivi sur une période de six mois des joueurs de JV de type free-to-play qui n’avaient jamais joué à un JHA auparavant. Ils ont constaté que les personnes ayant indiqué avoir effectué des microtransactions lors du premier temps de mesure étaient environ huit fois plus susceptibles de miser de l’argent dans à un JHA au cours des six mois suivants que ceux n’ayant pas effectué de microtransactions. La recension de la documentation scientifique de Lawn et al. (2020) conclut que les données actuelles sur la relation unissant la participation aux JV et la participation aux JHA sont insuffisantes pour dégager un constat satisfaisant. Les auteurs statuent sur la nécessité de mieux connaître la relation entre l’initiation des JHA via les JV, et nomment également un besoin de recherches supplémentaires sur des facteurs spécifiques entourant cette relation, notamment l’identification des motivations à la participation ainsi que l’intention qui sous-tend la migration entre les activités (Lawn et al., 2020).

Dans le même sens, Gainsbury (2019) soulignait plusieurs lacunes et besoins quant aux études sur la pratique des JV et des JHA. D’abord, elle relève que la documentation scientifique sur l’utilisation de « boîtes à butin » dans les JV et son association à la participation aux JHA est majoritairement constituée d’études corrélationnelles dont la méthode ne permet pas d’appuyer la théorie de la migration avancée par certains auteurs. De plus, tant Gainsbury (2019) que Lawn et al. (2020) identifient plusieurs limites méthodologiques aux études qui s’intéressent au lien entre les JV et les JHA, notamment, l’utilisation de devis transversaux et la nature quantitative des études qui laissent peu de place à l’exploration des perceptions quant à l’interinfluence de la participation aux JV et aux JHA. Le besoin de recourir à des études qualitatives permettant d’explorer en profondeur les perceptions de l’expérience et les motivations des joueurs de JV qui s’engagent également dans les activités de JHA est noté (King et Delfabbro, 2016 ; Teichert et al., 2017). Le recours à des devis qualitatifs s’intéressant au point de vue et aux perceptions des joueurs de JV et de JHA permettrait d’approfondir les connaissances sur les liens existants entre ces deux activités potentiellement à risque. C’est dans l’optique de répondre à ce besoin d’exploration qualitative de l’expérience des joueurs de JV et de JHA que s’inscrit la présente étude. L’objectif de celle-ci est d’explorer, selon la perspective de joueurs et joueuses JV et JHA, leurs perceptions quant aux similitudes et aux divergences entre les JV et les JHA ainsi que l’interrelation existante entre ces activités.

Méthode

Participants

L’échantillon est composé de 22 entrevues extraites d’un projet de recherche plus vaste réalisé par Dufour et al. (2018). Dans le cadre du projet initial, 90 jeunes adultes ont été recrutés afin de réaliser la validation d’un instrument de mesure ainsi que pour discuter de leur perception de l’inter­relation entre les JHA et les JV. Ces participants ont été sollicités via la banque de participants du projet CyberJeunes (Brunelle et al., 2015), par publicité ainsi que par stratégie boule de neige (respondant driven sampling ; pour plus de détails, voir Dufour et al., 2018). Afin d’être inclus dans l’échantillon de la présente étude, les participants devaient : (1) avoir joué de l’argent à un JHA au cours de la dernière année et (2) avoir joué à un JV au cours de la dernière année.

Au total, 50 participants de l’étude initiale correspondaient à ces critères. Les transcriptions des entrevues avec ces participants ont été sélectionnées aux fins d’analyse. L’extraction des données s’est déroulée jusqu’à l’atteinte d’une saturation empirique déterminée de façon interjuge. Considérant que la saturation empirique des données est atteinte, tout en respectant les barèmes de saturation de Morse (1995), 22 participants composent l’échantillon utilisé pour cette étude (voir Tableau 1). Les participants ont été identifiés à l’aide de prénoms fictifs. Ces derniers sont âgés de 18 à 24 ans (M=19,59 ; ET=1,53). L’échantillon est composé de 8 hommes (36,4 %) et 14 femmes (63,6 %). De ces participants, 17 s’identifient comme étant Canadiens, un seul s’identifie comme étant issu d’une première nation alors que 4 réponses sont manquantes.  

 

Entrevue

Une entrevue individuelle semi-structurée dont une partie était dédiée à la participation aux JHA et aux JV a été utilisée pour collecter les données de cette étude. Les données descriptives incluant le sexe et l’âge des participants étaient recueillies au début de l’entrevue individuelle. Des questions portant sur les activités réalisées en ligne étaient ensuite posées aux participants. Ceux-ci devaient indiquer si « Oui » ou « Non » ils avaient joué aux JV au cours de la dernière année et lorsque leur réponse était « Oui », ils étaient invités à indiquer le nombre d’heures passées sur les JV au cours de la dernière semaine.

La section d’entrevue visant les JHA et les JV comptait 11 questions ouvertes. Cette section n’était répondue que par les participants indiquant avoir joué à un JHA au moins une fois dans la dernière année. Les questions de cette section d’entrevue portaient sur (1) les JHA joués dans la dernière année ainsi que les préférences en termes de JHA ; (2) les motifs de participations aux JHA et aux JV ; (3) la perception des ressemblances et des différences entre les activités de JHA et les JV ; (4) la manière de contrôler la participation à ces activités ; (5) la perception de l’interinfluence entre ces activités. Tout au long de l’entrevue, les participants étaient amenés à discuter de leur pratique et de leurs perceptions des JHA ou des JV.

Les entrevues ont été réalisées par six intervenants ayant été formés à la passation de la grille d’évaluation (Dufour et al., 2018). Les entrevues étaient d’une durée approximative de 120 minutes. Il faut noter que la portion d’entrevue sur la participation aux JHA et aux JV se situait en toute fin d’entretien. Ainsi, les participants répondaient à ces questions après environ 90 minutes d’entrevue. Une fois l’entretien terminé, le participant recevait un chèque-cadeau de 50 $ en guise de compensation.

Cette étude a reçu l’approbation des comités d’éthiques de l’Université de Sherbrooke (CER-LSH 2014/71), de l’Université du Québec à Trois-Rivières (CER-14-207-07.01) ainsi que de l’Université de Montréal (CERAS-2014-15-179-R).

Analyse

L’analyse des entretiens semi-structurés a été réalisée selon la méthode d’analyse du contenu thématique (Ghiglione et Matalon, 1998 ; Miles et Huberman, 1994). Comme recommandé par Ghiglione et Matalon (1998), l’analyse des verbatim s’est faite en trois grandes étapes : 1) À la suite d’une première lecture des verbatim et prenant en compte la documentation scientifique, une grille de codification a été développée. Cette grille fut notamment adaptée à partir de la grille d’entretien et du contenu émergent des trois premiers entretiens afin de s’assurer de rester fidèle aux préoccupations et propos des participants. 2) Sous la supervision des chercheuses responsables du projet, les entrevues ont été codifiées dans le logiciel NVivo QSR 11 selon une procédure d’analyse verticale par une auxiliaire de recherche, puis par une seconde auxiliaire pour le quart des entretiens. Cette façon de procéder a permis de procéder à une analyse d’accord interjuge (K = 0,81) afin de peaufiner la grille de codification et de s’assurer d’une uniformisation de la codification entre les deux assistantes de recherche qui codifiaient les verbatim. 3) Par la suite, chaque thème a été repris pour procéder à une analyse transversale du matériel.

Résultats

Participation aux JHA et aux JV

En ce qui a trait à leur pratique de JHA, l’ensemble des participants rapporte avoir pratiqué des JHA dans la dernière année, ce qui fait d’eux des joueurs de JHA au minimum occasionnels (Passanisi et al., 2020). De ces participants, 16 (72,7 %) ont acheté des billets de loterie et 20 (90,9 %) ont acheté des billets à gratter, 4(18,2 %) rapportent avoir joué aux machines à sous ou appareils de loterie vidéo, 4 (18,2 %) rapportent avoir joué à du bingo en salle.

Par rapport à la participation aux JV, l’ensemble des participants rapporte avoir joué à un JV au cours de la dernière année, ce qui fait d’eux des joueurs de JV au minimum occasionnels (Bergeron, 2020). Au moment de l’entretien, les participants rapportent avoir joué entre 0 et 125 heures (M = 16,4 ; ET = 22,9 ; Médiane = 2) dans la dernière semaine, certains participants ayant cessé leurs activités de JV pour divers motifs (période de vacances ou d’examens). Les activités de JV les plus populaires sont les jeux de type puzzle ou free-to-play, tels CandyCrush, Fortnite (32 %), les jeux de rôle en ligne massivement multijoueur (32 %) tel World of Warcraft, ainsi que les jeux de simulation tels iRacing ou Gran Turismo (27 %).

Ressemblances perçues entre les JHA et les JV

Le plaisir et le divertissement

Le divertissement et le plaisir sont des éléments communs à la pratique des JHA et des JV qui ont été largement abordés par les participants. Les deux activités étant pratiquées pour se distraire ou s’amuser. Des participants nommaient que ces activités sont pratiquées lorsqu’ils ne savent pas quoi faire ou pour passer le temps. La présence du plaisir de jouer a été associée par les participants à une utilisation saine et non problématique des JHA ou des JV.

Se distraire, premièrement. Sinon, c’est toujours valorisant aussi, mettons je suis bon au poker ou je suis bon dans un JV, c’est le fun. – François, 19 ans
Bien tu sais, dans les deux cas, tu fais cela pour jouer, là. En tout cas, pour moi [rire]. Quand tu n’as pas de problème là, tu fais ça pour avoir tu sais, du plaisir ou pour passer ton temps aussi. – Romy, 20 ans

La recherche d’excitation

La recherche d’excitation est ressortie du discours des participants comme un élément commun associé à la participation aux deux types de jeu. Les participants l’associaient au fait de ne pas connaître a priori le dénouement de la partie. Cet état peut, par exemple, se produire lorsque les gens pensent fortement gagner ou qu’ils doivent prendre une décision risquée au courant de la partie. L’excitation et les sensations fortes ont été des éléments communs nommés et sont présentées comme des motivations communes à participer aux JHA ou aux JV.

Les deux, ça peut être un moyen de passer le temps, les deux il y a des sensations fortes des fois associées, quand les gens pensent vraiment qu’ils vont gagner, ou quand dans un jeu, je ne sais pas, il faut qu’ils prennent une décision sinon ils vont mourir, je ne sais pas, mais il y a quand même des sensations fortes dans les deux. – Olivia, 23 ans

Attractivité du jeu

Il ressort du discours des participants que les JV ainsi que les JHA seraient conçus de sorte à être toujours plus intéressants et stimulants, que ce soit sur le plan des interfaces au visuel attrayant ou encore quant à la présence de hasard occasionnant l’effet de thrill décrit par les participants. Selon la perception des participants, ces caractéristiques attrayantes sont susceptibles de mener à une utilisation excessive des JV ainsi que des JHA, principalement des JHA qui sont pratiqués sur écran, tels les appareils de loterie vidéo ou les JHA en ligne.

L’adrénaline, le suspense, parce que c’est un spectacle en soi. Les deux [JHA et JV], comme quand ils sortent un nouveau jeu, c’est tout le temps comme « graphiques améliorés, plus d’armes, plus de si, plus de ça » donc c’est comme tout le temps pour te pousser à continuer, je pense que c’est ça la ressemblance. – Sophie, 19 ans

Présence de situation de hasard

Les participants identifient également une ressemblance sur le plan de la présence de situation de hasard dans les JV et dans les JHA. La perception de hasard dans les JV est notamment associée aux « boîtes à butin ». Les participants indiquent que bien qu’il s’agisse d’une ressemblance, les JHA semblent inclure davantage d’éléments liés au hasard que les JV pour lesquels un plus grand contrôle serait possible.

Tranquillement on voit que les deux sont en train de fusionner ensemble. [Il y a] des transactions dans les JV qui peuvent donner des récompenses aléatoires. – Hugo, 20 ans
Je dirais que dans certains JV, tu peux acheter des cosmétiques, des costumes ou des choses comme ça, puis en général ça va être une boîte où il y a plusieurs cosmétiques dedans, et tu ouvres la boîte et ça t’en donne un aléatoirement. […] C’est un peu comme acheter un billet de loterie. Tu achètes la boîte directement puis tu l’ouvres et tu reçois ce qu’il y a dedans. Tu es garanti de recevoir quelque chose, mais ce n’est pas garanti que ça sera quelque chose de bon. – Dominic, 20 ans
Dans les JHA, c’est beaucoup plus hasardeux que dans les JV en ligne. Dans les JV en ligne tu as des statistiques aussi, donc il y a une partie de hasard, ça se peut que tu ne réussisses pas ton coup, que tu ne trouves pas l’objet que tu veux, ça se peut que tu cherches longtemps. C’est sûr qu’il y en a un où les statistiques sont plus élevées que l’autre, et dans le JV en ligne tu peux améliorer tes statistiques, mais pas dans le JHA. – Béatrice, 19 ans

Coûts, conséquences, et potentiel addictif

Selon les entrevues réalisées avec les participants, la participation aux JHA ou aux JV génère des pertes financières, soit sur le plan des mises encourues, par l’acquisition de JV ou des dépenses qui y sont faites soit en termes de temps, considérant que ces activités requièrent un engagement continu. Les participants rencontrés rapportaient également que les deux activités pouvaient avoir des impacts négatifs sur différentes sphères de la vie quand celles-ci occupaient une place prépondérante dans le quotidien ou encore lorsqu’elles occupaient une fonction d’échappatoire afin de composer avec les difficultés ou les problèmes vécus.

Les ressemblances… Pour pouvoir continuer, il faut tout le temps que tu payes, si ton JV tu peux jouer, mais à un moment donné il faut que tu payes pour continuer à jouer, puis avec un jeu au casino, c’est pareil, peu importe si c’est un jeu de… Du poker ou de quoi de même, il faut que tu payes et il faut que tu payes, même les jeux que c’est des petites boules là, ça aussi il faut que tu payes. … – Patricia, 19 ans
Je dirais peut-être un peu la perte de contrôle, comme ressemblance. La facilité de s’emporter je veux dire. Les deux ont… Les deux, quand il y a une plus grande présence, ils ont des impacts négatifs sur les autres sphères de ta vie. Ça peut t’amener à fuir tes problèmes ailleurs, comme pas dans la vie réelle, mais comme du quotidien. – Sophie, 19 ans

Quant aux conséquences négatives, les participants rapportaient que les JHA et les JV entraînent un risque d’y dépenser trop d’argent, de conduire à l’isolement ou encore induisent la possibilité de perte de contrôle sur l’activité. Une similarité entre les activités qui a été identifiée par les participants concerne le potentiel de dépendance associé aux deux activités. Par ailleurs, le discours des participants révèle que certains associent les gains à un désir de reprendre l’activité, pouvant conduire à une obsession envers l’une ou l’autre de l’activité (le craving). L’intensité du plaisir apporté par ces activités serait aussi un élément pouvant être associé à la dépendance et à l’obsession selon les perceptions des participants.

Hum dans les deux tu peux perdre, ça cause une certaine frustration à un certain niveau et une envie de recommencer. Je pense que c’est pas mal les parallèles que je suis capable de trouver. –   Thomas, 18 ans
Peut-être un isolement aussi qui peut se développer, autant quelqu’un qui joue aux JV est stéréotypé comme le gars qui est dans sa caverne et qui est déconnecté, puis quelqu’un qui est en train de jouer aux JHA, tu sais, il est comme dans son monde un peu, je pense qu’il y a un peu des ressemblances là-dessus. – Isaac, 18 ans
Oui dans les deux cas, ça peut entraîner une dépendance, tu sais, moi quand j’étais plus jeune, c’était quasiment une dépendance, tu sais, à la place d’aller jouer avec mon ami, je préférais jouer à mes JV tellement que j’aimais ça. Oui des impacts sur… justement des impacts comme la loterie, tu peux devenir accro (…) – Grégory, 20 ans

 

Différences perçues entre les JHA et les JV

Les participants étaient également invités à discuter des différences perçues entre les JHA et les JV. Ces différences, sans entrer en contradiction avec les ressemblances, viennent nuancer les informations mentionnées précédemment.

Les gains. L’analyse des transcriptions d’entrevues a révélé que bien que la notion de gains soit associée aux deux activités, la nature du gain constituerait une distinction importante entre elles. Les participants ont indiqué que les JHA sont pratiqués dans l’espoir d’obtenir un gain monétaire alors que les JV apportent des gains par le biais de l’obtention de privilèges, d’objets ou de matériel favorisant la progression dans le jeu ainsi que le fait de gagner une partie. Aussi, les participants percevaient que les JHA permettent d’obtenir des gains réels, alors que les gains dans les JV sont de nature symbolique. Les participants ont expliqué que, considérant entre autres la nature réelle des gains obtenus par l’entremise des JHA et la possibilité de gains d’argent élevés, l’appât du gain serait plus élevé dans les JHA.

Il y en a un où tu gagnes de l’argent et l’autre tu gagnes juste du prestige en ligne. – Béatrice, 19 ans
Quand tu gagnes aux JHA, tu reçois l’argent cash, puis dans les JV, il va falloir que tu ailles sur un site de revente ou des choses du genre donc ce n’est pas direct. Aussi ce n’est pas tous les items que tu peux revendre donc des fois, ça va être un peu comme un bien matériel dont tu ne peux pas vraiment te débarrasser – Dominic, 20 ans

Importance des coûts

Une différence ressortie du discours des participants concerne un écart dans l’importance des coûts associés aux activités. Les participants ont mentionné que la participation aux JHA, considérant la mise obligatoire, entraîne nécessairement des coûts à chaque participation contrairement aux JV dont les coûts seraient plus occasionnels à savoir au moment d’acquérir le jeu ou encore pour l’achat de matériel de jeu. Ainsi, les participants percevaient la participation aux JHA comme plus onéreuse, pouvant même mener à de l’endettement ou à dépenser au-delà de son budget.

Admettons, les JHA, c’est vraiment quelque chose de réel, même si c’est sur Internet, c’est ton argent que tu as gagné, mettons si je mets cinq dollars là-dedans, c’est une demi-heure de ma vie où j’ai travaillé pour… Un certain nombre de temps que j’ai gaspillé pour ça, tandis que si je perds une game dans un de mes JV, ça ne vient pas me « brimer » moi, tandis que si je perds une game de poker où je viens juste de mettre 200 dollars, ça a des impacts – François, 19 ans

Gravité des conséquences

L’analyse du discours des participants a indiqué qu’ils considèrent que la participation aux JHA est susceptible d’engendrer des impacts plus graves que la participation aux JV. D’abord, les participants ont rapporté que perdre aux JHA serait davantage problématique que de perdre aux JV, considérant que les JHA entraînent une perte financière. La perte d’argent entraînée par les JHA pourrait possiblement conduire à des impacts tangibles sur différentes sphères de la vie. Les participants rapportent qu’au contraire, le fait de perdre aux JV serait moins dommageable considérant qu’il est possible notamment de se reprendre et de recommencer une partie perdue sans risquer de se compromettre à nouveau.

Les participants ont également indiqué percevoir une différence par rapport à l’étendue des conséquences possibles de ces activités. Il est ressorti du discours des participants qu’ils perçoivent que les conséquences associées à l’utilisation problématique des JV toucheraient essentiellement le joueur concerné alors que les conséquences associées à une participation excessive aux JHA seraient susceptibles d’affecter leurs proches, principalement les membres de la famille immédiates du joueur.

Oui tous les JHA, mais rendu là, c’est beaucoup plus négatif parce que tu peux tout perdre, tu peux perdre tout ton argent, il y en qui misent des affaires, tu sais, tu perds bien plus. C’est sûr que tu perds du temps à jouer aux JV, mais l’argent c’est pas mal plus grave, parce que l’argent tu en as besoin, si t’en a plus… – Romy, 20 ans
Les JHA, parce que ça peut avoir… Pas un plus gros impact, mais il y en a qui ont un divorce à cause de ça, comme tu n’auras peut-être pas nécessairement… Je trouve que ça a un plus grand impact à l’ensemble de la famille que nécessairement juste toi, parce que comme les JV, si ça devient vraiment nocif, oui ça va avoir un impact sur les restants de la famille, mais ça va être surtout par rapport à toi. Les jeux de hasard et d’argent vont nuire à toute ta famille, puis le JV ça va nuire à toi, mais ta famille va être préoccupée à toi à cause de ça, donc dans le fond tu fais mal juste à toi versus tu fais mal à tout le monde, je le vois de même. – Sophie, 19 ans

 

L’interinfluence entre la participation aux JV et aux JHA

Alors qu’il existe plusieurs similitudes et des motivations communes à l’engagement dans les JV ou les JHA, l’interinfluence entre ces deux activités est plus complexe à comprendre. Il faut noter que les participants ont peu élaboré sur cette interinfluence, et ce, malgré les sous-questions posées par les interviewers lors des entrevues semi-dirigées[1].

Trois relations entre les JHA et les JV ont émané des entretiens avec les participants. D’abord, certains participants ont l’impression que ces deux activités sont complètement indépendantes alors que pour d’autres, le fait de jouer à des JV préserverait en quelque sorte la participation aux JHA. Enfin, d’autres voient la participation aux JV comme un potentiel tremplin à l’initiation des JHA.

Absence de relation entre les activités

L’analyse du discours des participants a révélé que pour certains, la participation aux JV et la participation aux JHA seraient deux activités distinctes. Elles ne seraient pas interreliées ou susceptibles de s’influencer l’une l’autre. Leur discours témoigne de l’absence de perception d’une trajectoire unissant ces activités, à savoir une trajectoire selon laquelle la participation aux JHA pourrait conduire ou prévenir la participation aux JV ou inversement que la participation aux JV pourrait conduire ou prévenir à la participation aux JHA.

Je te dirais qu’il n’y a aucune corrélation. Il n’y a aucun JV qui m’a plus poussé à jouer… Il n’y a aucun JV qui m’a poussé à jouer à des JHA et il n’y aucun JHA qui m’a poussé à jouer aux JV. –Thomas, 18 ans

Le JV protégeant de l’initiation aux JHA

Il est également ressorti de certains entretiens qu’il existe une relation entre le fait de jouer des JV et l’absence de participation aux JHA. En effet, il semblerait que, pour certains joueurs, l’investissement de temps substantiel mis dans les JV réduirait le temps disponible pour s’engager dans d’autres activités tels les JHA. Ce faisant, pour certains participants, la participation aux JV pourrait prévenir ou empêcher l’engagement dans les JHA.

Je dirais que ça l’influence quand même beaucoup vu que quand je suis en train de jouer aux JV, je ne dépense pas d’argent, je ne fais pas de JHA. Ça l’influence dans le contraire dans le fond, vu que tu passes beaucoup de temps en ligne, tu vas être moins porté à dépenser dans les JHA – Dominic, 20 ans

Les JV augmentent le potentiel de participation aux JHA

Le discours des participants témoignait également d’une perception selon laquelle la publicité présente sur les sites de JV facilite l’accès aux JHA. Cette exposition à la publicité pourrait favoriser l’engagement dans une activité de JHA en générant une curiosité ou un intérêt envers cette activité. Les JV pourraient donc être une porte d’entrée à l’univers des JHA.

Ça les influences dans le sens que je suis plus tenté, je pense. Tu sais, on est tous confrontés aux pubs de JHA à un moment ou à un autre si on se promène sur Internet et qu’on joue aux JV, donc avec le temps, on finit par dire comme « ah pourquoi pas ? » – Hugo, 20 ans

 

Discussion

En recourant à des entretiens détaillés, la présente étude avait pour objectif d’explorer les similarités ainsi que les différences perçues entre les JV et les JHA, en plus de connaître la perception des jeunes adultes rencontrés quant aux interrelations entre ces activités. D’entrée de jeu, il convient de noter que l’échantillon de recherche sélectionné aux fins de cette étude présente certaines caractéristiques étant susceptibles d’avoir influencé la teneur des résultats. En effet, les jeunes adultes rencontrés s’adonnaient de manière plus ou moins régulière aux JV et aux JHA, ainsi, leur perception reflète celle de joueurs pouvant être qualifiés d’occasionnels (Bergeron, 2020 ; Passanisi et al., 2020). Cette spécificité de l’échantillon pourrait impliquer que la connaissance des participants vis-à-vis les JV et les JHA soit relativement limitée en comparaison à des joueurs plus réguliers, et ainsi avoir mené à une saturation rapide lors de l’analyse. Ajoutons à cela que, tant dans le domaine des JHA que des JV, les joueurs occasionnels présentent généralement des perceptions, des valeurs ou des a priori différents au regard de ces activités (Bergeron, 2020 ; Passanisi et al., 2020). L’échantillon principalement composé de jeunes femmes est également susceptible d’avoir influencé la transférabilité des résultats considérant qu’une majeure partie des joueurs de JHA sont des hommes (Académie de la transformation numérique, 2021 ; Kairouz et al., 2015). C’est donc à la lumière de ces observations que les résultats de cette étude sont appréhendés.

D’abord, l’étude révèle une similarité quant aux motivations pour s’engager dans l’une ou l’autre de ces activités. Pour les joueurs occasionnels rencontrés, un objectif commun à la participation ressort des entretiens, à savoir la recherche de plaisir, de divertissement et d’excitation. Cette dernière information peut être mise en relation avec les observations de Müller et al. (2016) qui avaient identifié la recherche de sensation forte comme un trait associé à l’initiation et au maintien des activités de JHA et de JV. Sachant que la recherche de sensation forte est un trait de caractère fréquemment associé à la présence de dépendance aux substances chez les adolescents (Leeman et al., 2014), il est possible de se demander si cette motivation à la participation aux JV et aux JHA place les jeunes adultes rencontrés à risque de passer d’une utilisation occasionnelle à une utilisation problématique de l’une ou l’autre de ces activités.

Ceci ne semble toutefois pas être une préoccupation des participants rencontrés. En effet, la perception des participants par rapport à la recherche de sensations fortes dans les JV et les JHA apparaît positive et ils l’associent au plaisir ressenti à la réalisation des deux activités. Par ailleurs, les participants mentionnent que la notion de plaisir leur apparaît comme un signe que l’utilisation des JV ou des JHA n’est pas problématique. En effet, ceux-ci indiquent que lorsqu’une personne n’a pas de problématique d’utilisation des JV ou des JHA, elle s’adonne à cette activité par plaisir. Cette perception des participants concorde avec des données obtenues auprès des joueurs occasionnels de JV de type free-to-play selon lesquelles la présence de plaisir et d’amusement lié au JV est négativement corrélée à la présence d’une utilisation problématique (Chen et Leung, 2016).

Il faut toutefois noter qu’à elle seule, la notion de plaisir ne constitue pas un gage d’utilisation non problématique des JV ni même des JHA. La notion de flow, soit une forme de plaisir lié à l’immersion occasionnée par une activité et la recherche de cet état, a notamment été associée à la participation excessive tant aux JV (Stravropoulos et al., 2013 ; Hu et al., 2019) qu’aux JHA (Lavoie et Main, 2019). Ainsi, pour certains joueurs, le fait d’avoir un plaisir ressenti en lien avec l’immersion dans leur activité de jeu pourrait être gage d’une utilisation problématique, soulignant la nécessité de s’appuyer sur une diversité d’indicateurs afin de qualifier un usage comme étant problématique. Les participants semblent par ailleurs conscients que la notion de plaisir n’est pas l’unique témoin d’une utilisation équilibrée. En effet, ils sont à même d’identifier des signes d’une utilisation problématique des JV et des JHA allant au-delà d’une absence de plaisir soit la perte de contrôle, l’envahissement des sphères de vie ainsi que la fonction d’évitement des situations de vie difficiles. À la lumière de ces résultats, il serait possible de croire que les efforts de sensibilisation et de prévention des problèmes de JHA et, plus récemment des JV, portent fruit et témoignent de la nécessité de poursuivre dans cette voie afin de prévenir les risques pouvant être associés à ces activités.

Sur le plan des interrelations entre les activités, les entretiens réalisés démontrent que les participants perçoivent le phénomène de ludification lorsqu’ils évoquent notamment la présence d’interfaces au visuel attrayant dans les JHA. Ils évoquent également le phénomène de « gamblification » lorsqu’ils rapportent la présence de situation de hasard dans les JV, via les transactions dans les jeux qui donnent accès à des récompenses aléatoires. Selon certains auteurs, ces ressemblances structurelles auraient pour effet d’initier et de maintenir le comportement de jeu (Gainsbury, 2019 ; Macey et Hamari, 2022). En effet, d’une part les joueurs de JV pourraient être davantage tentés de s’initier aux JHA en raison des similarités dans l’aspect ludique de ces activités. D’autre part, les joueurs de JHA pourraient voir leur recherche de sensation et d’excitation stimulée dans les JV incluant des situations de hasard, tels les « boîtes à butin » et les roues de fortune (Macey et Hamari, 2022). Ces informations apparaissent toutefois partiellement corroborées par nos entrevues. D’abord, l’initiation des JV via la participation aux JHA n’est pas ressortie des entretiens avec ces joueurs occasionnels. Une explication potentielle serait que l’initiation des JV a précédé l’initiation des JHA considérant l’âge de nos participants. En effet, dans la population adolescente québécoise, la participation aux JV est généralement initiée à l’enfance (Académie de la transformation numérique, 2021) et celle aux JHA à l’adolescence (Camirand, 2014). Ceci reste toutefois difficile à confirmer en l’absence de données récoltées sur l’âge d’initiation à l’une ou l’autre des activités dans le cadre de ce projet.

Ensuite, une relation bidirectionnelle est rapportée entre l’initiation aux JHA via les JV. En effet, pour certains des joueurs occasionnels rencontrés, la participation aux JV apparaît préserver de la participation aux JHA alors que pour d’autres, la participation aux JV aurait favorisé une participation aux JHA. Pour certains jeunes adultes, l’engagement dans une activité de JV semble réduire l’intérêt de s’initier à une activité de JHA. Selon les propos récoltés, la participation aux JV requiert un investissement de temps considérable, ce qui peut réduire la nécessité ou l’attrait de se tourner vers d’autres types d’activités similaires telles les JHA. Pour d’autres participants, la participation aux JV aurait contribué à amorcer la participation aux JHA. Il est intéressant de noter que ce n’est toutefois pas l’inclusion de notions de hasard dans le JV, ou le phénomène de « gamification » qui serait à l’origine de l’initiation des JHA, mais plutôt l’inclusion de publicités de sites de JHA dans l’interface du JV sur Internet. Cette piste explicative n’a pas été relevée dans les études portant sur l’interinfluence de la participation aux JV et aux JHA (Gainsbury, 2019). Considérant une augmentation marquée des publicités de JHA, notamment en lien avec les paris sportifs, tant en ligne dans certains JV ainsi que dans les médias traditionnels (Killick et Griffiths, 2022), il conviendrait de s’intéresser davantage à l’influence de la publicité sur l’initiation des JHA chez les jeunes adultes.

Au-delà des spécificités de l’échantillon, d’autres éléments méthodologiques sont à considérer en lien avec l’interprétation des résultats de cette étude. En effet, la longueur de l’entrevue initiale réalisée avec les participants ainsi que le positionnement des questions sur les interrelations entre les JHA et les JV pourraient effectivement avoir nui à l’ampleur de l’information obtenue auprès de nos participants. En effet, tel que le stipule Romelaer (2005), une forme de fatigue mentale est parfois observée chez le participant en fin d’entretien semi-dirigé. Cette fatigue peut potentiellement nuire à la concentration du participant, à la réminiscence ou l’amener à répondre plus brièvement aux questions (Romelaer, 2005). Ainsi, il est possible de croire que si les participants avaient été questionnés plus tôt dans l’entrevue, et non après 90 minutes, ils auraient été portés à élaborer davantage ou encore que cela aurait conduit à une saturation des données plus tardive, en dépit du fait qu’ils soient des joueurs occasionnels. Il est également possible de croire qu’une étude plus précise des trajectoires de participations aux JV et aux JHA aurait permis d’enrichir le contenu des entrevues.

En contrepartie, l’étude ajoute aux connaissances par rapport aux perceptions qu’ont ces jeunes joueurs occasionnels des liens unissant les JHA et les JV. En effet, l’étude souligne que certains participants considèrent les JV comme un possible tremplin aux JHA, appuyant les informations concernant le phénomène de migration entre ces activités observées auprès d’autres populations (Lawn et al., 2020). Cependant, la piste explicative apparaît différente ; ainsi ce ne serait pas uniquement la « gamblification » des JV qui serait en cause, mais peut-être également l’inclusion de publicités de JHA dans les JV qui seraient à considérer. Ainsi, l’étude engage une réflexion par rapport à l’inclusion de publicités de JHA dans les JV ou sur Internet de manière générale. Une poursuite de la recherche concernant l’influence de ces publicités sur l’initiation de comportements à risque pourrait être avisée.  


Note

[1] ^Malgré la saturation, un survol des entrevues supplémentaire a été réalisé afin d’explorer davantage l’interinfluence. Ce survol n’a pas permis d’ajouter de contenu en ce qui concerne cette thématique.  


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