KARINE BERTRAND, JOËL TREMBLAY et JORGE FLORES ARANDA

Ce numéro spécial de Drogues, santé et société porte sur la toxicomanie chez les jeunes ainsi que sur les problèmes concomitants et les pratiques à risque qui y sont associées. Il fait suite à la parution d’une première partie (https://drogues-sante-societe.ca/category/volume-13/no-2-decembre-2014-jeunes-et-toxicomanie/), traitant de la complexité inhérente à la compréhension et au traitement de la toxicomanie chez les jeunes, et comporte neuf articles écrits par des auteurs provenant de la France, des États-Unis, de l’Espagne et bien sûr du Québec. Tant ici qu’ailleurs dans le monde, les auteurs constatent qu’il faut adopter une perspective holistique pour bien comprendre les difficultés qu’éprouvent les jeunes aux prises avec une consommation problématique de substances psychoactives. Pour adapter nos approches à l’ensemble de leurs besoins, cela exige des efforts de collaboration et le croisement d’expertises entre les différents acteurs qui gravitent autour de ceux-ci.

Dans un premier temps, Michaud, Lécailler et Hadj-Slimane abordent la prévention secondaire des dommages liés aux substances psychoactives chez les jeunes par un bilan critique d’une action de santé publique déployée en France depuis une décennie. Cet article souligne la pertinence de la formation au repérage et aux interventions brèves dans les écoles secondaires ainsi que des efforts de collaboration entre les intervenants scolaires, essentiellement des infirmières, et les services spécialisés pour les jeunes consommateurs. Il illustre également que le recours à des outils concrets, comme la DEP-ADO, questionnaire de repérage, ainsi que l’utilisation de l’entretien motivationnel, sont des éléments favorisant l’implantation de pratiques de santé publique efficaces. Il permet en outre de conclure que l’engagement institutionnel du côté des acteurs en santé ainsi que l’appui des différentes instances politiques et administratives impliquées, par exemple en éducation, sont essentiels au succès de la prévention ciblée pour les jeunes Français.

Le second article, rédigé par Coleman-Cowger, Baumer, Dennis et al., s’intéresse à la relation entre la concomitance de troubles liés à la consommation de drogues et d’autres troubles mentaux ainsi qu’à une variété de comportements à risque au regard du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) chez les jeunes engagés dans un processus de réadaptation en toxicomanie aux États-Unis. Les résultats, présentés dans ce numéro spécial en version originale anglaise et en version française, sont tirés d’une large étude auprès de 17 141 jeunes âgés entre 12 et 25 ans, qui ont entrepris un traitement dans l’un des 148 programmes subventionnés par le Substance Abuse and Mental Health Services Administration du Center for Substance Abuse Treatment (SAMHSA/CSAT). Cette étude confirme d’une part, que les comportements à risque sur le plan de la transmission du VIH, comme le fait d’avoir des rapports sexuels non protégés et de multiples partenaires, sont largement répandus chez les participants et que d’autre part, la concomitance entre toxicomanie et troubles mentaux est associée à davantage de risques sur ce plan. Un autre constat préoccupant est que, malgré certaines améliorations chez les sous-groupes de jeunes aux prises avec des troubles concomitants, deux comportements à risque pour le VIH étaient en hausse six mois après le début du traitement, notamment le nombre d’activités sexuelles à risque élevé. Les auteurs mettent de l’avant l’importance de cibler plus efficacement les comportements sexuels à risque dans le cadre des traitements spécialisés de la toxicomanie chez les jeunes.

Dans le troisième article, Jiménez-Murcia, Granero, Tárrega et al. s’intéressent aux liens entre consommation de drogues, comportement de jeux et traits de personnalité, en plus de comparer sur ces dimensions les jeunes participants de 25 ans ou moins et les participants de plus de 25 ans. Les participants de cette étude sont tous admis dans un département de psychiatrie à Barcelone, en Espagne, avec un diagnostic de jeu pathologique. Cette étude montre notamment que les jeunes joueurs pathologiques présentaient un taux de consommation de drogues plus élevé que les plus âgés ainsi que, du côté de la personnalité, des cotes plus élevées sur le plan de la recherche de nouveautés. Les auteurs insistent sur l’importance d’intervenir précocement auprès des jeunes aux prises avec un problème de jeu pathologique et de développer des approches curatives qui prennent en compte leur profil clinique, et donc les enjeux liés à la consommation de psychotropes et à la personnalité.

Quant au quatrième article, coécrit par Pineau-Villeneuve, Laurier, Fredette et Guay, celui-ci porte sur la prise de risque chez les jeunes contrevenants de Montréal. L’étude présentée permet d’abord de confirmer que ceux-ci tendent à adopter une variété de comportements à risque, tant sur le plan de la consommation de psychotropes, des comportements sexuels que de la conduite automobile. Le fait d’appartenir à un gang de rue est associé à une prise de risque accrue dans divers domaines, comparativement aux autres jeunes contrevenants non membres de gang. Les auteurs soulèvent également que la délinquance engendre de multiples conséquences notamment sur le plan de la santé du jeune en raison de prises de risque multiples et que ces enjeux devraient guider les actions des intervenants et gestionnaires qui sont impliqués dans la vie des jeunes délinquants.

Dans la même veine, Lambert, Haley, Tremblay et al. dans le cinquième article, présentent une étude qui confirme l’association entre divers comportements à risque pour la santé, soit la consommation problématique de substances psychoactives et les comportements sexuels à risque chez les jeunes admis en centre jeunesse au Québec. Les auteurs soulignent que les comportements sexuels à risque sont rapportés fréquemment par les participants de leur étude, constat encore plus marqué pour les jeunes qui consomment des substances psychoactives de manière problématique. Les conclusions de cette étude appuient le fait que l’hébergement en centre jeunesse constitue un contexte favorable pour offrir une intervention ciblant à la fois la dépendance aux substances psychoactives et la santé sexuelle. À nouveau, les auteurs soulèvent l’importance que les intervenants adoptent une approche de santé globale qui prend en compte l’ensemble des besoins des adolescents.

Dans le cadre du sixième article, Joubert, Carpentier, Plourde et al. confirment à nouveau les interrelations entre divers comportements risqués, cette fois chez de jeunes adultes. Leur étude s’intéresse plus spécifiquement à la probabilité de prise de risque en matière de sexualité, de consommation de substances psychoactives et de conduite automobile chez des étudiantes postsecondaires québécoises. Les auteurs discutent notamment de la propension à adopter des comportements sexualisés en contexte de fête, propension accentuée lorsqu’il y a consommation d’alcool. Il demeure toutefois que dans cet échantillon, la propension globale au risque est relativement faible et que les prises de risques varient de façon importante selon diverses variables individuelles et contextuelles. Les auteurs soulèvent l’importance de mieux comprendre les comportements à risque des jeunes adultes, en s’attardant à leur trajectoire de vie et à leur propre point de vue.

Pour leur part, Goyette et Flores-Aranda, dans le cadre du septième article de ce numéro spécial, apportent une réflexion critique sur l’état des connaissances concernant la sexualité des jeunes adultes qui consomment de façon problématique de l’alcool et des drogues. Comme plusieurs travaux publiés dans ce numéro spécial, cette synthèse critique confirme l’importance des liens entre la consommation de psychotropes et les prises de risque sexuels. Les auteurs mettent de l’avant l’importance de s’attarder à la sexualité des personnes qui consomment des drogues de façon plus globale, tenant compte par exemple des troubles sexuels et de la satisfaction sexuelle. Des pistes concrètes sont avancées pour améliorer les services sur le plan de la sexualité et de la dépendance que devraient offrir différents acteurs des réseaux communautaires et des milieux de la santé et des services sociaux. Les enjeux de recherche en ce domaine sont également discutés.

Le huitième article expose une réflexion approfondie sur la pratique auprès d’adolescents aux prises avec une double problématique de dépression et de toxicomanie, menée par une équipe d’experts cliniciens, soit Renaud, Zanga, Mikedis et Blondin-Lavoie. Ces auteurs discutent de façon plus spécifique des enjeux de prévention du suicide chez ce sous-groupe de jeunes particulièrement à risque de passage à l’acte. Cette réflexion s’appuie sur leur pratique clinique à l’Institut Douglas dans le cadre d’un programme spécialisé en 2e et 3e ligne visant la prise en charge d’adolescents aux prises avec la dépression. Quelques constats de la littérature sont également exposés pour étoffer l’argumentaire de ce texte qui vise à soutenir les cliniciens œuvrant auprès de clientèles similaires. L’exposé de ces auteurs illustre bien la complexité du travail clinique qui doit être mené auprès de jeunes aux prises avec de multiples problèmes associés à leur consommation problématique de psychotropes.

Pour terminer, l’article de Brunelle, Leclerc, Dufour et al. aborde l’association entre les problèmes de consommation de substances et les activités et types de jeux de hasard et d’argent (JHA) auxquels s’adonnent des élèves du secondaire au Québec. En cohérence avec les résultats des études présentées dans ce numéro spécial, cette étude montre plusieurs liens entre la consommation de psychotropes et les JHA chez les adolescents. Par exemple, le fait de jouer à des appareils de loterie vidéo semble lié à une gravité accrue de la consommation de psychotropes. Aussi, ceux qui s’adonnent à une plus grande diversité de JHA tendent à présenter un profil de consommation de psychotropes plus problématique. Les implications cliniques des résultats sont discutées, les auteurs soulevant l’importance de bien détecter, évaluer et prendre en compte les problèmes associés dans le traitement des jeunes qui consomment de façon problématique des psychotropes.

Nous vous souhaitons une bonne lecture !