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PASCALE ALARIE-VÉZINA, CHANTAL PLOURDE, JOËL TREMBLAY, MYRIAM LAVENTURE, JENNIFER BEAUREGARD, BERTRAND PICARD /

Pascale Alarie-Vézina, M. Sc, (c) Ph.D, Université du Québec à Trois-Rivières

Chantal Plourde, Ph. D., professeure titulaire, Université du Québec à Trois-Rivières

Joël Tremblay, Ph. D., professeur titulaire, Université du Québec à Trois-Rivières

Myriam Laventure, Ph. D., professeur titulaire, Université de Sherbrooke

Jennifer Beauregard, M. Sc., professionnelle de recherche, Université du Québec à Trois-Rivières

Bertrand Picard, intervenant en toxicomanie (retraité), Centre de santé Marie-Paule-Sioui-Vincent

Correspondance 
Pascale Alarie-Vézina
UQTR
3351, Bd des Forges
Trois-Rivières, QC
G8Z 4M3
Courriel : Pascale.alarie-vezina@uqtr.ca


Résumé

Contexte : Au moment de l’étude, Sage Usage (SU) est un programme novateur s’adressant aux Premières Nations et aux Inuit (PNI) visant le développement de stratégies pour atteindre et maintenir un usage modéré d’alcool (il inclut désormais toutes les substances psychoactives). SU a fait l’objet d’un processus participatif de modification du programme Alcochoix+, visant à le rendre culturellement pertinent et cohérent avec les valeurs et réalités des PNI. L’article présente les résultats d’une étude d’implantation initiale réalisée entre 2020 et 2022.

Objectif : L’étude vise à documenter 1) le degré d’implantation du programme, 2) la perspective des intervenants formés au programme quant à leur expérience au stade d’implantation initiale, et 3) les facilitateurs et les obstacles à l’implantation.

Méthode : Des intervenants des communautés des PNI ayant reçu la formation (n=31) ont participé à des entrevues de groupe et individuelles portant sur leur expérience d’implantation du programme. Les verbatims des entretiens ont fait l’objet d’une analyse qualitative de contenu thématique avec NVivo.

Résultats : SU a été peu implanté dans sa première phase d’expérimentation et des enjeux en lien avec l’acceptabilité, l’adoption et la faisabilité ont été identifiés. SU est perçu par les participants comme ayant un bon niveau de convenance sur le plan du contenu (thèmes abordés, éléments culturels, etc.), mais moins sur celui de sa structure externe (séquence des activités, quantité de texte, vocabulaire, etc.). Des retombées positives sur les pratiques professionnelles des intervenants sont évoquées.

Discussion : SU bonifie l’offre de service des communautés et plusieurs modalités de prestation (formule couple, suivi post-thérapie, etc.) apparaissent prometteuses pour l’adapter aux besoins spécifiques des communautés.

Conclusion : Un engagement à long terme via une démarche flexible permettant aux communautés de s’approprier le programme apparait fondamental pour favoriser une implantation durable et pertinente de SU.

Mots-clés : Premières Nations et Inuit, implantation de programme, usage d’alcool, approche participative communautaire 

Stakeholders’ perspective on the initial implementation of Wise Choices

Abstract 

Background: At the time of this research, Wise Choices is an innovative program for First Nations and Inuit (FNI) aimed at developing strategies to achieve and maintain moderate alcohol use (it now includes all psychoactive substances). Wise Choices has undergone a participatory and iterative process of modifying Alcochoix+ to make it culturally relevant and consistent with the values and realities of FNI. The article presents the results of an initial implementation study carried out between 2020 and 2022.

Objectives: The purpose of the study is to document 1) the degree of implementation of the Wise Choices program, 2) the perspective of stakeholders trained in the program regarding their experience in the initial implementation stage, and 3) facilitators and barriers to implementation.

Method: Addiction intervention stakeholders in the trained FNI communities (n=31) participated in group and individual interviews about their experience implementing the program. Interview verbatims were subjected to a qualitative thematic content analysis with NVivo.

Results: Throughout the province of Quebec, Wise Choices has been implemented to a limited extent and issues related to acceptability, adoption, and feasibility have been identified. Wise Choices is perceived by participants as having a good level of suitability in terms of content (topics covered, links with culture, etc.), but less so in terms of its delivery structure (sequence of activities, quantity of text, vocabulary, etc.). Unexpected positive impacts on stakeholders’ professional practices were reported.

Discussion: Wise Choices enhances the service offer in the communities and several delivery modalities (couple formula, post-therapy follow-up, …) appear promising to adapt Wise Choices to the specific needs of each community.

Conclusion: A long-term commitment through a flexible approach that allows communities to take ownership of the program appears fundamental to promote a sustainable and relevant implementation among FNI.

Keywords: First Nations and Inuit, program implementation, alcohol use, community-based ­participatory approach

Perspectiva de los intervinientes sobre la implantación inicial del programa Sage Usage

Resumen 

Contexto: En el momento de llevar a cabo esta investigación, Sage Usage es u programa innovador destinado a las Primeras Naciones y a los Inuit, que apunta al desarrollo de estrategias para lograr y mantener un uso moderado de alcohol (incluye ahora todas las sustancias psicoactivas). Sage Usage ha sido objeto de un proceso participativo e iterativo de modificación del programa Alcochoix+, destinado a hacerlo culturalmente pertinente y coherente con los valores y las realidades de las Primeras Naciones y los Inuit. El artículo presenta los resultados de un estudio de implantación inicial realizado entre 2020 y 2022. 

Objetivos: El estudio busca documentar: 1) el grado de implantación del programa, 2) la perspectiva de los intervinientes formados en el programa en lo que hace a su experiencia en el estado de implantación inicial y 3) los facilitadores y los obstáculos a la implantación.

Método: Quienes intervienen en materia de dependencia en las comunidades de las Primeras Naciones e Inuit que habían recibido la formación (n=3) participaron en entrevistas de grupo e individuales sobre su experiencia en cuanto a la implantación del programa. Los informes textuales de las entrevistas fueron objeto de un análisis cualitativo del contenido temático con NVivo.

Resultados: Sage Usage ha sido poco implantado en el conjunto del territorio quebequense en su primera etapa de experimentación y se han identificado cuestiones relacionadas con la aceptabilidad, la adopción y la factibilidad del programa. Los participantes perciben a Sage Usage como un programa que posee un buen nivel de conveniencia en el plano del contenido (temas abordados, relaciones con la cultura, etc.), pero menos en lo que respecta a su estructura externa (secuencia de las actividades, cantidad de texto, vocabulario, etc.). Se evocaron resultados positivos sobre las prácticas profesionales de los intervinientes.

Discusión: Dividir el programa para hacer que sus componentes puedan utilizarse independientemente unos de otros parece ser una estrategia que favorece la adecuación cultural del programa. Sage Usage bonifica la oferta de servicio a las comunidades y varias formas de prestación (fórmula pareja, seguimiento posterapéutico, etc.) parecen prometedoras para adaptarlo a las necesidades específicas de cada comunidad.

Conclusione: Un compromiso a largo plazo mediante un enfoque flexible que permita a las comunidades apropiarse del programa parece ser fundamental para favorecer una implantación durable y pertinente en las comunidades de las Primeras Naciones y los Inuit.

Palabras clave: Primeras Naciones e Inuit, implantación del programa, consumo de alcohol, enfoque comunitario participativo


Introduction

À l’instar de l’ensemble de la population québécoise, les membres des Premières Nations et les Inuit (PNI) présentent des profils d’intensité d’usage d’alcool diversifiés (Bélanger et al., 2020 ; Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador [CSSSPNQL], 2018 ; Lévesque et al., 2018). Certains consomment de manière occasionnelle, d’autres plus régulièrement et d’autres de manière excessive. L’impact de cette consommation sur le fonctionnement général et les diverses sphères de vie est également variable. Or, le modèle d’abstinence demeure prédominant dans les communautés des PNI du Québec et l’offre de service ne répond pas de manière optimale aux besoins variés de la population. De fait, bien que pertinentes, les interventions accessibles (souvent offertes en hébergement à l’extérieur de la communauté) conviennent généralement aux personnes présentant des problématiques sévères, mais ne sont pas adaptées aux personnes dont l’usage d’alcool présente un niveau de risque faible ou modéré (Chauvet et al., 2015 ; McKay, 2009). Cet état de fait trouve probablement son explication dans un contexte sociohistorique où les membres des communautés autochtones ont été stigmatisés et étiquetés comme incapables de consommer de l’alcool de façon modérée en raison d’une vulnérabilité génétique (Roy, 2005), une idée qui n’est, par ailleurs, pas appuyée scientifiquement (Enoch et Albaugh, 2017). Or, une offre de service plus diversifiée, incluant des interventions s’inscrivant dans une philosophie de réduction des méfaits et visant la modération de la consommation, répondrait mieux aux besoins des personnes ayant un usage à risque faible ou modéré (Dell et Lyons, 2007 ; Lévesque et al., 2018 ; Plourde et al., 2010 ; Wardman et Quantz, 2006) de façon à éviter une aggravation, voire une chronicisation des difficultés liées à leur consommation d’alcool (Substance Abuse and Mental Health Services Administration of United States, 2016). Ce constat du besoin d’intervention visant un boire modéré est également celui d’acteurs de l’intervention en dépendance de neuf communautés des PNI, réunis en 2017 dans le cadre d’un séminaire collaboratif de réflexion sur les pratiques d’intervention en dépendance dans leurs communautés (Plourde et al., soumis pour publication).

Enraciné dans ces réflexions s’est amorcé le développement du programme Sage Usage (Wise Choices dans sa version anglophone). Il s’agit d’une version du programme Alcochoix+ (Simoneau et al., 2004), dont la forme et le contenu ont fait l’objet d’un processus collaboratif et itératif d’adaptation visant à le rendre cohérent avec les cultures, les valeurs et les réalités des PNI (Kumpfer et al., 2008). Sage Usage est basé sur les approches motivationnelle et cognitivo-comportementale et s’inscrit dans une perspective de réduction des méfaits. Il s’agit d’un programme de prévention secondaire qui vise le développement de stratégies pour atteindre et maintenir un « sage usage » d’alcool. Dans l’esprit des travaux du sociologue Alain Roy (2013), un sage usage a été défini par le comité conseil comme un usage conscient, responsable, volontaire, respectueux, positif et contrôlé (Plourde et al., 2019). Le programme permet de porter un regard objectif sur sa consommation et d’aborder des thèmes tels que les risques qui y sont associés, la motivation au changement, les valeurs, les objectifs personnels, les déclencheurs des envies de consommer, les fonctions de la consommation, les stratégies pour faire face aux déclencheurs et répondre à ses besoins, les sources de plaisir ainsi que la prévention de la rechute. Sage Usage a été initialement développé et implanté à la demande des organisations autochtones au moyen d’une approche participative impliquant des intervenants en dépendance des communautés engagées dans le projet. Un comité conseil, regroupant des acteurs de l’intervention en dépendance des milieux cliniques de ces communautés ainsi que de la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik, de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador et du Conseil cri de la santé et des services sociaux de la Baie James, a été formé. Le travail de ce comité a permis d’effectuer plusieurs modifications sur le plan du vocabulaire, des illustrations et des symboles, mais aussi en insufflant au programme une perspective plus holistique de la personne, la situant dans une communauté tout en tenant compte de l’ensemble des sphères de sa vie, dont sa spiritualité. L’implantation de Sage Usage a débuté en décembre 2019.[1]

Par définition, une étude d’implantation s’intéresse aux facteurs d’influence et aux processus qui conduisent au succès ou à l’échec de la mise en œuvre d’un programme (Peters et al., 2014 ; Rudd et al., 2020). Deux phases composent habituellement l’implantation d’un programme, soit l’implantation initiale et l’implantation mature (Joly et al., 2010). L’évaluation d’implantation de la phase initiale est formative, c’est-à-dire qu’elle vise à obtenir une rétroaction concernant l’implantabilité du programme dans sa forme initiale soit, au cours de son développement, en vue de promptement le modifier afin de le rendre mieux adapté au contexte d’implantation (Chen, 2015). Lors de l’implantation initiale, la compréhension des processus d’implantation et l’application de stratégies la favorisant peuvent se faire de façon concurrente, voire faire partie intégrante du développement du programme (Lobb et Colditz, 2013 ; Mehta et al., 2021). Ainsi, le programme et sa mise en œuvre peuvent être ajustés de façon à ce qu’ils correspondent davantage aux besoins et à la réalité du milieu d’implantation (Joly et al., 2010). La phase d’implantation mature se déroule lors d’un stade plus avancé du programme. Elle vise moins à influencer la modification du programme et s’intéresse principalement à sa fidélité d’implantation (Chen, 2015).

Les résultats de la qualité d’implantation varient en fonction du degré de maturité d’un programme. Aspirant à développer une conceptualisation et un langage commun pour la recherche sur l’implantation, Proctor et ses collègues (2011) ont mis de l’avant une taxonomie des « résultats d’implantation » en identifiant leur saillance en fonction des stades de développement et d’implantation d’un programme. Cette taxonomie, fréquemment utilisée, comporte huit « résultats d’implantation » observables et mesurables dont six sont observables lors d’une phase d’implantation initiale : 1) l’acceptabilité ; 2) l’adoption ; 3) la convenance ; 4) la faisabilité ; 5) la fidélité ; et 6) les coûts différentiels d’implantation. La taxonomie des « résultats d’implantation » de Proctor et al. (2011) est décrite dans le Tableau 1. En plus d’être différenciés en fonction du stade de développement d’un programme, ces indicateurs sont universels et, surtout, ils ont déjà démontré leur applicabilité en milieu autochtone lors d’une étude d’implantation d’une intervention de gestion du diabète culturellement adaptée pour les populations autochtones d’Hawaï et des Îles du pacifique (Sinclair et al., 2020).

Considérant que le programme Sage Usage correspond à un changement dans les pratiques en plus d’être une version modifiée d’un programme ne s’adressant pas spécifiquement aux PNI, l’évaluation de la phase d’implantation initiale du programme apparaît incontournable pour assurer l’adéquation du programme avec la vision du monde des PNI et la réalité des communautés. Pour ce faire, une approche participative a été priorisée. Une telle approche implique un engagement durable au sein duquel les membres des communautés sont des partenaires avec un véritable pouvoir décisionnel (MacKinnon, 2018). Au cours de l’implantation initiale, des échanges réguliers ont eu lieu avec les acteurs de l’implantation et les membres du comité conseil, ce qui a permis de donner une voix aux parties prenantes et d’orienter la conduite de l’évaluation en fonction des besoins réels des communautés autochtones partenaires.

Objectifs

Cet article vise à documenter 1) le degré d’implantation initiale du programme Sage Usage dans 10 communautés des PNI du Québec, un centre intégré de santé et service sociaux (CISSS) et deux centres intégrés universitaires de santé et services sociaux (CIUSSS) offrant des services à une clientèle autochtone ; 2) la perspective des intervenants formés au programme quant à leur expérience d’implantation au stade d’implantation initiale ; et 3) les facilitateurs et les obstacles à l’implantation d’un programme non axé sur l’abstinence, dans les communautés autochtones au Québec. Le tout est mené dans la perspective d’améliorer l’adéquation culturelle du programme Sage Usage.

Méthode

Un devis qualitatif a été privilégié dans cette étude puisque, non seulement, ce type de devis permet d’examiner en profondeur ce qui se produit durant l’implantation (Hamilton et Finley, 2019) et s’adapte bien aux circonstances de l’évaluation (Creswell, 2014), mais également parce qu’il correspond au mode oral privilégié par les gens des communautés autochtones (Canadian Centre for Policy Alternatives [CCPA] Manitoba, 2018). La conduite de la recherche évaluative en contexte autochtone implique l’adoption d’une posture qui accueille favorablement des méthodes s’inscrivant en cohérence avec les philosophies autochtones (CCPA Manitoba, 2018). Ces dernières sont caractérisées par une vision holistique de la personne tout en privilégiant une approche relationnelle forte (Ball et Janyst, 2008 ; CCPA Manitoba, 2018 ; Dion et al., 2020 ; Drawson et al., 2017 ; Smith, 2021).

Participants

Les participants à la recherche ont tous reçu, entre décembre 2019 et octobre 2020, une formation (en anglais ou en français) pour implanter le programme Sage Usage dans leur pratique. Parmi les participants à l’étude (n=31), 75 % étaient des intervenants auprès d’une clientèle autochtone et 25 % occupaient des fonctions de gestion ou de rôleconseil. Au sein du groupe, neuf personnes étaient autochtones et travaillaient directement dans les communautés. Inversement, parmi les vingt-deux participants allochtones, tous travaillaient directement auprès des personnes autochtones, dont 40 % directement dans une communauté autochtone, alors que 60 % travaillaient auprès de cette clientèle, mais en milieu urbain. L’échantillon comprenait donc 18 intervenants œuvrant dans les communautés autochtones et 13 intervenants travaillant auprès d’Autochtones en milieu urbain hors communauté. Au moyen d’une plateforme de téléconférence, 13 entrevues individuelles (12 en français et une en anglais) ont été réalisées et deux séries de quatre groupes de discussion (sept rencontres en français et une en anglais), réunissant en moyenne quatre participants par groupe, ont eu lieu. En fonction de leurs disponibilités, certains intervenants ont participé aux groupes de discussion des deux temps de mesure en plus de réaliser une entrevue individuelle, alors que d’autres n’ont participé qu’à une seule des deux modalités.

Le projet a été approuvé par le comité d’éthique de la recherche (CER) du CISSS de Chaudière-Appalaches[2] (MP-23-2019-550) ainsi que par le CER sur les êtres humains de l’Université du Québec à Trois-Rivières (CER-18-251-10.02). Pour s’assurer que le consentement était libre et éclairé, les détails de la recherche et du formulaire étaient présentés sans pression par un membre de l’équipe de recherche lors des activités de formation. Il était souligné que les personnes recevant la formation étaient libres de participer ou non à la recherche et qu’elles pouvaient se retirer à tout moment. Elles étaient invitées à poser des questions et à prendre le temps nécessaire pour remplir le formulaire qui pouvait être remis lors de la formation ou plus tard.

Collecte de données

À la suite des premières formations (décembre 2019 et janvier 2020), des entrevues de groupe d’une durée variant de 60 à 90 minutes ont eu lieu pour évaluer la qualité de l’implantation initiale du programme Sage Usage. Ces rencontres ont été animées par des membres de l’équipe de recherche, connus des participants vu leur implication dans les activités de formation et de soutien clinique. Le guide d’entrevue élaboré pour le premier groupe de discussion contenait des questions visant à ce que les participants : (1) posent leurs questions en lien avec le programme ; (2) discutent des obstacles à l’implantation et des stratégies à mettre en place pour y faire face ; et (3) discutent de la trajectoire de services pour accéder à Sage Usage. Dans le guide d’entrevue du deuxième groupe de discussion, en plus des thèmes abordés lors du groupe précédent, les questions portaient sur : (1) l’adhésion au programme des personnes accompagnées et (2) les changements qu’ils aimeraient voir apporter à Sage Usage pour réponde aux besoins des personnes accompagnées ou faciliter son utilisation dans la pratique clinique. Ces entrevues de groupe ont été enregistrées et une synthèse des propos tenus par les participants a été produite pour chaque rencontre. Puisque les réponses des participants de la seconde série d’entrevues étaient semblables à celles de la première vague, l’équipe de recherche a convenu que la saturation des données avait été atteinte en ce qui avait trait à la modalité des entrevues de groupe. La conduite d’entrevues individuelles, visant à approfondir les éléments colligés, apparaissait comme la méthode la plus appropriée pour la poursuite de la collecte de données.

Dans un second temps, des entrevues individuelles semi-structurées (n=13) d’une durée variant de 30 à 60 minutes ont été réalisées. Le guide d’entrevue, développé à la lumière des résultats des entrevues de groupe, visait à comprendre l’expérience et la perception des intervenants au regard de l’implantation initiale du programme Sage Usage. Les questions portaient notamment sur : a) l’utilisation du programme par les intervenants ; b) leur point de vue sur l’approche de réduction des méfaits proposée dans le programme Sage Usage ; c) leur perception en lien avec la formation reçue et la mise en place éventuelle d’un programme de mentorat ; d) la pertinence culturelle du programme, e) le caractère prioritaire ou non pour la clientèle cible ; f) les principaux obstacles et facilitateurs de l’implantation ainsi que g) l’impact perçu de la formation au programme sur leur pratique générale. Ces entretiens ont été enregistrés et les verbatim ont été transcrits. Les détails de la collecte de données sont présentés dans le Tableau 2.

Analyse des données

Les synthèses des entrevues de groupe et les verbatim des entrevues individuelles ont fait l’objet d’une analyse thématique avec le logiciel NVivo qui a permis de repérer et regrouper les thèmes du corpus pour ensuite représenter les éléments de convergence et de divergence dans un arbre thématique (Paillé et Mucchielli, 2016). L’analyse de ces thèmes a révélé qu’ils s’inscrivaient en cohérence avec la taxonomie des « résultats d’implantation » développée par Proctor et al., 2011. Un arbre thématique inspiré de cette taxonomie a ainsi pu être élaboré et l’ensemble du corpus a été analysé en fonction de ce cadre d’analyse. Les propos des intervenants ont été catégorisés selon les six premiers indicateurs de Proctor et ses collègues (2011) (voir Tableau 1).

Résultats

Données d’implantation

Pour répondre au premier objectif, soit documenter le degré d’implantation du programme Sage Usage dans les communautés des PNI au Québec, 64 acteurs de l’intervention en dépendance ont participé aux formations du programme Sage Usage en 2019 et 2020. La moitié d’entre eux ont participé aux groupes de discussion et aux entrevues individuelles (n=31). Parmi ces derniers, 25 % avaient implanté, en tout ou en partie, le programme Sage Usage. La cible d’implantation, qui était que chaque intervenant utilise le programme auprès de trois à cinq personnes n’a été atteinte que par un seul intervenant. Au total, dix usagers ont été exposés au programme Sage Usage. Parmi eux quatre usagers ont complété le programme et six l’ont amorcé sans le compléter. Les motifs sous-jacents à la non-complétion sont soit médicaux (n=2), reliés à la pandémie (n=3) ou l’expression d’un manque d’intérêt (n=1). Ces données témoignent de l’implantation difficile de Sage Usage.

Pour mieux comprendre les difficultés associées à l’implantation initiale du programme Sage Usage, la perspective des intervenants formés au programme a été recueillie. Leurs propos ont été catégorisés selon la taxonomie des « résultats d’implantation » de Proctor et al. (2011), présentée au Tableau 1.

Acceptabilité

Acceptabilité sociale

Dans les entrevues de groupe, certains intervenants affirment que le programme est difficile à implanter en raison du manque d’acceptabilité sociale de l’approche de consommation modérée dans les communautés. Cela dit, une seule intervenante mentionne avoir échangé avec des personnes ayant manifesté leur désaccord avec l’approche.

J’en ai parlé à mes usagers et il y en a qui m’ont répondu : « Ça n’a pas d’allure, ça n’a pas d’allure ça. Ça ne fonctionnera pas. Tu arrêtes ou tu n’arrêtes pas. Tu ne peux pas être entre les deux » (Mélanie).

Une autre intervenante mentionne que, bien qu’elle ne convienne pas à toutes les personnes qu’elle accompagne, l’approche mise de l’avant dans Sage Usage semble avoir du sens pour les membres de sa communauté.

Mais en général, dans la population en général, tout le monde à qui j’en ai parlé disait que c’était une vraiment bonne idée. Hum, c’est sûr que ce n’est pas pour tout le monde, mais tout le monde était d’accord que ça devrait être disponible dans la communauté (Alison).

Un intervenant souligne que les approches s’inscrivant dans une philosophie de réduction des méfaits sont de plus en plus acceptées par les membres de sa communauté, et ce, particulièrement chez les jeunes adultes.

La philosophie du boire contrôlé, la réduction des méfaits est de plus en plus acceptée comme une alternative intéressante. […] Des fois, dans les communautés c’était comme l’abstinence ou quelqu’un qui buvait à l’excès, mais de plus en plus on voit cette philosophie-là du boire contrôlé comme acceptée par les gens de la communauté. Surtout au niveau des jeunes [adultes][…] c’est plus intéressant comme alternative (Thomas).

Croyances des intervenants

Tous les intervenants rencontrés ont indiqué avoir des croyances compatibles avec l’approche de réduction des méfaits/modération de la consommation d’alcool et plusieurs mentionnent qu’il s’agit d’une approche acceptable pour leur clientèle.

Oui. Ça fait beaucoup plus de sens qu’une approche avec des objectifs d’arrêt complet. Encore là ça dépend d’où la personne est rendue dans ses étapes de changement, mais je pense que c’est une approche gagnante. Favoriser le changement dans d’autres sphères tout en réduisant la consommation (Nathalie). 

Une participante (Sarah) souligne cependant que certains intervenants peuvent avoir des appréhensions en lien avec la façon dont cette approche est perçue par leur clientèle ou par la communauté : « Il y a peut-être aussi, dit-elle, un inconfort qui vient des intervenants… par rapport à comment la clientèle va percevoir le fait que je propose un programme comme ça. Est-ce que ça va être vu comme encourager la consommation (…) ? »

Adoption

Nouvelles pratiques

Bien que la majorité des intervenants formés n’ait pas adopté le programme dans sa forme intégrale (structure, nombre et fréquence des rencontres), plusieurs d’entre eux disent l’avoir adopté partiellement en intégrant à leur pratique des éléments en cohérence avec l’esprit et les orientations du programme Sage Usage. Entre autres, une intervenante mentionne qu’avoir été formée au programme l’a aidé à adopter une attitude de non-jugement envers une cliente ayant une forte consommation. 

Ça m’a fait ouvrir mes œillères. Il y avait une [usagère] qui consommait beaucoup (…) ça me surprenait vraiment combien elle consommait, elle avait vraiment un problème. Mais ça m’a fait [l’effet] d’être ouverte, ça a fait un travail pour moi-même aussi… de ne pas être dans les jugements (…) Des fois elle me parlait et ça me faisait du bien à moi dans mon intervention… juste de l’écouter, d’être plus ouverte (Mary).

Une autre intervenante mentionne qu’à la suite de la formation, elle a pris l’habitude d’utiliser les outils de Sage Usage pour amener ses clients à prendre conscience du nombre de verres standard correspondant à leur consommation (1 consommation standard = 17,05 millilitres). 

Ça a développé chez moi une sensibilité au niveau des consommations standardisées. C’est quelque chose que j’ai plus utilisé avec les gens […] je pense que c’est quelque chose qui est resté et qui va rester, que j’ai utilisé davantage suite à la formation (Alison).

Deux intervenants affirment qu’ils ont adopté des pratiques d’intervention s’inscrivant dans une approche motivationnelle à la suite de la formation.

C’était plus l’aspect motivationnel qui m’a aidé, surtout avec les clients qui ne sont pas prêts à changer. J’ai des clients qui […] ne sont pas motivés du tout, ils ne sont pas intéressés à faire des changements. Être capable de dire « écoute, je comprends que tu n’es pas prêt à faire un changement, je te donne l’information, après ça, tu fais tes choix » c’est comme une nouvelle approche que j’ai intégrée beaucoup dans ma pratique […] Travailler au pas du client, qui sent que c’est lui-même qui fait les changements, c’est beaucoup plus puissant… (Thomas). 

L’un d’entre eux précise que les pratiques développées à travers la formation ont permis à son équipe et lui et de développer une meilleure alliance avec la clientèle.

Ça nous a amené des nouvelles façons de travailler qui ont favorisé la création du lien avec nos usagers. Les usagers, ils ont moins peur de venir nous voir, parce qu’ils savent qu’on ne leur donnera pas un objectif qui est irréalisable (Mike).

Sentiment d’autoefficacité en lien avec l’animation du programme

L’analyse des résultats démontre que certains intervenants, dont Annie, rencontraient des défis au regard de la manière de structurer leurs actions pour amorcer le programme, qu’ils avaient l’impression que cela serait complexe et exigeant en termes de temps et d’énergie. « Il faudrait que je me remette à jour, il faudrait que je relise… hum… comment je vais débuter ça [le programme], je vais être ouverte à ça, mais ces temps-ci je suis débordée. » .

Un intervenant a également remarqué que le fait de devoir mettre en œuvre le programme semblait causer beaucoup de stress à ses collègues qui avaient aussi reçu la formation.

Les autres intervenants qui ont été formés à Sage-Usage étaient vraiment stressés de le donner. Je ne me mets pas en haut d’eux autres, mais moi, je ne suis pas quelqu’un qui est stressé dans la vie, j’aime essayer des choses et j’ai l’impression que leur stress les a gagnés sur l’idée d’essayer (Mike).

Formation et soutien clinique

Les intervenants se sont dits satisfaits de la formation et la plupart d’entre eux considèrent qu’elle leur a permis de développer les habiletés nécessaires pour animer le programme Sage Usage.

Oui, je pense que c’est quand même simple et direct, très facile à utiliser… n’importe qui de presque n’importe quel « background » peut appliquer le matériel […] avec la formation que vous avez donnée, je pense que c’est très clair […] comment les interactions avec les clients peuvent aller et puis à quoi s’attendre (Thomas).

Plusieurs ont également souligné avoir apprécié la disponibilité des membres de l’équipe de recherche responsables d’offrir la formation pour les soutenir sur le plan clinique en continu.

Surtout que vous nous avez formés, oui, et puis l’aide […] vous étiez disponibles après aussi […] Celle qui nous avait formés, elle s’était montrée super disponible : « si vous avez des questions, on va zoomer, écrivez-moi… » Elle était full disponible (Mike). 

Tous ont affirmé être en accord avec l’intérêt d’une forme de mentorat pour l’utilisation du programme. Certains ont exprimé des doutes sur le réalisme de mettre en œuvre un système de mentorat, mais la pertinence de cette idée semble faire passablement consensus.

Je pense que ce serait assez difficile de trouver quelqu’un pour le faire, pour jouer ce rôle […] Oui, sans aucun doute [ce serait aidant]. Par exemple, si je commence à voir un client qui veut réduire sa consommation… si ce coach pouvait être présent pour la ou les premières rencontres en entier, ça ferait une très grande différence. Oui, ce serait la meilleure façon parce que nous [mes collègues et moi], pour nous sentir plus confiants face à comment faire notre travail, nous avons besoin de rappels fréquents, de quelqu’un qui est là pour nous guider (Melinda).

Impact du contexte pandémique 

Le contexte sociosanitaire semble avoir eu un impact considérable sur l’adoption du programme par certains intervenants. Une intervenante (Mary) mentionne qu’elle avait entamé le programme avec trois personnes, mais qu’elle n’a pas pu terminer en raison des événements liés à la COVID‑19. « J’en ai trouvé trois, mais je n’ai pas terminé à cause de tout ce qui s’est passé [interruption des services en raison de la pandémie]. Mais c’était vraiment bien parti ».

Plusieurs intervenants avaient débuté le recrutement de personnes pour le programme, mais l’interruption des services en personne à cause de la pandémie semble avoir démotivé certains d’entre eux.

On avait été formés, on était tous motivés, on avait nos guides, on a fait des approches… des fois, ça marchait, des fois ça fonctionnait pas. Pis cette période-là, d’arrêt de quelques mois ça a fait en sorte que là, même personnellement et même les autres, on a de la misère à remonter dans le bateau… parce que, en tout cas, moi je trouve l’outil super, mais il faudrait qu’on se botte un peu le derrière là pour remettre ça en marche… (Mike).

Convenance

Pertinence

Les propos des intervenants sous-entendent qu’ils perçoivent l’approche mise de l’avant dans Sage Usage comme pertinente pour amorcer une démarche visant la réduction de la consommation, comme l’illustrent les propos tenus par Tommy : « C’est un bon programme pour ceux qui essaient ou bien qui pensent à vouloir arrêter ou bien à diminuer la consommation. C’est un bon programme pour eux ». 

Le programme apparaît d’autant plus pertinent que les services en dépendance sont limités dans plusieurs communautés et sont parfois même absents de certaines communautés éloignées. Sage Usage bonifie l’offre de service en externe dans la communauté. Un intervenant souligne d’ailleurs que le fait d’intervenir dans la communauté, c’est-à-dire dans le contexte de vie de la personne, favorise davantage la généralisation des stratégies que l’intervention en milieu protégé, par exemple les thérapies en hébergement.

Je trouve qu’avec ce programme-là, ça aide encore plus d’une certaine façon qu’un programme comme [nom d’une thérapie fermée]. Un client peut aller à [nom d’une thérapie fermée] et ils vont s’habituer au milieu là-bas et comme tous les stimulus là-bas, ils vont être comme : « ça, c’est la place où je suis sobre ». Aussitôt qu’ils retournent à la maison, leur cerveau retourne […] ils retournent dans le milieu et ils recommencent à boire tout de suite. Cette petite intervention-là [Sage Usage] qui est faite dans les communautés, ça aide les clients à travailler sur leur milieu de vie […] en même temps de faire l’intervention et qui est quelque chose de beaucoup plus puissant pour enlever le risque de récidive, enlever le risque de consommer dans le futur et faire des changements qui sont permanents (Thomas).

Pertinence culturelle du programme

De manière générale, les intervenants sont d’avis que le guide est bien adapté, que les exemples et les stratégies proposés sont culturellement pertinents, c’est-à-dire qu’ils sont en accord avec les besoins et les préférences de leur clientèle.

Beaucoup de supports visuels, c’est super gagnant. Moins il y a de texte, plus il y a d’images, c’est super, super gagnant […] les images, moi, c’était gagnant là… Tu sais l’arbre de spiritualité [une activité du programme], je l’ai fait avec une usagère puis elle avait trippé (Mike). 

Les principales suggestions d’amélioration proposées par les participants concernent le texte contenu dans le guide. La réduction de la quantité de texte, la révision du vocabulaire ainsi que la simplification de la formulation de certaines phrases sont les principaux éléments évoqués, notamment par Vanessa :« Je trouvais ça lourd, il y avait beaucoup de lecture parce que moi-même je trouve ça long à lire puis je n’imagine pas pour les clients. Aussi, nous autres on est très imagés » . Mike abonde dans le même sens : « Parfois, dit-il, il y a des mots qui sont complexes, des phrases… Des tournures de phrases qui sont complexes qui justement nécessitent qu’on reprenne ça [avec le client] » 

Pour faire en sorte que le programme soit culturellement plus significatif, des intervenants, dont Mary, ont suggéré de faire plus de place aux langues autochtones : « J’aurais aimé, a-t-elle, dit, qu’il y ait des citations [en langues autochtones] qui viennent des différents peuples autochtones du Québec ça aurait été plus… tu sais pour nous approprier [le programme] ». La suggestion a aussi été reprise par Linda : « Éventuellement, on pourrait regarder dans le programme Sage Usage ce qui serait intéressant ou important à faire traduire [en langues autochtones] ». 

Besoins des communautés

Pour que le programme réponde mieux aux besoins de la clientèle, il a été suggéré d’intégrer des éléments en lien avec la polyconsommation puisque les gens font souvent usage de multiples substances, comme l’a souligné Mélanie : « J’ai eu beaucoup de personnes que j’ai dû exclure parce qu’ils consommaient du cannabis, des amphétamines… donc ils ne fitaient pas avec le programme ».

Les intervenants ont également rapporté que l’abstinence est l’objectif choisi par une partie de leur clientèle et que les activités du programme se révèlent utiles pour ceux qui visent cet objectif.

J’ai eu un client dans le groupe qui, tout au long, était sobre. Il est passé de 125 consommations par semaines dans un binge et il a arrêté tout de suite et il est resté sobre tout le long. Pour lui, peut-être qu’un programme de sobriété complète, un programme qui est moins réduction des méfaits et plus abstinence aurait fonctionné, mais, en même temps, le programme lui a appris plein de choses qu’il peut appliquer à sa vie (Thomas). 

Modalités de prestation

Plusieurs intervenants évoquent la nécessité de faire preuve de flexibilité dans les modalités de prestation du programme pour bien répondre aux besoins de leur clientèle. Les six rencontres prévues apparaissent insuffisantes pour couvrir l’ensemble du programme.

En six rencontres, on ne peut pas faire ça en six rencontres. On pose des questions, on jase [avec] les gens, ça amène la discussion pas mal je trouve, […] c’est pour ça que je me dis en six rencontres c’est trop [vite] (Mary).

Ils soulignent par ailleurs qu’il peut être difficile pour les personnes qu’ils accompagnent de s’engager dans une démarche à long terme, mais qu’une participation partielle au programme demeure tout de même utile.

Je pense que finir tout le programme peut vraiment faire des gros changements, mais en même temps, mes clients ont fait la moitié du programme et ils ont été capables de faire d’énormes changements dans leurs vies, alors je pense que non, ce n’est pas nécessaire de compléter tout le programme (Thomas). 

Formule

Bien qu’ils aient des préférences personnelles, les participants reconnaissent la pertinence des formules de groupe et individuelle. Certains soulèvent que le groupe pourrait être intimidant en début de suivi, mais que la formule pourrait être intéressante une fois le lien de confiance établi.

Je pense que pour le début, ça serait mieux en individuel. Parce qu’il y en a qui se sentent plus à l’aise tout seuls au début, pour se confier à propos de comment ils sont dans leur consommation. Mais plus tard, après quelques rencontres, ça serait correct qu’on le fasse avec un groupe, mais [toujours] avec les mêmes personnes (Tommy). 

Une intervenante a offert le programme en formule couple et souligne que ça a bien fonctionné. Cette formule est perçue positivement par les intervenants, dont Melinda : « Par exemple, moi et mon copain, si on avait besoin de diminuer [notre consommation d’alcool], je pense que ce serait très important pour nous de sentir cette connexion et de sentir que nous ne sommes pas seuls… ». 

Faisabilité

Enjeux de ressources humaines

Des intervenants, dont Thomas, ont souligné le roulement de personnel, qui rend difficile d’avoir un bassin suffisant d’intervenants ayant reçu la formation pour assurer la pérennité du programme ou permettre qu’il y ait une forme de co-développement en lien avec son implantation. « J’ai tellement changé de collègues ! […] Au début, oui, c’était correct, mais j’ai arrêté d’essayer d’expliquer, parce que ça roule beaucoup, beaucoup, beaucoup ici. J’ai juste dit que je fais des groupes en toxicomanie… ».

Par ailleurs, dans certaines communautés, des intervenants travaillent en rotation et ne sont pas remplacés lorsqu’ils sont absents, ce qui complexifie la mise en œuvre d’un programme s’échelonnant sur plusieurs semaines.

Je te dirais, le plus gros défi de ce type d’outil là, c’est que c’est un outil qui se travaille à long terme et les travailleurs sont là pour des périodes limitées de huit, neuf semaines. Des fois, ils vont rencontrer à la sixième semaine de leur période de travail un client vraiment motivé, mais, comme il [l’intervenant] s’en va en vacances dans deux semaines, il décide de ne pas commencer un programme aussi élaboré que ça (Thomas). 

Recrutement

Différents outils (affiches, pamphlets, capsules vidéo) ont été développés pour faire la promotion du programme dans les communautés, mais ces stratégies semblent avoir été inefficaces selon Tommy : « On avait envoyé des pamphlets pour aller accrocher dans les lieux publics, mais peut-être que c’est pas assez… Il n’y a personne qui… j’ai jamais vu personne venir ici pour venir parler de Sage Usage ».

Cet intervenant mentionne également qu’il arrive souvent que les personnes qui se montrent intéressées au programme ne donnent pas suite et qu’il ne se sent pas à l’aise de les relancer. « Oui, elles sont intéressées, mais elles ne viennent pas. Puis moi, je n’ose pas trop aller les voir pour les amener ici, tu sais, je ne veux pas les obliger ».

Le recrutement apparaît plus aisé lorsque fait directement par l’intervenant ou lorsqu’une référence directe à un intervenant est faite comme en témoigne les propos de cette intervenante.

Il y en a un [usager] un moment donné qui était venu […] dans mon bureau puis je lui ai proposé ce programme-là. Il y a deux ou trois clients pour qui je trouvais que ça pourrait bien convenir et qui voulaient avoir le contrôle sur leur consommation. Tu sais, c’est comme ça, c’est de bouche à oreille (Mary).

Réalité des communautés

Plusieurs intervenants, dont Melinda, ont mentionné que Sage Usage répondait à un besoin dans leurs communautés, mais que des événements contextuels (pandémie, crises, etc.) avaient rendu son implantation moins prioritaire. « Je ne pense pas, a-t-elle dit, que c’est une priorité urgente, mais il faut que ce soit implanté rapidement dans la communauté… Ça serait une priorité dans un [contexte] plus normal… » 

Contexte de soin

Alors que, dans les communautés, les obstacles à la prestation du programme évoqués concernent surtout le manque de ressources humaines, en contexte urbain, il semble que les principaux obstacles sont en lien avec la structure des services qui ne permet pas la prestation de soins dans un contexte culturellement adéquat.

Moi quand j’y vais, je vais au milieu de vie [au centre d’amitié autochtone], je dis salut au monde. Ils voient mon visage. C’est moi qui vais chez eux, ça favorise le lien de confiance. Puis il ne faut pas oublier tout ce qui est venu avant avec les institutions [pensionnats et discrimination dans les services publics]. Ça fait deux fois que j’essaie de faire voir un psychologue à une usagère qui veut voir un psychologue, mais elle ne veut pas aller au centre de services. Même chose pour les médecins, « je ne veux pas aller à l’urgence » (Nathalie).

Fidélité

Des intervenants ont mentionné qu’ils n’avaient pas suivi le programme à la lettre et qu’ils avaient adapté le contenu des rencontres aux besoins de la personne accompagnée.

 […] moi, des fois, admettons, quand il y avait des pages qu’il y avait quand même beaucoup d’écriture, que je jugeais que ce n’était pas nécessaire, tu sais des fois, je passais par-dessus. Est-ce que c’est correct […], est-ce que c’est pas correct, ça, je ne le sais pas, sauf que, admettons, moi, je me préparais à ma rencontre « Ok, là, avec elle, je vais regarder ça, je vais regarder ça, ok, ça… peut-être pas, c’est peut-être pas le temps… », tu sais, je skippais (Mike).

Coûts d’implantation

Les coûts d’implantation du programme Sage Usage ne représentent pas un enjeu majeur puisque le matériel nécessaire à sa prestation est fourni gratuitement. Or, comme mentionné dans la section sur la faisabilité, les coûts en termes de ressources humaines sont un obstacle non négligeable étant donné les enjeux de personnel.

Processus de recherche avec les PNI

Le protocole de recherche initialement développé incluait des outils pour évaluer les processus d’implantation et la fidélité d’utilisation du programme (grille de conformité, questionnaires d’appréciation, etc.). Les intervenants devaient donc documenter chacune de leurs rencontres, notamment en posant des questions aux personnes accompagnées dans le cadre du programme sur chacune des étapes des activités réalisées. Lors des entrevues de groupe, plusieurs intervenants ont mentionné que la lourdeur de ce protocole entravait la prestation du programme.

Les gens, quand on parle de recherche ou d’affaire de même [ils disent] « bon on est encore des cobayes ». Moi je ressens comme une petite réticence à niveau-là […] Je trouve pénible de tout le temps demander les questions [pour la recherche] à la fin. Je trouve ça vraiment pénible pour la personne, pour moi ça ne me dérange pas, mais je trouve ça redondant (Mary). 

Discussion

Les données présentées démontrent que l’implantation initiale de Sage Usage a été ardue, mais qu’elle a donné lieu à des retombées positives sur la pratique des intervenants. Les propos des répondants témoignent de la pertinence du programme pour bonifier l’offre de service actuelle. Une des principales forces de l’étude réside dans le fait qu’elle a donné une voix aux intervenants en milieu autochtone, ce qui a permis de dégager des pistes concrètes d’action pour rendre le programme plus adéquat et pour outiller les intervenants en matière d’intervention en dépendance. 

Les leçons tirées de l’implantation de Sage Usage s’avèrent pertinentes pour documenter les processus de développement et d’implantation d’innovations en contexte autochtone. L’étude met en lumière le caractère fondamental de l’engagement dans une démarche participative en offrant aux communautés la flexibilité nécessaire pour s’approprier de nouvelles pratiques d’intervention (MacKinnon, 2018). Les principaux résultats sont discutés selon la taxonomie de Proctor et al. (2011), présentée dans le Tableau 1.

Acceptabilité

Les intervenants interviewés ont indiqué avoir des croyances compatibles avec l’objectif de boire modéré. Ce constat est intéressant, mais il est possible qu’il résulte en partie d’un biais d’échantillonnage et que ceux dont les croyances sont incompatibles avec cet objectif n’aient pas poursuivi leur implication dans la recherche. Les interventions s’inscrivant dans une approche de réduction des méfaits sont de plus en plus adoptées dans les communautés autochtones, mais des défis en matière d’acceptabilité sociale demeurent. L’histoire coloniale et les mythes entourant l’usage d’alcool chez les autochtones contribuent à positionner l’abstinence comme un idéal (Dell et Lyons, 2007 ; Korhonen, 2004 ; Roy, 2005) et, pour certaines personnes, la spiritualité autochtone est incompatible avec la consommation d’alcool, même modérée. Ainsi, donner davantage d’espace à l’objectif d’abstinence dans le programme Sage Usage apparaît comme une stratégie susceptible de favoriser son acceptabilité et sa convenance. 

Adoption

L’adoption du programme par les intervenants s’est révélée être un défi. Leurs propos démontrent que certains d’entre eux ne savaient comment s’y prendre pour amorcer la mise en œuvre du programme, ce qui leur causait du stress. Bien qu’ils se soient généralement montrés satisfaits de la formation reçue, il s’est avéré difficile pour nombre d’entre eux d’appliquer les connaissances apprises en formation. Les intervenants doivent composer avec de nombreux défis reliés à l’offre de formation professionnelle dans les communautés (particulièrement les plus éloignées), au travail de proximité et à l’instabilité du personnel. Il est possible que ces conditions fassent en sorte que certains intervenants ne disposent pas des ressources nécessaires à l’optimisation et au transfert des apprentissages (Awais Bhatti et al., 2014 ; Na-nan et al., 2017). Du soutien clinique et du mentorat culturellement adéquats apparaissent comme des stratégies prometteuses (Lai et al., 2018) pour augmenter le sentiment d’autoefficacité des intervenants quant à l’animation du programme. En outre, l’interruption des services en raison du contexte pandémique peu après la formation a rendu impossible la mise en application rapide des connaissances développées, ce qui semble avoir entravé l’adoption du programme par les intervenants.

Bien que le programme ait été peu adopté par les intervenants dans sa forme intégrale, la formation leur a permis de développer de nouvelles pratiques d’intervention s’inscrivant dans une approche motivationnelle, en plus d’utiliser plusieurs activités du programme, mais dans un format détaché. Cette retombée inattendue s’annonce positive, d’autant plus que les interventions motivationnelles s’inscrivent parmi les meilleures pratiques d’intervention en matière d’usage d’alcool (DiClemente et al., 2017). Cela confirme également la pertinence des activités du programme, mais remet en question le format d’ensemble (ex. : six rencontres hebdomadaires consécutives). L’amélioration de la qualité du lien avec la clientèle, à l’aide d’éléments de Sage Usage, tel qu’évoqué par plusieurs participants, représente aussi un gain considérant que la qualité de l’alliance thérapeutique est associée à de meilleurs résultats d’intervention et une meilleure persévérance en traitement (Meier et al., 2005 ; Urbanoski et al., 2012). 

Convenance

De manière générale, les intervenants consultés considèrent le programme Sage Usage pertinent et semblent d’avis qu’il répond à des besoins pour lesquels l’offre de service gagnerait à être bonifiée. Bien que les membres des communautés aient actuellement accès à des thérapies en hébergement, ces dernières sont le plus souvent situées à l’extérieur des communautés et offrent majoritairement des services qui reposent sur le modèle d’abstinence, ce qui ne permet pas de répondre à la diversité des besoins. Sage Usage permet de compléter la gamme de services en ciblant les personnes présentant une consommation à faible ou moyen risque par des rencontres en externe à une fréquence variée, sans avoir à quitter la communauté. Il peut aussi être utilisé en prévention de la rechute auprès des personnes ayant participé à un traitement en hébergement hors de la communauté. Le suivi post-traitement et les interventions à long terme sont d’ailleurs associés à une plus grande probabilité d’abstention ou de consommation modérée (Beaulieu et al., 2021), et permettent une continuité dans l’offre de soins.

La pertinence culturelle du programme a été qualifiée de satisfaisante par les intervenants quant au contenu, mais inadéquate quant au format. La présentation du contenu est encore trop littéraire et mériterait de recourir davantage à l’image et aux symboles reliés à la culture. Les méthodes qui se basent sur le récit et la conversation sont, de façon générale, mieux adaptées à la vision du monde relationnelle des Autochtones (Smith, 2021). 

Les entrevues ont mis en lumière le besoin des intervenants des communautés d’être outillés en matière de polyconsommation, ce qui invite à réfléchir à l’idée de rendre le programme plus inclusif pour les personnes qui consomment plusieurs substances. Le besoin de formation en matière de polytoxicomanie est d’ailleurs un enjeu soulevé dans d’autres travaux (CSSSPNQL, 2008 ; Lévesque et al., 2018). 

Il est fondamental que la prestation du programme soit flexible pour s’adapter à la diversité des besoins de la clientèle. Cette flexibilité peut se traduire par la modulation du nombre de rencontres, du temps consacré à chacun des thèmes et du choix de la formule dans laquelle le programme est offert (individuel, groupe, couple). Les réalités vécues par les communautés des PNI sont hétérogènes sur plusieurs plans (traditions, population, territoire, services disponibles), il n’est donc pas possible d’implanter le programme de façon identique d’une communauté à l’autre. Diviser le programme en ses différentes composantes de manière à ce qu’elles soient autonomes et utilisables indépendamment les unes des autres permettrait de rendre le programme plus adéquat culturellement. La notion de liberté est très importante au sein des communautés autochtones et vient teinter la façon dont les rendez-vous de soins sont gérés. Ainsi, permettre aux intervenants de saisir l’occasion d’une rencontre pour promouvoir le contenu d’une partie de Sage Usage, sans pression à revenir à une « suite », apparaît mieux adapté.

La prestation du programme en formule couple a été expérimentée dans une communauté et la plupart des intervenants interviewés ont dit en avoir une perception positive. Les connaissances scientifiques actuelles sont suffisamment convaincantes pour soutenir l’utilisation des interventions conjugales dans les services en dépendance (O’Farrell et Clements, 2012 ; Powers et al., 2008 ; Wesley, 2016). La formule couple apparaît ainsi comme une innovation intéressante qui s’inscrit en cohérence avec la vision holistique du rétablissement commune chez les PNI. Bien que les données quant à l’efficacité de telles interventions auprès des PNI soient limitées, l’importance accordée à la famille dans les communautés autochtones vient soutenir le développement d’interventions en matière d’usage d’alcool incluant les membres de la famille (Calabria et al., 2012).

Faisabilité

La disponibilité du personnel est un enjeu fondamental en matière de faisabilité. Il est difficile de constituer un bassin suffisant d’intervenants formés au programme pour assurer une offre de service en continu ou mettre en place un système de co-développement. Outre le manque de personnel et les vides de services occasionnés par la rotation du personnel, les intervenants sont souvent appelés à intervenir en situation de crise, ce qui leur laisse peu de temps pour intervenir en prévention et offrir des services de première ligne. Les auteurs rapportent d’ailleurs à quel point les défis en matière de main-d’œuvre sont un des principaux obstacles à l’implantation d’innovations au sein des communautés autochtones (Sacca et al., 2022). Ces éléments mettent en lumière l’importance de mettre en place un processus d’implantation durable (MacKinnon, 2018), entre autres en offrant régulièrement des formations et en priorisant les intervenants locaux.

Le recrutement des participants au programme est un autre défi rencontré et il semble que les meilleures stratégies de recrutement soient celles qui impliquent une référence par un proche ou un intervenant connu, ce qui est cohérent avec les résultats d’autres études d’implantation en contexte autochtone (Abbott et al., 2012 ; Kimes et al., 2014 ; Leenen et al., 2008) et met en lumière l’importance des relations interpersonnelles et de la communauté dans l’implantation de programmes dans ce contexte.

Les intervenants en milieux urbains ont souligné que le contexte de soins en établissement allochtone nuit au recrutement et à la qualité de prestation du programme. À cet effet, plusieurs travaux ont soulevé le caractère non culturellement sécurisant de certains services offerts hors des communautés autochtones (National Collaborating Centre for Indigenous Health, 2019). La rencontre entre les PNI et les services de santé a historiquement été marquée par la stigmatisation et, au Canada, par une stratégie d’assimilation et des pratiques non éthiques, laissant ainsi des appréhensions importantes chez les PNI (Gouvernement du Québec, 2019). Les traumatismes historiques engendrés par la colonisation sont étroitement liés à l’usage problématique de substances : les milieux d’interventions doivent donc s’y montrer sensibles (Skewes et Blume, 2019).

Limites

Le recours à un échantillon de convenance fait en sorte que les participants à l’étude sont possiblement ceux qui ont une perception plus positive du programme, biaisant potentiellement les résultats notamment en matière d’acceptabilité. Le faible nombre de personnes autochtones dans l’échantillon (9 sur 21) constitue également une limite de cette étude et peut en partie s’expliquer par le caractère culturellement inadéquat du protocole de recherche initialement mis en place. Bien que les intervenants allochtones soient majoritaires dans l’étude, soulignons que plusieurs d’entre eux vivent dans les communautés autochtones et cumulent plusieurs années d’expérience auprès de cette population. De plus, des intervenants autochtones étaient présents lors de chacune des entrevues de groupe et l’équipe de recherche a fait preuve d’une attention constante pour s’assurer que leurs voix soient entendues. Cela dit, pour des travaux futurs, il serait important de développer les outils de collecte de donnée en collaboration avec des membres des communautés autochtones pour s’assurer de l’adéquation culturelle du processus de recherche et permettre une meilleure représentativité des intervenants autochtones. D’autre part, comparer l’expérience des intervenants autochtones avec celle des intervenants allochtones aurait pu nous renseigner sur l’adéquation culturelle du programme avec les besoins spécifiques aux intervenants des PNI et la manière de l’implanter. Cela dit, compte tenu de la petite taille de l’échantillon et du fait que l’étude ait été réalisée auprès d’un nombre restreint de communautés en contexte québécois, les auteurs ont choisi de ne pas spécifier l’origine des participants pour des raisons d’anonymat. Dans le même ordre d’idées, vu l’échantillon de petite taille, les auteurs ont choisi de ne pas discuter en détail le contexte spécifique de chaque communauté, et ce, bien qu’il existe des différences entre les communautés Inuit et celles des Premières Nations et qu’il y ait également des différences importantes au sein de ces dernières.

Le devis de recherche mixte initialement prévu incluait des outils de collecte de données tels que des grilles de conformités et des questionnaires d’appréciation qui étaient perçus comme lourds et culturellement inadéquats par plusieurs intervenants, ce qui a vraisemblablement nui aux premiers efforts d’implantation du programme. La mise en place de groupes de discussion a permis d’identifier rapidement cet obstacle et, en cours d’implantation, le devis a été modifié pour devenir essentiellement qualitatif et les documents écrits ont été remplacés par une évaluation à l’oral, plus congruente avec la vision du monde autochtone (CCPA Manitoba, 2018). Ce constat renforce l’idée selon laquelle l’évaluation dans une approche participative communautaire implique que les méthodes et les outils de collecte fassent l’objet d’un processus continu et collaboratif de réflexion critique de sorte qu’ils soient pertinents et utiles du point de vue des communautés (CCPA Manitoba, 2018 ; MacKinnon, 2018). L’héritage historique de pratiques de recherche inadéquates auprès des PNI (Smith, 2021) invite à une remise en question des façons de faire et impose de se montrer sensible aux rythmes et à la réalité de chaque communauté. Par ailleurs, la survenue de la pandémie de COVID-19 durant l’implantation initiale du programme Sage Usage a grandement atténué les efforts d’implantation.

Retombées pour l’intervention

Les résultats de l’étude ont permis d’effectuer des modifications pour conférer au programme une meilleure adéquation avec la réalité terrain. Des changements ont été apportés aux activités de façon à les rendre plus imagées et pour qu’il soit possible de les utiliser indépendamment les unes des autres. Elles ont également été modifiées de façon à assurer leur pertinence pour les personnes présentant une polyconsommation ou celles qui ont l’abstinence pour objectif. La pertinence d’offrir le programme selon différentes modalités telles que la formule couple ou dans le cadre d’un suivi post-thérapie a été mise de l’avant dans les résultats. À cet effet, l’idée d’expérimenter le programme dans le cadre d’un séjour de ressourcement sur le territoire a été suggérée par des partenaires à la suite de l’étude. L’étude a également donné des indications selon lesquelles la connaissance des concepts de base et des principales approches d’intervention en dépendance ainsi que le sentiment d’autoefficacité des intervenants constituent deux éléments qui pourraient être améliorés et dont il importe de tenir compte dans la planification des activités de formation et de soutien clinique. 

Suggestions pour de futures recherches

Il est souhaitable que l’implantation du programme Sage Usage continue de faire l’objet d’une évaluation via une démarche participative pour s’assurer que les changements effectués à la suite de l’étude confèrent véritablement au programme une meilleure adéquation avec les besoins des communautés des PNI. Recueillir la perspective des personnes accompagnées dans le cadre du programme Sage Usage quant à leur expérience et à l’influence du programme sur leur consommation permettrait d’obtenir de l’information en ce qui a trait à son impact. Par ailleurs, des travaux visant à identifier des processus de formation culturellement adéquats pour soutenir le développement des compétences et du sentiment d’autoefficacité des intervenants des PNI constituent une avenue prometteuse pour améliorer la qualité des services offerts aux membres de ces communautés. Également, pour s’inscrire dans une approche décolonisante et s’assurer de développer des connaissances pertinentes et utiles aux communautés autochtones, tout devis de recherche évaluative concernant leurs communautés devrait être élaboré avec l’aide d’un comité conseil formé de personnes autochtones assurant que les outils développés correspondent à la vision du monde autochtone (Johnston-Goodstar, 2012 ; CCPA Manitoba, 2018).

Conclusion

L’étude qualitative d’implantation a permis d’approfondir la compréhension des enjeux rencontrés dans le cadre de l’implantation du programme Sage Usage et, plus largement, de programmes d’intervention en réduction des méfaits auprès des PNI. Malgré une implantation présentant plusieurs défis, le programme Sage Usage est perçu comme ayant eu des retombées positives par les intervenants interviewés en plus d’avoir contribué à enrichir l’offre de service dans les communautés. Les interventions fondées sur la culture sont identifiées dans plusieurs travaux comme les plus prometteuses pour l’intervention en matière d’usage de substances auprès des personnes des premiers peuples (Urbanoski, 2017). Ainsi, toute avancée vers une plus grande adéquation culturelle est prometteuse.

 


Notes

[1] ^Les données présentées dans cet article brossent un portrait de l’implantation initiale de Sage Usage entre 2019 et 2021. À la lumière des résultats présentés, le développement du programme s’est poursuivi et sa forme actuelle diffère considérablement du programme initialement implanté. Des travaux sur les phases subséquentes du projet seront diffusés dans les années à venir. 

[2] ^Le projet Sage Usage (Plourde et al., 2018-2022) s’inscrit dans le projet Les programmes d’intervention précoce concernant l’usage à risque des SPA/JHA : la famille « Mes Choix » (Tremblay et al., 2018-2022)

 


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