ADÈLE MORVANNOU /
Adèle Morvannou, Ph. D., Faculté de médecine et des sciences de la santé, Université de Sherbrooke
Correspondance
Adèle Morvannou
Faculté de médecine et des sciences de la santé
Université de Sherbrooke
Campus de Longueuil
150 Place Charles-Le Moyne, bureau 200
Longueuil, Québec, Canada 4K 0A8
Tél : 450 463-1835 # 61476
Courriel : Adele.Morvannou@usherbrooke.ca
Remerciements
L’auteure tient à remercier particulièrement celles et ceux qui ont accepté de témoigner en contexte d’enseignement. Elle souhaite également exprimer sa gratitude à Marilou Belisle, Nathalie Lefebvre, Constance Denis, Valérie Jean, Stéphanie Lanctôt et Mélody Chauret pour leur soutien continu dans le développement de ces activités pédagogiques, la collecte de données et la révision de la première version de cet article. Ces activités ont été réalisées dans le cadre du processus d’incubation à l’I2P de l’Université de Sherbrooke. Des remerciements sont également adressés à Marianne Saint-Jacques et Myriam Laventure du Service sur les Dépendances de l’Université de Sherbrooke pour leurs encouragements et leur soutien à la mise en œuvre d’initiatives pédagogiques dans les programmes de 1er et 2e cycle.
Résumé
La formation des professionnels revêt une importance cruciale pour offrir des services empreints d’empathie aux personnes stigmatisées, telles que celles vivant des problèmes de jeux de hasard et d’argent (JHA). Parmi les stratégies pédagogiques existantes, le témoignage est une pratique pertinente et courante. Toutefois, la manière dont les étudiants perçoivent les témoignages des personnes ayant des problèmes de JHA reste peu documentée. L’objectif est de documenter l’empathie des étudiants exposés au témoignage d’une personne qui a vécu des problèmes de JHA, selon leurs perceptions. Des entrevues qualitatives semi-structurées auprès de huit étudiants ayant suivi un cours qui comprend un ensemble d’activités pédagogiques visant à développer l’empathie chez les étudiants ont été réalisées. Quatre thèmes majeurs ont émergé : les conditions propices à l’empathie, la résonance émotionnelle avec la personne qui a témoigné, une nouvelle compréhension de son vécu, ainsi que l’influence du témoignage sur la pratique professionnelle. Cette étude encourage l’intégration des témoignages dans la formation des professionnels, en tenant compte du profil expérientiel des étudiants et avec un ensemble d’activités pédagogiques présentant l’information de manière visuelle et auditive.
Mots-clés : témoignage, empathie, formation, professionnels, jeux de hasard et d’argent
I understood the distress it caused: testimony as a primer for empathy towards gamblers
Abstract
The training of professionals is crucial to providing empathetic services to stigmatized people, such as those experiencing gambling problems. Among existing educational strategies, testimony is a relevant and common practice. However, the way in which students perceive the accounts from people with gambling problems remains poorly documented. The objective is to document the empathy of students exposed to the testimony of a person who has experienced gambling problems, according to their perceptions. Semi-structured qualitative interviews with eight students who followed a course which includes a set of educational activities aimed at developing empathy in students were carried out. Four major themes emerged: conditions conducive to empathy, emotional resonance with the person who testified, a new understanding of their experience, and the influence of testimony on professional practice. This study encourages the integration of testimonies into the training of professionals, taking into account the experiential profile of students and with a set of educational activities presenting the information visually and auditorily.
Keywords: testimony, empathy, training, professionals, games of chance and money
“Comprendí la angustia que esto genera” el testimonio como inicio de la empatía para con los jugadores
Resumen
La formación de profesionales reviste una importancia crucial para ofrecer servicios con empatía a las personas estigmatizadas, como las que viven problemas de juegos de azar y por dinero (JAD). Entre las estrategias pedagógicas existentes, el testimonio es una práctica pertinente y corriente. Sin embargo, el modo como los estudiantes perciben los testimonios de las personas que tienen problemas de JAD está poco documentado. El objetivo consiste en documentar la empatía de los estudiantes expuestos al testimonio de una persona que ha vivido problemas de JAD, según sus percepciones. Se llevaron a cabo entrevistas cualitativas semi estructuradas con ocho estudiantes que siguieron un curso que comprende un conjunto de actividades pedagógicas destinadas a desarrollar su empatía. Surgieron cuatro temas mayores : las condiciones propicias a la empatía, la resonancia emocional con la persona que prestó el testimonio, una nueva comprensión de su vivencia y la influencia del testimonio sobre la práctica profesional. Este estudio alienta la integración de testimonios en la formación de los profesionales, teniendo en cuenta el perfil de experiencias de los estudiantes y con un dispositivo pedagógico que presente la información de manera visual y auditiva.
Palabras clave: testimonio, empatía, formación, profesionales, juegos de azar y por dinero
Introduction
Les personnes confrontées à des problèmes de jeux de hasard et d’argent (JHA) ont des besoins complexes en raison de leurs multiples problèmes sociaux, mentaux (Cowlishaw et al., 2012 ; Dowling et al., 2014 ; Edgerton et al., 2015 ; Holdsworth et Tiyce, 2012) et physiques (Clark et al., 2013). L’accès aux soins de santé appropriés est difficile pour ces personnes (Penfold et al., 2022) et même lorsqu’elles bénéficient de soins, leurs besoins ne sont pas toujours satisfaits par les services disponibles (Dowling et al., 2014 ; Morvannou et Kairouz, 2021). Bien que divers services spécialisés pour les problèmes de JHA soient disponibles, leur utilisation reste limitée, variant de 2 % à 15 % (Collier, 2013 ; Delfabbro, 2011 ; Hodgins et El-Guebaly, 2000 ; Slutske, 2006 ; Suurvali et al., 2008). La marginalisation et la stigmatisation sont des obstacles courants à la recherche d’aide pour ces personnes (Dabrowska et al., 2017 ; Holdsworth et Tiyce, 2012), qui dissimulent souvent leur dépendance par honte et par peur de la stigmatisation (Dabrowska et al., 2017). L’empathie joue un rôle crucial dans l’amélioration de la satisfaction des services d’aide (Kim et al., 2004 ; Yuguero et al., 2017) et est associée à des améliorations cliniques significatives lorsque les professionnels en font preuve (Nembhard et al., 2023). Enseigner l’empathie aux professionnels de la santé est essentiel pour mieux répondre aux défis des personnes confrontées à des problèmes de JHA, facilitant ainsi une expérience positive des services d’aide (Thomas et al., 2024).
L’empathie est une compétence cruciale dans la relation thérapeutique (Kelm et al., 2014 ; Mercer et al., 2002). L’approche centrée sur la personne de Rogers a été pionnière à cet égard et définit l’empathie comme la capacité du thérapeute à ressentir et à comprendre les sentiments et les significations de la personne (Rogers, 1951 ; Rogers, 1967). Pour renforcer l’empathie envers les personnes ayant des problèmes de santé mentale, il est recommandé de combiner l’expérience directe avec ces personnes et les connaissances théoriques (Corrigan et al., 2007). Des études montrent que le contact direct favorise le développement de l’empathie chez les futurs professionnels de la santé comme les infirmières et les médecins (Bearman et al., 2015 ; Brunero et al., 2010 ; Hojat, 2016 ; Neumann et al., 2011 ; Pedersen, 2010). Intégrer les témoignages de ces personnes dans la formation des étudiants est une stratégie efficace pour encourager le développement de l’empathie (Kumagai, 2008).
Les témoignages sont essentiels pour humaniser l’enseignement dans le domaine de la santé, en permettant de personnaliser les soins et de renforcer les liens avec les personnes concernées (Loy et Kowalsky, 2024). Ils jouent un rôle crucial dans l’apprentissage pratique et dans l’enseignement de l’empathie aux étudiants (Fitzpatrick 2018 ; Pattanaik et al., 2024). En exposant les étudiants aux expériences de personnes ayant vécu des problèmes de santé mentale, les témoignages contribuent à réduire les stéréotypes et à dissiper les préjugés (Corrigan et al., 2007). Ils offrent un aperçu précieux du point de vue des personnes concernées et de leur expertise, facilitant ainsi une meilleure compréhension des besoins des populations vulnérables (Brown et Russell, 2020 ; Dickinson et al., 2018 ; Greenhalgh et al., 2005). Les témoignages peuvent également enrichir la formation des futurs professionnels de la santé en leur permettant de développer une approche humaniste et empathique (Kagawa et al., 2023 ; Leonard et al., 2018 ; Player et al., 2019). Toutefois, la plupart des études sur les témoignages dans le domaine des dépendances se sont concentrées sur les populations présentant un trouble lié à l’utilisation de substances. En ce qui concerne les étudiants, ceux qui participent à ces recherches sont généralement de futurs médecins ou infirmiers.
Peu d’études ont exploré l’utilisation des témoignages dans la formation des professionnels travaillant avec des personnes ayant des problèmes de JHA. Une de ces rares études a montré que l’utilisation des témoignages a renforcé l’empathie des professionnels et amélioré leur capacité à établir une relation thérapeutique avec les patients présentant des problèmes liés aux JHA (Thomas et al., 2023). Les participants ont également souligné que les témoignages les ont sensibilisés aux différences culturelles et sociales influençant les comportements de JHA.
La formation des professionnels travaillant avec des personnes ayant des problèmes de JHA requiert des stratégies d’apprentissage axées sur l’humanisme. L’utilisation répandue des témoignages dans les programmes de sciences infirmières et de médecine souligne l’importance d’optimiser l’utilisation de cet outil pour tous les professionnels, y compris ceux travaillant avec des populations stigmatisées. Cependant, il existe peu de données sur la manière dont les étudiants perçoivent les témoignages des personnes ayant des problèmes de JHA. Cette étude vise à documenter la perception des étudiants concernant leur empathie envers ces individus après avoir été exposés à leur témoignage.
Méthodologie
Participants
Les participants étaient des étudiants de 1er et de 2e cycles inscrits au cours universitaire optionnel intitulé « Intervention et addictions comportementales » du Service sur les dépendances de l’Université de Sherbrooke. Les participants ont été recrutés selon ces critères d’inclusion : 1) être âgé d’au moins 18 ans et 2) consentir à participer à l’étude. Les étudiants étaient libres de consentir à participer en acceptant de prendre part à une entrevue individuelle. Il s’agit donc d’un échantillon non probabiliste composé de volontaires.
Parmi les huit participants, cinq étaient des femmes et trois des hommes. Parmi eux, quatre avaient plus de 40 ans, trois autres entre 31 et 39 ans et un seul moins de 24 ans. Seule une minorité a vécu des problèmes de JHA par le passé. Deux participants avaient déjà été intervenants auprès de personnes aux prises à la fois avec des problèmes de JHA et une dépendance aux substances psychoactives, cinq d’entre eux auprès de personnes avec une dépendance aux substances seulement. Un seul participant n’avait jamais eu d’expérience d’intervention en dépendance.
Dispositif pédagogique
Le même dispositif pédagogique a été implanté dans deux cours différents qui ont eu lieu durant l’été et l’automne 2022 respectivement. Chacun des deux cours a eu lieu en personne en grand groupe sous un format de cours intensif s’étalant sur une fin de semaine (15 heures). Les différentes activités faisant partie de ce dispositif ont été réalisées à divers moments dans un ordre logique afin, dans un premier temps, de préparer les étudiants au témoignage et dans un second temps, d’encourager leurs réflexions quant à l’empathie et leurs perceptions des personnes présentant des problèmes de JHA (Figure 1).
Activité « One minute paper »
Avant même qu’aucun contenu ne soit partagé avec les étudiants, il leur a été demandé de répondre individuellement par écrit, et ce de manière courte et spontanée, à quatre questions. Il leur a été mentionné que cet exercice serait utile pour la suite : « Dans le cadre de vos fonctions d’intervenant, une personne qui présente des problèmes de JHA vient vous consulter. 1 – Pensez à cette personne sur le plan de ses émotions, de ses sentiments ou de ses difficultés. Décrivez-la en quelques mots. 2 – En vos mots, quelles sont les problématiques que doivent surmonter les personnes qui ont des problèmes de JHA ? 3 – Décrivez de quelle(s) manière(s) vous pourriez créer un lien avec cette personne. 4 – Qu’est-ce que ça représenterait comme défi pour vous d’intervenir auprès de cette personne ? ». Cette activité visait à amorcer une réflexion de la part des étudiants quant à leurs préconceptions concernant les personnes qui présentent des problèmes de JHA.
Activité Témoignage
La personne qui est venue témoigner a été rencontrée une fois par l’enseignante avant de venir en classe afin de la préparer tant au niveau du contenu que pour anticiper les émotions et difficultés éventuelles qu’elle vivrait pendant et après le témoignage. Cette personne était volontaire et a été sélectionnée selon ces critères : 1) avoir connu des problèmes de JHA dans le passé et n’étant pas actuellement en phase aiguë de problèmes de JHA, 2) avoir la capacité à communiquer son histoire à l’oral, 3) être motivée à partager son histoire aux étudiants et 3) ne pas avoir de sentiments de représailles à l’égard des professionnels qui lui ont fourni des services d’aide.
Juste avant de partager son témoignage, l’enseignante a sensibilisé les étudiants à l’importance de respecter cette personne, le courage dont elle faisait preuve en partageant son histoire à un groupe d’inconnus et a rappelé la confidentialité des propos partagés. Puis, la personne a partagé avec toute la classe sous forme de récit oral de 30 minutes son témoignage et sa trajectoire de JHA, les bonnes et mauvaises expériences des services reçus, en un seul contact, conformément au « spectre d’implication » (traduction libre) de Towle et al. (2010). Après avoir écouté le témoignage pendant 30 minutes, les étudiants ont posé des questions d’éclaircissement à la personne. Cette rencontre s’est déroulée en classe et visait à encourager un échange en face-à-face qui permette d’illustrer des notions théoriques vues en classe et de mieux comprendre l’expérience subjective des problèmes de JHA. Après le départ de la personne ayant témoigné, l’enseignante a animé une discussion de 30 minutes en grand groupe avec l’ensemble des étudiants à partir de cette phrase : « Selon vous, quelle incidence pourrait avoir le témoignage sur 1) votre perception de cette personne et sur 2) les interventions que vous donneriez à une personne qui vit des problèmes de JHA ».
Partie de cours sur l’empathie
Une partie du cours d’environ 20 minutes sous forme d’enseignement magistral donné par l’enseignante a porté sur la définition de l’empathie et une revue systématique synthétisant les résultats de multiples études sur l’empathie en santé (Nembhard et al., 2023). Cette partie du cours visait à développer les connaissances des étudiants quant à la définition de l’empathie, son importance pour les professionnels en termes de relation thérapeutique, d’adhérence au traitement et de résultats cliniques positifs.
Extraits vidéo d’un documentaire
De courtes vidéos extraites du documentaire Ka-Ching ! Pokie Nation ont été diffusées à différents moments du cours pour illustrer certains phénomènes sous forme de témoignages telles que les conséquences vécues par les joueurs ou leurs motivations à jouer. Ces extraits visaient à permettre aux étudiants d’avoir différents exemples de personnes qui ont vécu des problèmes de JHA.
Outils de collecte et analyses
Cette étude emprunte un devis qualitatif utilisant des données provenant d’entrevues qualitatives réalisées à l’aide d’un guide d’entrevue. L’entrevue individuelle semi-structurée de 45 minutes a été enregistrée et réalisée par une professionnelle de recherche en ligne sur Teams. Le guide d’entrevue consistait en une série de questions ouvertes construites pour permettre l’émergence des propos concernant l’expérience des étudiants ayant été exposés au témoignage : « Comment décririez-vous ce que ce témoignage vous a fait vivre ? », « Comment l’expérience de ce témoignage a pu affecter votre perception de la personne qui a témoigné ? », « Comment l’expérience de ce témoignage a pu affecter votre perception de ce qu’il a pu vivre ? ». Bien que ces questions aient fourni un cadre pour l’entrevue, le guide d’entrevue est resté flexible, laissant place à des questions d’éclaircissement, des reflets et résumés afin de valider la compréhension (Milne et Oberle, 2005). Après avoir collecté le consentement éclairé oral des participants, la professionnelle de recherche a rappelé son intérêt à comprendre l’expérience des participants, par exemple : « Concernant le témoignage auquel vous avez participé, tous les étudiants de la classe ont pu vivre et percevoir cette expérience de manière différente. J’aimerais savoir ce qu’il en est vous concernant ». Les données qualitatives provenant des entrevues ont fait l’objet d’une analyse de contenu thématique pour coder et comparer les données (Paillé et Mucchielli, 2012) après avoir été importées dans le logiciel NVivo10 (QSR 2012), (Bergin, 2011). Deux personnes ont analysé séparément les données puis les ont comparées jusqu’à obtenir un consensus.
Déroulement de la recherche et éthique
Cette recherche s’est réalisée auprès de deux groupes d’étudiants distincts ayant suivi le même cours se donnant durant l’été et l’automne 2022 respectivement. Parmi l’ensemble des étudiants ayant suivi le cours (n=25), huit étudiants ont participé à la présente étude.
Lors du premier cours du vendredi soir, une professionnelle de recherche a proposé aux étudiants de participer à l’étude. Elle était également disponible pour répondre aux questions et a présenté le formulaire de consentement. L’enseignante est sortie de la classe pendant que la professionnelle présentait l’étude. Les entrevues qualitatives se sont déroulées tout au long des sessions d’été et d’automne 2022, après que les participants aient été exposés au témoignage.
La participation des étudiants à l’étude était volontaire, anonyme et pouvait être interrompue à tout moment, sans que cela ait une quelconque incidence négative sur la note ou le cursus universitaire des étudiants. Toute donnée sensible qui a pu être partagée a été exclue afin de protéger l’anonymat des participants. L’analyse qualitative effectuée à partir des entrevues a été réalisée après la remise des notes. L’enseignante n’a jamais su qui étaient les étudiants participants. À la suite de la consultation au Comité d’Éthique de la Recherche (CÉR) d’Éducation et Sciences Sociales de l’Université de Sherbrooke, ce dernier a jugé que le projet visait uniquement le programme de formation pour l’amélioration d’une pratique pédagogique, qu’il ne s’agissait pas de recherche au sens de la politique et a donné un avis positif quant à son déroulement.
Résultats
L’analyse des entrevues a permis d’identifier quatre thèmes principaux : les conditions propices à l’empathie, la résonance émotionnelle avec la personne qui a témoigné, une nouvelle compréhension de son vécu, ainsi que la perception de l’influence potentielle du témoignage sur la pratique professionnelle.
Conditions propices à l’empathie
Globalement, les entrevues ont permis de comprendre comment des éléments tels que l’authenticité de la personne qui a témoigné, la connexion émotionnelle et l’humanisation des concepts théoriques ont enrichi la compréhension des étudiants et leur engagement dans le cours.
Tous les étudiants ont eu une appréciation positive quant à l’ensemble des activités pédagogiques proposées.
On a vu une vidéo, ça a été efficace aussi là, mais c’est vraiment, ça casse les préjugés d’emblée parce qu’au début aussi, elle (l’enseignante) nous fait écrire comme : « donnez spontanément ce que vous pensez ». Avant le témoignage déjà, on avait écrit et tout, puis déjà je les écrivais mes préjugés. Donc effectivement, la séquence est bonne, ça fait encore plus prendre conscience. (Audrey)
Le témoignage a été particulièrement apprécié par les étudiants. L’un d’entre eux a même rapporté que pour lui il n’existait pas de meilleure manière de faire comprendre ce que le joueur vit que le témoignage. Trois autres ont suggéré qu’intégrer plusieurs témoignages permettrait de montrer une diversité d’exemples aux étudiants.
Plusieurs ont nommé différentes conditions favorables à l’empathie comme ses compétences communicationnelles qui rendaient son discours clair et cohérent, l’utilisation de comparaisons ou d’images ainsi que son authenticité les ont aidés à mieux comprendre ses sentiments.
Elle a fait des choses qui ne sont ni vertes ni mûres, puis j’ai trouvé ça très touchant de voir qu’elle pouvait en parler ouvertement comme ça. Sans honte et avec beaucoup de transparence. (Liam)
Quand la personne vous dit que là où elle s’est sentie le plus libre, c’est en prison là, c’est touchant et ça fait réaliser l’ampleur de son problème d’addiction. (Andrée)
Selon eux, le témoignage a permis d’avoir un contact avec la personne qui a vécu des problèmes de JHA, cela permettant d’humaniser, de personnifier et d’illustrer les notions plus théoriques vues à travers les autres activités.
Ben, souvent, t’sais, dans les cours, on voit les notions théoriques. Avec le témoignant, on a pu voir un autre côté qui était un peu plus personnel. Vraiment, t’sais, son histoire pis il nous donnait des exemples. Déjà là, ça, ça venait comme un peu, euh, ça venait aider à comprendre les notions qu’on avait vu dans l’cours parce que là, on l’avait d’une manière un peu plus concrète, t’sais, dans la réalité comment ça peut, euh, ça peut s’vivre. (Annie)
Plusieurs étudiants ont précisé que, selon eux, il existe une complémentarité enrichissante dans leur formation lorsque les savoirs théoriques et professionnels de l’enseignante se conjuguent avec les savoirs expérientiels de la personne qui a témoigné. L’un des étudiants a nommé que le fait de pouvoir poser des questions et interagir avec la personne avait été déterminant pour bien ancrer certaines notions. La plupart des étudiants ont fait un lien direct entre leur appréciation positive et le développement de l’empathie que le témoignage permettait.
On comprenait que, ok, oui, c’est, c’est addictif, c’est obsessionnel, on voyait plein d’notions, mais, qu’il (le témoignant) nous explique, c’est vraiment ça dans la réalité, c’est envahissant pis, on allait chercher l’empathie en nous. Pis on, on était vraiment capable de s’mettre à sa place pis de comprendre concrètement qu’est-ce que ça crée dans sa vie parce qu’on avait des exemples quand il nous expliquait que, bon, ben y’a une conjointe et sa fille l’ont quitté. (Maria)
Toutefois, un participant donne une piste d’amélioration concernant l’activité en nommant qu’il aurait aimé être mieux préparé à la période de questions pour poser des questions plus intéressantes.
Plusieurs ont rapporté que l’ensemble de ces activités pédagogiques les avait également motivés à s’impliquer dans les activités du cours. Par ailleurs, l’activité a permis à un participant de maintenir sa motivation qui était déjà grande et d’influencer positivement l’ensemble des étudiants.
Le cours est vraiment stimulant. Puis je trouve que (l’enseignante), elle a tout fait pour qu’on soit toujours à l’écoute, puis toujours stimulé par son cours, puis parce qu’on apprend. Elle (l’enseignante) a utilisé beaucoup de, elle a utilisé le témoignage, nous a fait écouter des vidéos. On a vu des notions plus PowerPoint, c’est comme plus théoriques, elle nous a fait lire des choses, elle nous a vraiment fait voir plein de… Je cherche le mot. Elle a utilisé plein d’outils différents pour nous faire comprendre : c’est quoi le jeu, qu’est-ce que ça amène dans la vie d’un joueur, qu’est-ce qu’il y a un joueur vit ? Puis ce n’est pas tout le monde qui apprend de la même manière. Donc je pense que la manière que le cours qui a été construit, c’est vraiment pour aller chercher tout le monde. (Eva)
Résonance émotionnelle avec la personne qui a témoigné
Globalement, le témoignage a eu un impact émotionnel significatif sur les étudiants qui semblent avoir été touchés, exprimant une variété d’émotions.
Tous les étudiants se sont référés au concept d’empathie pour décrire ce qu’ils avaient ressenti pendant qu’ils écoutaient le témoignage. Deux étudiants ont rapporté qu’ils avaient eu l’impression de ressentir les émotions du joueur concernant certaines périodes de sa vie, ils se sont dits touchés et certains bouleversés par ce récit de vie.
C’était vraiment, c’était vraiment particulier les émotions que ça, que ça m’a fait vivre, parce que j’pense que, je n’avais jamais vraiment compris la réalité d’un joueur pis avec son témoignage, j’ai compris la détresse que ça amènerait. Pis vraiment, il donnait des exemples concrets de qu’est-ce que, comme ça affectait sa vie, les conséquences que ça avait apportées au fil des années, là, sur ses relations, euh, sur son, toute son statut de, de vie, donc euh, ça m’a, ça m’a quand même bouleversée, là, d’entendre ça, à quel point ça pouvait être dommageable, euh, le jeu. On, on s’y attend par nécessairement quand on ne connaît pas ça. (Chloé)
Les émotions vécues par les étudiants étaient variées comme la tristesse, le désespoir, la colère, la joie ou encore l’espoir.
Ça nous a vraiment fait vivre plein d’émotions parce que, lui-même a passé à travers une gamme d’émotions assez large. Fait qu’on dirait qu’on l’suivait un peu dans son, dans son témoignage, ces émotions-là, il nous les transmettait beaucoup. (Audrey)
Deux étudiants ont partagé avoir ressenti de la peine, de la colère et un sentiment d’injustice concernant le fait que la personne qui a témoigné ait eu de la difficulté à accéder à des services adaptés à ses besoins.
Ça m’a fait de la peine de me rendre compte de ça parce que tout le monde devrait pouvoir avoir de l’aide adaptée à ses besoins. Puis présentement, ce n’est pas vraiment le cas puis il (le témoignant) m’a vraiment fait réfléchir là-dessus. Ça lui a pris plus qu’une fois avant de trouver une aide adaptée. (Annie)
Nouvelle compréhension du vécu
Les étudiants ont unanimement exprimé que le témoignage leur a permis de remettre en question leurs perceptions préexistantes et d’approfondir leur compréhension des problèmes de JHA. Ils ont souligné l’importance de comprendre les motivations individuelles des joueurs et ont reconnu la nécessité d’une approche empathique dans leur prise en charge.
Pis maintenant, j’me rends compte que c’est beaucoup plus profond qu’ça, pis on ne va pas jouer parce qu’on perd ou on gagne de l’argent, on va jouer pour d’autres raisons pis j’m’étais jamais arrêtée à ça avant le témoignage pis le cours. Pis, là, maintenant, j’me rends compte que c’est, c’est important de vraiment comprendre la personne parce que chaque personne a des motivations différentes. (Eva)
Certains ont été particulièrement marqués par l’intensité de la dépendance au JHA, souvent comparée à celle des substances psychoactives. Cette comparaison les a surpris et a renforcé leur prise de conscience sur la gravité de la situation.
Ça, ça me faisait faire des liens avec les consommateurs de substances pis, il (le témoignant) faisait des comparaisons aussi avec la free base pis, tu sais, c’est quand même une drogue qui est… quand on te dit ça, les gens font : oh ok, c’est intense. Puis, effectivement, il disait que c’était… c’était plus addictif que ça pis j’m’attendais pas à ça. Quand il disait que c’était aussi addictif que la free base, je me suis dit : wow, c’est un niveau qu’on ne s’attend pas à ça. (Chloé)
Toutefois, pour le participant qui n’avait jamais eu d’expérience d’intervention en dépendance, il a nommé que des zones d’ombre persistaient dans sa compréhension des problèmes de JHA, sans donner plus de détails.
Comprendre les défis spécifiques
Les étudiants rapportent mieux comprendre les problèmes de JHA. Ils ont mieux saisi les facteurs de risque, les comorbidités associées et ont élargi leur compréhension des motivations sous-jacentes. Avant le témoignage, beaucoup pensaient que les activités de JHA étaient principalement motivées par l’appât du gain financier, mais ils ont depuis réalisé la complexité et les défis intrinsèques à cette dépendance.
On banalisait beaucoup qu’est-ce qui pouvaient ressentir pis pourquoi y’allaient jouer. Ça, je, j’m’étais arrêtée à pourquoi tu vas jouer. Pis j’me disais : tu perds de l’argent, vas-y pas, c’est tout. Pis maintenant, j’me rends compte que c’est beaucoup plus profond qu’ça, pis on ne va pas jouer parce qu’on perd ou on gagne d’l’argent, on va jouer pour d’autres raisons pis j’m’étais jamais arrêtée à ça avant le témoignage pis le cours. (Annie)
Ils ont tous rapporté de manière marquée avoir saisi l’ampleur de la honte ressentie par les joueurs, entre autres, observé dans le besoin de se cacher, soit lors des activités de JHA ou encore dans l’absence de demande d’aide afin de ne pas vivre de stigmatisation. Ils rapportent l’incidence de cette honte sur l’arrêt de l’utilisation en allant chercher une aide extérieure ou encore les difficultés à se dévoiler et à faire confiance aux professionnels.
Je pense que dans toute intervention, que ça soit avec une personne qui a un trouble de l’usage ou un trouble de jeux de hasard et d’argent, l’empathie est importante. Mais ce que j’ai compris par rapport aux jeux de hasard et d’argent, c’est que c’est encore plus important à cause de la honte, de la stigmatisation et des préjugés que ces gens-là vivent qui ne vont pas chercher d’aide. (Liam)
Certains étudiants ont trouvé la dépendance aux JHA plus difficile à comprendre que celle aux substances, surtout en l’absence d’expérience personnelle dans ce domaine. Cependant, le témoignage leur a permis d’approfondir leur connaissance de cette problématique. Ils ont rapporté que les dynamiques et enjeux de la dépendance aux JHA étaient complexes. Ils ont souvent comparé les dépendances aux JHA et aux substances, qu’ils connaissaient mieux, en soulignant des similitudes, comme l’activation du système de récompense et les facteurs de risque communs, tout en identifiant des différences notables, telles que la forte honte associée et le rôle central de l’argent. Deux étudiants ont nommé qu’accéder à une meilleure compréhension permet de contrer les idées reçues selon lesquelles il s’agit d’une dépendance moins forte que celle aux substances psychoactives et qu’il serait plus facile d’arrêter de jouer que de consommer.
Comprendre aussi que le jeu, ben c’est une dépendance en soi, ce n’est pas juste un loisir qu’on peut arrêter du jour au lendemain en claquant des doigts. C’est beaucoup plus difficile que ça pis j’pense qu’il (le témoignant) m’a aidé à comprendre que le jeu c’est une vraie dépendance, pis il ne faut pas la prendre à la légère comme on a tendance à le faire. (Andrée)
Perception des joueurs et de leur situation qui évolue
Pour la majorité des étudiants, mieux comprendre le vécu de la personne qui a témoigné a fait évoluer leurs perceptions. Cependant, pour une minorité d’entre eux, le témoignage a confirmé leur propre perception. La plupart ont rapporté avoir eu des préjugés avant le cours comme le fait que les personnes avec des problèmes de JHA seraient irresponsables et vénales. De leur point de vue, le témoignage a permis de remettre en question leurs préjugés étant donné que la personne qui a témoigné ne correspondait pas à ces préjugés. Les étudiants ont globalement eu une perception positive de cette personne qu’ils ont trouvé sympathique et courageuse de partager son histoire. Un étudiant a rapporté que l’évolution de sa perception l’avait amené à penser que si un de ses proches vivait des problèmes de JHA, cela l’inciterait à être plus ouvert.
Je pense que si quelqu’un de mon entourage me disait qu’il jouait, j’aurais une meilleure sensibilité à l’accueillir. Je pense qu’avant, j’aurais dit : ben, arrête de jouer (rire). Maintenant, ce n’est définitivement pas la première phrase que je vais dire à quelqu’un qui m’annonce que c’est un joueur. Je vais vraiment prendre le temps de l’écouter pis de comprendre qu’est-ce qu’il me dit. Déjà de venir se confier, c’est difficile donc je vais avoir ça en tête aussi. (Maria)
Cette évolution de perception les a également sensibilisés à la possibilité de rétablissement des joueurs et à l’importance de soutenir ces derniers dans leur cheminement.
Influence potentielle sur la pratique professionnelle
Il y a chez quelques étudiants une remise en question des pratiques antérieures avec les personnes qui vivent des problèmes de JHA.
Et je me souviens qu’on avait un regard un petit peu sévère à l’égard des personnes qu’on savait qu’ils avaient des troubles de jeu pathologique, on leur faisait moins confiance. Je l’avais dit dans le cadre du cours, on avait un programme de réinsertion sociale et on avait moins tendance à les inclure dans ce programme-là ; manque de confiance et tout. Assurément qu’aujourd’hui, je ne referai plus du tout du tout la même affaire. (Roman)
La majorité des étudiants rapportent qu’ils observent déjà une évolution de leur pratique. De plus, ils envisagent d’être davantage à l’écoute des joueurs pour mieux les comprendre, tout en cherchant également à ajuster leur vocabulaire pour renforcer la confiance et réduire les sentiments de jugement.
Ben, t’sais, comme lui (le témoignant), il nous expliquait, les professionnels avaient souvent tendance à utiliser des termes qui vont être péjoratifs même si on ne s’en rend pas nécessairement compte. Je pense que, avant même de commencer la thérapie avec l’individu, je prendrai le temps d’écouter c’est quoi les mots qu’il utilise pour se décrire lui-même. Essayer de reprendre ces termes-là pis pas juste prendre les termes que la société m’a, nous inculque. (Eva)
Certains étudiants ont même été inspirés à reconsidérer leur orientation professionnelle pour se concentrer davantage sur les joueurs, reconnaissant qu’ils sont souvent mal compris et méconnus dans le domaine de l’intervention sociale :
Oui, depuis le témoignage et le cours, ça a vraiment eu un gros impact au point où je suis en train de demander si je veux pas changer ma, mon orientation d’maîtrise pour vraiment me concentrer sur les joueurs parce que j’me suis rendu compte que c’était vraiment une clientèle oubliée, euh, pis pourtant, on est intervenant, on veut aider les gens, on veut les comprendre, on veut pouvoir les accompagner dans leur cheminement, mais les joueurs sont vraiment mécompris, sont vraiment, sont comme à part des autres consommateurs parce qu’on minimise beaucoup pis je me suis rendue compte que ça a pas de bon sens (rire). (Chloé)
Toutefois, l’ensemble des étudiants rappellent les limites des activités pédagogiques mises en place dans le cours, qui malgré leurs nombreux avantages comme le développement de l’empathie, ne permettent pas de simuler la pratique d’intervention pour se sentir assez formés pour intervenir.
Discussion
Cette étude visait à documenter la perception des étudiants concernant leur empathie envers les personnes vivant des problèmes de JHA après avoir été exposées à un dispositif pédagogique comprenant des témoignages. Les résultats ont révélé que l’ensemble de ces activités pédagogiques ont créé des conditions propices à l’empathie en humanisant les notions théoriques, ont suscité une résonance émotionnelle significative chez les étudiants, leur permettant de mieux appréhender les défis et les émotions associés aux problèmes de JHA et ont enrichi leur compréhension des implications pratiques de l’empathie dans le contexte de la pratique professionnelle.
Intégrer des témoignages dans la formation des professionnels
Les résultats de l’étude sont cohérents avec les conclusions d’autres études utilisant des témoignages pour renforcer l’empathie des professionnels en formation (Kagawa et al., 2023 ; Leonard et al., 2018 ; Player et al., 2019). Pour encourager l’empathie envers les personnes présentant des problèmes de santé mentale, la littérature existante recommande de combiner l’interaction directe avec ces individus et l’acquisition de connaissances, comme cela a été le cas dans cette étude. Les étudiants participants ont manifesté un intérêt marqué pour l’intégration des témoignages dans leur formation, soulignant l’efficacité perçue de cette méthode pédagogique. L’incorporation de témoignages dans les programmes de formation des professionnels peut concrétiser les concepts abstraits et renforcer leur lien émotionnel avec les patients (Loy et Kowalsky, 2024), une approche particulièrement pertinente dans le domaine des dépendances où la stigmatisation peut nuire à la qualité des soins (Dabrowska et al., 2017). Préparer les étudiants à travers ces témoignages et diverses activités semble non seulement bénéfique pour leur formation professionnelle, mais également pour l’amélioration globale des soins. Cette étude n’est pas seulement bénéfique pour le milieu de l’éducation et de la formation ; elle permet aussi de mettre en lumière la méconnaissance persistante des problèmes de JHA, les enjeux de marginalisation et de stigmatisation qui en découlent, et comment cela constitue un frein à la recherche de services pour les personnes concernées.
Pour de futures recherches, il serait pertinent d’étudier de manière approfondie les effets à long terme de l’intégration systématique de témoignages dans les programmes de formation des professionnels sur leur pratique, leur attitude ainsi que leur capacité à fournir des soins empathiques. Il serait également intéressant d’explorer comment différentes formes de présentation des témoignages (ex. : en personne, vidéos en ligne) influencent l’engagement des étudiants, leur apprentissage et leur capacité à maintenir les compétences acquises. Une telle recherche pourrait offrir des recommandations utiles pour optimiser l’intégration des témoignages dans les programmes éducatifs, en vue d’améliorer la formation et ultimement la qualité des soins en dépendances.
Présenter l’information de manière visuelle et auditive
Le dispositif pédagogique a engagé les étudiants dans une variété d’activités ayant créé des conditions propices aux apprentissages selon les résultats. Concernant les styles d’apprentissage basés sur les modalités d’encodage et de représentation de l’information, le neurologue Lafontaine (1975 ; 1996) a proposé une théorie selon laquelle les individus seraient divisés en deux « profils neurosensoriels » dominants : auditif et visuel. Ce modèle encourage donc à penser que tous les étudiants n’ont pas profité de chaque activité de la même manière, selon leur style d’apprentissage préférentiel. Par exemple, les étudiants auditifs ont probablement profité du témoignage, qui leur a permis d’entendre directement l’histoire de vie de la personne concernée, renforçant leur capacité à saisir les nuances émotionnelles du récit à travers une écoute active. Lors des discussions en grand groupe suivant le témoignage, les étudiants auditifs ont pu participer activement, exprimant leurs réflexions de manière verbale, tandis que les étudiants visuels ont pu enrichir leur compréhension en observant les réactions faciales et les interactions sociales des autres étudiants. La partie du cours sur l’empathie, présentée de manière magistrale, a pu être bénéfique pour les deux profils, permettant aux étudiants visuels d’assimiler visuellement les informations à travers des diapositives, et aux étudiants auditifs d’approfondir leur compréhension par l’explication verbale et les résultats de recherche présentés oralement. Les extraits vidéo du documentaire ont pu captiver l’attention des étudiants visuels avec des témoignages filmés illustrant par exemple les conséquences des problèmes de JHA, tandis que les étudiants auditifs ont complété leur apprentissage par l’écoute attentive des narrations verbales. Ainsi, en variant les activités pédagogiques pour que cela convienne aux diverses préférences neurosensorielles des étudiants, cette approche a probablement optimisé l’encodage de l’information, favorisant une compréhension approfondie et empathique des défis liés aux problèmes de JHA.
Dans le futur, il serait pertinent d’explorer comment intégrer davantage de méthodes d’enseignement adaptées à différents profils neurosensoriels dans les programmes de formation en intervention. L’élaboration de recommandations spécifiques basées sur les résultats de telles recherches pourrait aider à informer la conception de programmes plus inclusifs, maximisant ainsi l’apprentissage et le développement de compétences clés telles que l’empathie dans des contextes professionnels comme celui des soins et de l’intervention en dépendances.
Considérer le profil expérientiel des étudiants
Les résultats de l’étude doivent être considérés à la lumière du profil expérientiel des étudiants, certains ayant une expérience personnelle avec les dépendances, d’autres, une pratique d’intervention préalable et un autre aucune expérience antérieure. Les étudiants ayant une expérience personnelle ou une pratique d’intervention préalable ont montré une propension à s’identifier aux défis émotionnels des personnes qui vivent des problèmes de JHA. La théorie de l’apprentissage social de Bandura (1977) offre un éclairage sur ce constat, les étudiants avec une expérience personnelle pouvant percevoir les témoignages comme des modèles auxquels s’identifier, renforçant ainsi leur compréhension empathique des défis présentés. En revanche, ceux sans expérience directe peuvent voir dans ces récits une opportunité précieuse pour explorer un domaine nouveau et remettre en question leurs préjugés. Ces résultats trouvent écho dans les travaux de Bruner (1966) sur la construction active des connaissances par les individus, influencée par leurs expériences. Les étudiants ayant une expérience personnelle peuvent réorganiser leur compréhension des dépendances à partir des témoignages, tandis que ceux sans expérience directe sont susceptibles d’être motivés à explorer de nouvelles perspectives.
Le manque de connaissances actuelles sur les profils d’étudiants qui bénéficieraient le plus de certaines méthodes pédagogiques souligne l’importance de mener davantage de recherches. Adapter efficacement les stratégies d’enseignement en fonction des différents profils expérientiels des étudiants pourrait non seulement améliorer leur apprentissage, mais également les préparer de manière plus adéquate à des carrières professionnelles où l’empathie et la compréhension des personnes en situation de vulnérabilité sont des compétences cruciales.
Limites
Cette étude présente certaines limites. Une taille d’échantillon plus grande aurait permis d’explorer une plus grande variété de perspectives et d’expériences parmi les étudiants. Quant à la composition démographique de l’échantillon, une majorité des participants sont âgés de plus de 30 ans et sont des femmes, ce qui limite la capacité à capturer la diversité des réponses et des perceptions qui pourraient varier selon l’âge, le sexe et d’autres caractéristiques sociodémographiques. De plus, l’étude a été menée dans un cadre universitaire spécifique, soit des étudiants inscrits à un cours optionnel sur les addictions comportementales, qui étaient probablement d’emblée intéressés par la problématique, ce qui peut limiter la transférabilité des conclusions à d’autres programmes de formation ou à d’autres institutions.
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