LOUISE GUYON, JOSEPH LEVY, DIDIER JUTRAS-ASWAD /

Le deuxième numéro de Drogues, Santé et Société de l’année 2012 présente un caractère hybride. Tout en poursuivant l’alternance entre numéros thématiques et non thématiques spécifique à la revue, il réunit trois articles soumis sans sollicitation à la rédaction et deux articles qui s’inscrivent dans la suite des travaux publiés dans le numéro précédent sur le thème Drogues et création littéraire et artistique.

Un nombre grandissant de méthodes de prévention de plus en plus ciblées et étoffées afin d’intervenir avant même le développement de comportements addictifs chez les adolescents et les jeunes adultes, ou encore précocement dans leur évolution, a été développé au cours des dernières années. Dans cette lignée, les deux premiers articles présentent deux modes d’intervention consacrés à la prévention et qui visent plus particulièrement cette population.

L’utilisation d’outils médiatiques pour rejoindre les jeunes adultes à risque de développer une dépendance aux substances psychoactives est de plus en plus répandue. Partant du constat que le cannabis est la drogue illicite la plus souvent consommée chez les jeunes adultes et que sa consommation est associée à l’échec et à l’abandon scolaire, Hélène Gagnon, José Côté, Sébastien Tessier et Nicole April présentent, dans le premier article de la revue, l’utilité d’une plateforme Web pour réduire la consommation de cannabis chez les jeunes adultes qui retournent à l’école.Ce travail se veut également une contribution à la littérature scientifique sur le développement et l’utilisation de plateformes Web dans une perspective de promotion de la santé. L’un des points d’intérêt de l’article porte sur la présentation de l’intervention mapping qui a servi de guide au développement de cette intervention. L’exposition à des messages éducatifs sur l’ordinateur a pour but d’aider les jeunes à reconnaître leur vulnérabilité face à certaines situations qui les amèneraient à consommer et de les aider à prendre la décision de réduire ou d’arrêter leur consommation. Différentes méthodes d’apprentissage sont utilisées pour présenter les messages éducatifs aux jeunes, notamment le tailoring et l’apprentissage par modèle. L’intervention mapping s’est donc avérée utile pour lier le savoir des populations visées aux connaissances théoriques et empiriques.

Le second article traite de l’efficacité de l’approche familiale dans les programmes de prévention des dépendances à la drogue et à l’alcool chez l’enfant. Maria Antonia Gomila, Carmen Orte et Lluis Ballester présentent une évaluation d’un programme de compétences familiales en Espagne à partir d’une adaptation du Strenghtening Families Program évaluant le maintien des effets à moyen terme de la participation au programme entre 2006 et 2011. L’approche familiale s’avère la plus efficace dans la prévention de la consommation abusive d’alcool et de drogues qui est en lien avec des troubles mentaux et des comportements problématiques chez les enfants et les adolescents. Ce modèle puise sa force dans une structure à plusieurs volets par rapport à d’autres programmes basés sur l’école ou la communauté. L’intégration des parents et des enfants dans des programmes structurés autour de la combinaison de séances individuelles et de séances conjointes donneraient ainsi de meilleurs résultats, et ce, aussi bien dans la prévention de la consommation de substances psychoactives que dans la gestion des problèmes, des comportements négatifs et de l’interaction familiale. Cette perspective permet une intervention orientée vers la promotion des facteurs de protection et la réduction des facteurs de risque et des modèles de comportement problématiques, faisant appel simultanément à plusieurs modalités thérapeutiques.

À l’autre extrémité du spectre de la sévérité des troubles liés aux substances se trouve un sous-groupe d’individus chez qui la toxicomanie est bien installée et s’avère récurrente. Le troisième article s’attarde spécifiquement à cette population et aborde la problématique de la rechute chez les adultes dépendants en tenant compte simultanément des points de vue de l’usager et de l’intervenant ainsi que des approches à privilégier auprès de cette clientèle. Amélie Gormley et Myriam Laventure signalent d’emblée qu’entre 40 % et 90 % des personnes présentant une dépendance à l’alcool et/ou aux drogues expérimenteraient au moins une rechute après avoir reçu des services d’aide. Un grand nombre d’entre elles feraient appel de nouveau à des services d’aide, et ce, à plus d’une reprise. Leur étude porte sur l’identification des raisons qui incitent les personnes expérimentant une ou plusieurs rechutes à retourner vers les mêmes services, à cerner leurs besoins ainsi que les services qui pourraient y répondre. Les attitudes des professionnels favorisant le maintien dans ces services et leur réutilisation sont aussi envisagées. À partir d’une série d’entrevues semi-structurées réalisées auprès d’usagers et d’intervenants psychosociaux provenant d’un centre de réadaptation public du Québec spécialisé en dépendance, les auteures ont mis en lumière plusieurs constats qui pourraient éclairer un changement dans les pratiques d’intervention chez les individus qui se remettent à consommer. Les usagers ayant expérimenté une ou plusieurs rechutes demanderaient des services plus intensifs et à plus long terme que les autres demandeurs. Les résultats mettent aussi en évidence l’importance d’une aide extérieure, d’un réseau social de soutien et de la qualité de la relation avec les professionnels dans le rétablissement des personnes aux prises avec ce type de problème. En conclusion, plusieurs avenues intéressantes pour le développement et l’adaptation des services actuels à ce type de clientèle sont proposées.

Les deux derniers articles complètent les réflexions existant entre les drogues et la création dans le domaine littéraire, le cinéma, les représentations dans les séries Web, l’art pictural, la création musicale et la figure du musicien drogué, puis ils approfondissent les associations entre les drogues et la musique.

Le texte d’Hélène Laurin reprend le thème du musicien drogué pour l’élargir à un groupe de glam metal, Mötley Crüe, dont la célébrité date des années 1980. À partir des récits autobiographiques des membres qui décrivent leur parcours de vie et les anecdotes qui l’ont émaillé, l’article sur la signification de la consommation des drogues, qui obéit à une visée transgressive qui contribue à établir leur statut d’idoles de rock. Ces autobiographies mettent ainsi en évidence les stratégies extrêmes sous l’influence des substances (drogues et alcool) utilisées pour atteindre cet objectif et qui se fondent sur la valorisation des activités festives et sexuelles. Les conduites violant les normes sociales, touchant l’hygiène ou les règles de politesse dans l’espace public, comme les actes déviants commis dans un train japonais illustrent ces préférences. Ces comportements s’inscrivent dans le choix d’un style de vie qui se veut subversif, sans toutefois remettre en question l’industrie musicale qui soutient le groupe. Ces analyses montrent les contradictions qui accompagnent le milieu de la musique contemporaine dans la quête de la renommée et de la publicité.

L’article de Lionel Dany se penche sur les représentations sociales qui se retrouvent dans un corpus de chansons françaises qui traitent du cannabis. L’analyse de ces textes met en évidence la diversité lexicale associée à cette substance, dont la catégorie la plus fréquente est celle de l’herbe, mais aussi la référence à d’autres drogues, en particulier à l’alcool, et ce, pour en dégager la spécificité. Le contenu de ces chansons porte, d’une part, sur ses effets sur les états de conscience personnels et collectifs, d’autre part, sur leur situation sociale et légale, faisant appel à des références directes ou implicites. Si les chansons sont en majorité écrites à la première personne, elles n’éliminent pas cependant le contexte groupal et ses dimensions conviviales de même que l’entourage social plus large. À partir de cette analyse, l’auteur propose un ensemble d’interprétations de ces représentations liées à leurs fonctions communicationnelles, à leur contribution à la définition des valeurs et des normes sociales et aux croyances de groupe, montrant ainsi comment les processus de création des chansons s’inscrivent dans une retranscription des problématiques socioculturelles.

Ce numéro de Drogues, Santé et société apporte une contribution à l’ouverture sur des approches innovatrices en prévention des toxicomanies tout en approfondissant nos connaissances sur l’intervention auprès des clientèles des centres spécialisés. De plus, les articles théoriques réalisés à partir de l’analyse de textes et de récits de vie viennent alimenter notre réflexion et notre compréhension sur des aspects, jusqu’ici peu documentés, de la prise de substance. La revue Drogues, santé et société poursuit sa mission de publier sur le Web, en accès libre, des écrits scientifiques à propos de l’usage et de l’abus des drogues et des phénomènes qui lui sont associés. Nous profitons de l’occasion pour renouveler notre invitation aux auteurs qui œuvrent dans ce champ à nous soumettre leurs textes, qu’il s’agisse de résultats de recherche, d’articles de fond ou de transfert des connaissances.

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