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Sous la direction de Annie-Claude Savard, Adèle Morvannou et Francine Ferland /

Ce numéro de Drogues, santé et société se penche sur la zone floue entre le gambling et le gaming, mettant en lumière les transformations récentes de l’environnement de jeu numérique. L’essor rapide des jeux en ligne et l’émergence des jeux hybrides, tels que les free-to-play (F2P), ont bouleversé les frontières entre les jeux de hasard et d’argent (JHA) et les jeux vidéo. Ces jeux émergents ont créé de nouvelles dynamiques affectant autant les pratiques des joueurs et joueuses que les stratégies de régulation. Il est crucial de comprendre ces changements en raison des enjeux de santé publique qu’ils soulèvent, notamment en ce qui concerne les risques et la prévention. Les articles de ce numéro abordent ces transformations sous plusieurs angles, allant de l’interrelation entre JHA et jeux vidéo, à l’intégration des jeux F2P dans la vie quotidienne, en passant par les risques associés à ces nouvelles formes de jeux. 

Résumés des articles

Le premier article du numéro aborde précisément la question de la convergence entre jeux vidéo (JV) et jeux de hasard et d’argent. À travers une étude qualitative, Légaré et ses collègues explorent la perception de joueurs et joueuses de JV et de JHA quant aux similitudes et aux différences entre ces jeux. Alors que les JV et les JHA semblent converger sur le plan des motivations à jouer (plaisir, divertissement, gains), ils se distinguent sur le plan de la nature des gains, de l’importance des coûts et de la gravité des conséquences perçues. L’étude expose également l’existence d’une relation potentielle entre la participation aux JV et l’initiation aux JHA à travers l’expérience des participants et participantes. D’une part la participation aux JV pourrait favoriser cette initiation ; d’autre part, elle pourrait également la prévenir. 

Les jeux free-to-play constituent probablement la concrétisation la plus manifeste de l’hybridation entre JHA et JV. Avec l’essor des nouvelles technologies, ces jeux mobiles sont devenus parmi les jeux les plus populaires. Ces jeux gratuits sont accessibles partout et en tout temps via nos appareils mobiles, ce qui soulève des questions sur la manière dont les joueurs et joueuses s’y adonnent et sur leur intrusion dans notre quotidien. Ancrée dans la théorie des pratiques sociales, l’étude de Laforge et ses collègues documente la manière dont les caractéristiques des jeux mobiles F2P façonnent leur intégration dans la vie quotidienne des individus. Les résultats, fondés sur une analyse approfondie des concepts de « stickness » et de « slickness », montrent comment ces jeux sont conçus à la fois pour favoriser un engagement accru des joueurs et joueuses, et pour s’intégrer harmonieusement dans leur quotidien.

Les jeux F2P ont également été l’objet de critiques importantes, notamment en raison de l’intégration de mécaniques propres aux JHA. Au-delà des jeux et de leur mécanique, qu’en est-il des pratiques des joueurs et joueuses à cet égard ? Par exemple, en quoi les joueurs et joueuses qui s’adonnent à la fois à des jeux F2P et à des JHA se distinguent-ils de ceux qui ne jouent qu’aux F2P ? C’est à ce type de questions que s’intéresse l’article de Coste. À partir d’une étude quantitative, l’auteur explore l’existence de sous-groupes de joueurs et joueuses F2P se distinguant selon leurs profils sociodémographiques, leurs habitudes de jeu F2P, leurs habitudes de JHA, et les risques associés. Cette étude contribue aux réflexions sur les points de convergence entre les JHA et les F2P, ainsi que sur les risques qui découlent de la participation à ceux-ci.

L’univers des jeux F2P n’est pas réservé qu’aux adultes. En effet plusieurs de ces jeux sont créés spécifiquement pour les jeunes d’âge préscolaire et scolaire. L’équipe de Bonenfant a analysé 249 jeux F2P s’adressant aux enfants pour explorer dans quelle mesure ces derniers incluaient des stratégies dites « persuasives », c’est-à-dire des stratégies qui influencent les joueurs et joueuses à demeurer connectés, à dépenser davantage et à revenir fréquemment sur le jeu gratuit. Parmi les stratégies identifiées, l’équipe a noté la présence de composantes habituellement retrouvées dans les JHA. L’étude montre que l’intégration de ces composantes réduit la frontière entre activités ludiques et JHA, en plus de banaliser les jeux de hasard et d’argent auprès de cette population.

Alors que la plupart des gens ne vivent aucune conséquence négative associée à l’utilisation des jeux vidéo, une certaine proportion des joueurs et joueuses développent un usage problématique de cette activité et ont besoin de services pour se rétablir. Dans les services publics, l’âge de la personne est souvent utilisé comme critère pour déterminer si elle recevra des services dédiés à la clientèle jeunesse (moins de 18 ans) ou adulte (18 ans et plus). L’étude de Blanchette-Martin et collaborateurs postule que l’âge n’est pas le seul facteur à considérer lorsqu’il s’agit de jeux vidéo et que le fait d’habiter ou non avec un de ses parents pourrait être une variable à considérer lorsqu’il est temps d’orienter une personne vers un service spécifique. Cette étude quantitative compare une cohorte de 155 personnes de 12 ans et plus qui habitent ou non avec un de leurs parents et qui présentent un usage problématique des jeux vidéo. Les résultats indiquent peu de différences entre les deux groupes, bien que les joueurs et joueuses vivant chez un de leurs parents rapportent plus d’impacts sur leurs relations familiales. Le fait qu’il y ait peu de différences entre les deux groupes soulève la question de l’utilisation unique de l’âge comme critère d’orientation vers un service jeunesse ou adulte pour les personnes ayant une utilisation problématique des jeux vidéo.

Au cours des dernières années, l’accessibilité aux jeux de hasard et d’argent s’est accrue notamment en raison de leur présence en ligne. Malgré une tendance à la hausse du jeu en ligne, certains joueurs et joueuses demeurent réticents ou choisissent tout simplement de ne pas jouer en ligne. L’étude de Cardinal et son équipe utilise un devis qualitatif pour dresser un portrait des risques perçus par les joueurs et joueuses hors ligne à propos du jeu en ligne. Les rencontres menées auprès de 28 personnes ont révélé des craintes concernant les délais de réception des éventuels gains, les possibilités de fraude de même que la très grande accessibilité et facilité à perdre le contrôle de ses mises. L’ensemble des risques perçus semble inciter à l’abstinence du jeu en ligne chez les non-joueurs en ligne.

Article hors-thème

Le dernier article de ce numéro thématique ne cible pas directement la question de la digitalisation des jeux ou de la porosité des frontières entre gaming et gambling, mais s’inscrit plus largement dans le thème d’actualité de l’utilisation d’Internet et des écrans. À cet effet, l’article de l’équipe de Gatineau s’intéresse au concept de binge souvent associé à la consommation d’alcool et bien défini pour cette problématique. À l’aide de questionnaires et d’entrevues menées auprès de 93 jeunes de 17 à 25 ans, les chercheurs ont établi qu’un épisode d’utilisation des écrans de 7,5 heures consécutives pourrait correspondre à un épisode de binge et entraîner des difficultés familiales, monétaires, physiques et personnelles. Les auteurs suggèrent que le seuil de 7,5 heures consécutives sur Internet pourrait servir de critère pour détecter l’utilisation problématique des écrans ou encore comme indicateur comportemental à ne pas dépasser pour encourager une utilisation saine.

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