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Sous la direction de Jean-Sébastien Fallu, David-Martin Milot, Myriam Laventure, Shelley-Rose Hyppolite

La prévention est une approche incontournable en ce qui a trait à la consommation de ­substances psychoactives. En tandem avec l’éducation, elle constitue d’ailleurs un des quatre piliers des stratégies canadienne et suisse sur les drogues et autres substances, en complément de la réduction des risques et des méfaits, du traitement ou de la thérapie et de l’application de la loi ou de la répression. Elle est également complémentaire à la promotion de la santé, qui s’intéresse principalement aux déterminants sociaux de la santé et aux iniquités qu’ils sous-tendent, plutôt qu’aux facteurs de risque qui sont au cœur de la prévention. Bien qu’étudiée de façon détaillée et généralement bien comprise, la prévention peut devenir complexe — et même mener à des effets iatrogéniques — lorsqu’appliquée à différentes situations.

En ce sens, dès l’ouverture de ce numéro thématique, Jean-Sébastien Fallu expose une perspective critique sur la posture de prévention auprès des jeunes. Sous forme d’éditorial, il questionne les assises théoriques, approches et pratiques sur lesquelles reposent historiquement les programmes de prévention en lien avec la consommation de drogues, posant l’hypothèse de leur contribution à la stigmatisation de l’usage et des personnes usagères. Il introduit ensuite le concept d’éducation « drug positive » comme piste de solution pour faire différemment et repositionner les rapports sociaux face aux drogues.

Le premier article, signé par Gougeon et ses collègues, présente ensuite des stratégies de prévention telles qu’identifiées par de jeunes adultes de 21 à 26 ans. Ce groupe en est un prioritaire pour des interventions de prévention sélective — c’est-à-dire ciblant des personnes exposées à des risques spécifiques — quant à l’usage de substances psychoactives. Les personnes de ce groupe d’âge traversent en effet de nombreuses transitions liées aux études, à la vie amoureuse et au travail, pouvant constituer des fragilités, mais également des opportunités de prévention permettant d’instaurer des réflexes protecteurs efficaces à long terme. Bénéficiant de financement grâce au Fonds de prévention et de recherche en matière de cannabis du gouvernement du Québec, les acteurs communautaires et institutionnels peuvent désormais agir en prévention de façon plus substantielle auprès de ce groupe d’âge. Encore faut-il cependant connaître les pistes d’actions auxquelles les jeunes adultes pourraient adhérer en lien avec la consommation d’alcool et de ­cannabis. En s’intéressant particulièrement aux événements festifs universitaires (EFU), les travaux de Gougeon et de ses collègues mettent de l’avant une approche participative pour identifier ces pistes d’action. Ainsi, ils ont pu identifier des stratégies d’ordre social, temporel et économique. Les stratégies pour prévenir des comportements à risque, tels que celui de conduire avec les facultés affaiblies ou encore d’avoir des relations sexuelles à risque, ont aussi été abordées. Bien que les mesures proposées présentent un bon potentiel d’efficacité, différents facteurs influençant leur implantation se doivent d’être pris en compte pour que les résultats visés soient atteints. Ces facteurs individuels, sociaux et contextuels ont été explorés par les chercheurs, qui notaient plus précisément que certaines stratégies mises en pratique lors d’EFU ne sont pas planifiées, d’où l’importance d’investir en prévention de façon précoce, intensive et fréquente auprès des enfants, adolescents et jeunes adultes. Les aptitudes personnelles et sociales qu’ils intègrent alors leur permettant de développer des réflexes efficaces pour limiter les risques liés à leur consommation et en optimiser les bénéfices perçus plus tard.

Le second article, rédigé par Alarie-Vézina et ses collègues, met aussi de l’avant une approche participative pour documenter l’adaptation de la forme et du contenu d’un programme de prévention secondaire reconnu efficace, Alcochoix+, à la réalité des Premières Nations et Inuit. Bien que celui-ci permette aujourd’hui d’aborder l’ensemble des substances psychoactives, la version évaluée s’intéressait principalement au boire modéré d’alcool, dans une approche de réduction des risques et des méfaits. Cette étude, menée à la phase d’implantation initiale du programme, visait à documenter son degré d’implantation et à identifier les éléments à adapter pour une meilleure adéquation culturelle de celui-ci à la réalité des Premières Nations et Inuit. Des entretiens de groupe et individuels menés auprès d’intervenants autochtones ont rendu compte d’une implantation difficile, mais également de l’impact positif des formations données sur les pratiques des intervenants. Cependant, la mise en pratique des connaissances acquises lors des formations posait un défi. Son acceptabilité a notamment été remise en question, vu l’intrication des approches de réduction des méfaits et d’abstinence avec les considérations coloniales et certains mythes circulant autour de l’alcool. Malgré cela, la pertinence du programme dans une version adaptée a été soulignée pour répondre aux enjeux liés à la consommation d’alcool dans ces communautés. Certains ajustements dans la forme ont d’ailleurs été proposés, alors que le contenu était jugé convenable. Quant à la faisabilité, la situation actuelle vécue par les Premières Nations et Inuit a rendu difficile le recrutement d’un groupe d’intervenants formés et disponibles pour pouvoir déployer le programme. Somme toute, cette étude démontre l’importance d’intégrer pleinement les considérations liées à l’adéquation culturelle d’un programme, à partir des constats partagés par les personnes autochtones directement concernées par celui-ci. Une approche telle que celle développée par Alarie-Vézina et ses collègues pourra inspirer d’autres études sur le sujet.

Le troisième article s’intéresse à la prévention des risques liés aux jeux de hasard et d’argent. Cette étude, menée par Papineau et ses collègues, explore les caractéristiques propres à l’offre de ces activités et à la vulnérabilité de la population y étant exposée à l’aide de deux outils : l’indice d’exposition au jeu et l’indice de vulnérabilité au jeu. La méthode utilisée donne lieu à une réflexion intéressante sur les inégalités sociales de santé inhérentes à ces pratiques peu encadrées. Des analyses spatiales et descriptives permettent de visualiser rapidement la distribution des zones où la vulnérabilité et l’exposition aux jeux sont élevées au Québec. Ces zones sont ainsi désignées comme étant prioritaires pour des interventions préventives rendant les environnements physiques, sociaux, politiques et économiques plus favorables à la santé de la population qui y évolue. Ces zones peuvent également permettre d’identifier des milieux où il est important de renforcer l’offre de services en prévention et en traitement de la dépendance aux jeux de hasard et d’argent. Finalement, une réflexion pertinente est réalisée autour des retombées de l’outil cartographique et des enjeux les sous-tendant. En effet, plusieurs acteurs, tels ceux de la santé publique, mais également des municipalités et des instances responsables de la gestion des jeux de hasard et d’argent, disposent de leviers pour pallier cette situation sans toutefois s’en prévaloir de façon optimale. Cette étude démontre également le potentiel de l’utilisation des nouvelles technologiques pour affiner les stratégies de prévention.

Hors thème, sous la direction de Christophe Hunh

Les articles hors thème de ce numéro ont tous comme fil conducteur de vouloir comprendre davantage l’univers des comportements à risque et des dépendances afin de mieux les prévenir ou les traiter. Différentes approches et méthodologies sont sollicitées : réflexion critique théorique, recension de la littérature scientifique, enquête quantitative à partir d’autoquestionnaires, entrevues qualitatives, analyse des contenus médiatiques, etc. Ces approches illustrent la richesse et la diversité de la recherche en dépendance, comme démontré dans ce numéro de Drogues, santé et société.

Tout d’abord, dans le domaine de la dépendance, il est souvent évoqué que les troubles de l’usage de substances s’apparenteraient à des maladies chroniques telles que le diabète ou l’hypertension. Beaulieu et Tremblay nous invitent à réfléchir de manière critique sur le concept de chronicité et présentent les fondements théoriques de cette notion en mobilisant les trois éléments d’incontrôlabilité, d’irrévocabilité et de monolithisme conceptuel. Le lectorat est amené à s’interroger à propos du poids des concepts théoriques sur les pratiques cliniques, c’est-à-dire l’impact que la conceptualisation des troubles de l’usage aux substances comme condition chronique pourrait avoir sur la réponse adéquate offerte aux personnes en recherche d’aide. Le texte vise à s’interroger sur la possibilité de dérive qu’engendre le fait de médicaliser les problèmes de consommation et de les présenter comme un tout homogène qui pourrait évacuer une vision nuancée multidimensionnelle de la question.

Dans un autre ordre d’idées, Cotton et ses collaboratrices ont mené une revue de la portée visant à faire l’état des connaissances sur la relation existante entre la douance intellectuelle et le continuum de la consommation de substances psychoactives, qui va de l’usage récréatif non problématique aux troubles de l’usage. Cette recension explore si le milieu scientifique fait le croisement entre ces deux concepts et s’il propose des manières de les mesurer. Les personnes douées peuvent faire l’objet de plusieurs préjugés en raison d’une méconnaissance de leurs réalités. Ce texte met en relief les connaissances à développer et à diffuser sur le sujet afin de mieux outiller le milieu de l’aide professionnelle. Il démontre que le fait d’améliorer la recherche dans le domaine de la douance permettrait de mieux accompagner les personnes douées en tenant compte de leurs spécificités quand il faut aborder les enjeux liés à la consommation.

Autrement, à partir d’une enquête transversale menée auprès d’élèves et d’étudiants âgés de 15 à 25 ans de Gao au Mali, l’équipe de Traoré visait à déterminer la prévalence de consommation de substances psychoactives légales et illégales dans cette population, ainsi que les facteurs associés à cet usage. Bien que plusieurs données de cette nature soient publiées régulièrement dans le monde occidental, les connaissances sont plus rares pour des pays comme le Mali. Des différences contextuelles sur le plan socioculturel, religieux, économique et légal expliquent la nécessité d’avoir des données populationnelles récentes qui permettront de guider les programmes de prévention destinés spécifiquement aux jeunes maliens. L’article est également d’intérêt pour le public issu d’autres pays afin de mieux comprendre le rôle du contexte dans les études épidémiologiques. Il permet au lectorat de considérer la consommation de substances chez les jeunes comme étant imbriquée dans un univers culturel ; toute initiative de prévention des risques devant tenir compte des réalités sociopolitiques.

Tout comme le lien entre criminalité et substances psychoactives, l’association entre la commission de délits et le trouble lié aux jeux de hasard et d’argent constitue un enjeu d’intérêt dans le champ des dépendances. L’étude qualitative menée par Bertrand-Danjou et son équipe permet de mieux comprendre cette réalité à travers la perspective de personnes ayant des habitudes de jeu problématiques. Contrairement aux préconceptions voulant que les délits soient davantage liés aux enjeux financiers, les résultats de l’étude démontrent que ceux-ci sont diversifiés et ne sont pas toujours directement associés à des habitudes spécifiques de jeu. Dans une perspective de prise en charge, il devient crucial de mieux comprendre comment les délits s’inscrivent dans le parcours des joueurs et des joueuses afin de réduire les méfaits associés. Ceci démontre l’importance d’aller au-delà du raisonnement voulant que les crimes soient commis que pour financer les habitudes de jeu.

Aller au-delà des préconceptions et des idées reçues entourant les personnes qui vivent des problèmes de jeux de hasard et d’argent est aussi une thématique abordée dans l’article d’Adèle Morvannou. À partir d’entrevues qualitatives semi-structurées, l’autrice nous présente l’importance de la formation des personnes qui auront à intervenir auprès de cette population. Elle s’intéresse plus spécifiquement au développement de l’empathie, notamment à travers l’intégration de témoignages de personnes ayant un vécu expérientiel de la question dans les activités pédagogiques des étudiants et des étudiantes. Elle en vient à la conclusion que cet élément clé peut permettre aux prochaines générations d’intervenants d’offrir des services adaptés, de qualité et qui sont exempts de stigmatisation et de discrimination.

Hors thème sous la direction de Francine Ferland

Pour conclure ce numéro et pour rester sur la thématique des idées préconçues entourant les jeux de hasard et d’argent, Berger et Cantinotti nous invitent à réfléchir sur l’impact des discours médiatiques québécois sur les joueurs de poker. Leur analyse thématique de la question fait émerger la forte représentation positive de ces joueurs, sans toutefois négliger les conséquences négatives qu’ils peuvent vivre. Mieux comprendre comment les médias de masse véhiculent des messages entourant le poker et ses joueurs est essentiel dans une perspective de prévention et de traitement, car cette connaissance permet d’aborder autant les aspects identitaires de glorification excessive des joueurs de poker construits par le contexte socioculturel que les enjeux potentiels de stigmatisation dans la population au sujet de ces personnes.

Bonne lecture !

David-Martin Milot, Jean-Sébastien Fallu, Myriam Laventure, Shelley-Rose Hyppolite (pour les articles thématiques), Christophe Hunh et Francine Ferland (pour les articles hors thème)

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