DIDIER JUTRAS-ASWAD / CHANTAL ROBILLARD
Didier Jutras-Aswad et Chantal Robillard

La littérature portant sur la consommation de substances psychoactives est souvent centrée sur le
point de vue et la problématique de l’usager. Généralement, la compréhension du phénomène de
la consommation est inspirée d’une vision orientée vers l’utilisation pathologique de l’alcool et des
drogues et les données émanent de services spécialisés dans le traitement de la toxicomanie. Dans
la lignée de ce qu’est l’essence même de Drogues, santé et société, le présent numéro contient une
série d’articles qui rend compte d’autres points de vue que celui de l’usager problématique faisant
une demande d’aide dans une ressource spécialisée en dépendance. Que ce soit sous l’angle de
populations spécifiques comme les adolescents innus ou les personnes souffrant d’autres problèmes
de santé, des patients qui consultent les services de première ligne, du réseau social ou de
la personne qui ne reconnaît pas sa toxicomanie, les articles proposés permettent d’élargir notre
conceptualisation de la consommation de substances et des enjeux qui y sont associés.

Dans le premier article du numéro, Tétreault et Courtois présentent les résultats d’une étude menée
auprès de personnes vivant avec une lésion médullaire. Les auteurs font dans un premier temps
le portrait de la consommation de substances psychoactives dans cette population spécifique,
puis rapportent des données sur l’évolution de cette consommation avant, pendant et après la
réadaptation en lien avec la blessure. La richesse de cette étude provient notamment de la possibilité
d’observer l’évolution de la consommation tout au long de ce processus de réadaptation. Les
auteurs identifient ainsi une recrudescence de consommation d’alcool dans la période de retour à
domicile, après une période de consommation plus modérée pendant la phase active de réadaptation.

D’autre part, la consommation de drogues ne semble pas changer tout au long du processus
de réadaptation, ni par la suite. Les résultats de l’étude identifient aussi certains phénomènes
méritant de faire l’objet d’une attention particulière, tant sur le plan de l’intervention que de la
recherche. Ces résultats soulignent également la pertinence de s’intéresser à la consommation
chez les personnes utilisant les services de santé.

Dans cette lignée, Maynard et ses collègues s’intéressent au défi de la mise en oeuvre des services
de repérage, détection, interventions brèves et orientation (RDIBO) à l’intention des patients ayant
un problème de dépendance dans les services de santé de première ligne. L’article tente de cerner
l’expérience des intervenants de première ligne ayant suivi les ateliers de formation du ministère de la
Santé et des Services sociaux (MSSS) visant à mettre en oeuvre le programme-services Dépendances.

Par l’intermédiaire de discussions focalisées et de questionnaires, les auteurs mettent en évidence
des phénomènes à la fois surprenants et fort informatifs. Si la formation permet d’améliorer la
connaissance théorique des participants sur la dépendance, elle s’avère peu utile pour mener à
des changements concrets dans leur pratique clinique. Les auteurs viennent ainsi identifier un
obstacle important à la mise en oeuvre des services de RDIBO, jetant un regard critique sur ce type
de formation. Ce point de vue controversé pourra sans aucun doute alimenter les réflexions et les
discussions sur les stratégies optimales à adopter pour améliorer l’accès aux services de première
ligne aux personnes nécessitant des interventions en dépendance.

Dans le troisième article, Menecier et ses collègues s’intéressent au déni de la personne dépendante
à l’alcool. Phénomène à la fois supposément répandu et peu connu, le déni est revisité,
exploré et considéré sous toutes ses formes par les auteurs. Utilisant des points de vue et des
théories variées, ceux-ci empruntent aux domaines psychodynamiques, neurobiologiques et des
sciences cognitives pour élaborer une vision du déni à la fois éclatée et très humaine. Loin de jeter
la pierre à la personne qui boit, l’article permet non seulement d’approfondir le concept de déni,
mais aussi d’en expliquer les limites et les dérives potentielles. Les auteurs mettent la touche
finale à ce tableau complexe en prenant bien soin de ne pas omettre la contribution parfois significative
de l’intervenant, ce dernier étant parfois au centre même de la genèse du déni chez le buveur.

L’article de Demers-Lessard et de ses collègues explore pour sa part le rôle du réseau social sur
le processus de demande d’aide et la persévérance en traitement des adolescents bénéficiant de
services spécialisés en dépendance. Les auteurs avancent des propos nuancés quant à l’influence
du réseau social informel composé de parents et d’amis. Il leur semble indéniable que ce réseau
doit s’intégrer à la démarche thérapeutique, puisqu’il répond à des besoins complémentaires à
ceux abordés par le réseau formel. Cependant, une éducation ou sensibilisation des proches leur
semble nécessaire afin de maintenir les acquis et l’engagement au traitement chez le jeune. Une
approche plus systémique qui coordonne l’apport du réseau de soutien formel et celui du réseau
informel permettrait de construire autour du jeune un filet de sûreté pouvant l’aider à cheminer dans
son processus thérapeutique.

Finalement, Cotton, Laventure et Joly présentent une description des adaptations culturelles du programme
de prévention en dépendance universel, Système d, pour les enfants autochtones innus.
Les auteurs soulignent le manque de ressources adaptées dans le domaine des dépendances
pour les Autochtones vivant dans des communautés. Afin de faciliter l’implantation et l’atteinte des
objectifs du programme, des adaptations ont été apportées sur le plan de la durée des activités
et des approches didactiques utilisées pour présenter des concepts complexes. Des exemples et
concepts significatifs pour la culture autochtone ont aussi été ajoutés. Ces adaptations viennent
répondre aux besoins spécifiques du groupe d’âge visé, ainsi qu’aux caractéristiques et aux valeurs
promues dans les écoles et la communauté ciblée. Les auteurs recommandent toutefois de poursuivre
les adaptations culturelles afin de s’assurer que le programme réponde bien à l’ensemble
des réalités scolaires innues.

L’ensemble de ces articles illustre combien les enjeux associés à la consommation de substances
vont bien au-delà de la drogue même pour insérer l’expérience subjective du consommateur dans
un réseau social et un contexte culturel plus large, la toxicomanie dans un ensemble complexe de
problèmes de santé, et le parcours thérapeutique dans des chocs organisationnels et thérapeutiques.
Ces textes soulignent ainsi l’importance d’adapter les interventions en dépendance à la
diversité des expériences subjectives, des trajectoires de consommation et profils médicaux, et des
contextes socioculturels et organisationnels.

 

Tous droits réservés © Drogues, santé et société, 2016

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