JEAN-PHILIPPE LAFORGE, ANNIE-CLAUDE SAVARD, SYLVIA KAIROUZ /
Jean-Philippe Laforge, M.A., professionnel de recherche, Université Concordia
Annie-Claude Savard, Ph. D, professeure agrégée, école de travail social et de criminologie, Université Laval
Sylvia Kairouz, Ph. D, professeure titulaire, Département de sociologie et d’anthropologie, Université Concordia
Correspondance
Jean-Philippe Laforge
Chaire de recherche sur l’étude du jeu – Département de sociologie et anthropologie
Université Concordia
2070 rue Mackay, 3e étage
Montréal, QC
H3G 2J1
Courriel : jeanphilippe.laforge@concordia.ca
Résumé
Les jeux mobiles font désormais partie intégrante de la vie quotidienne de nombreuses personnes, surtout depuis l’essor du modèle free-to-play (F2P) qui permet d’accéder à ces jeux gratuitement. Il est possible désormais de jouer à tout moment, en partie grâce aux caractéristiques de jeu qui incitent à y passer le plus de temps possible. L’intégration des pratiques de jeu dans la vie quotidienne demeure malgré tout un phénomène peu documenté. En prenant un ancrage conceptuel dans la théorie des pratiques sociales, cette étude vise à explorer comment les caractéristiques des jeux mobiles F2P façonnent l’intégration de ces pratiques dans le quotidien des joueurs. Nos analyses portent une attention aux rôles des matérialités et des temporalités pour comprendre ce processus d’intégration. Des analyses secondaires ont été effectuées sur des données recueillies par l’entremise d’entretiens semi-structurés menés auprès de 15 personnes qui jouent de façon quotidienne aux jeux mobiles F2P. L’analyse thématique a permis d’identifier comment le « stickiness », soit les caractéristiques de jeu qui incitent à y passer le plus de temps possible (par exemple, les nouveautés, les occasions limitées), favorisent une présence accrue des jeux dans la vie quotidienne. L’analyse permet aussi d’identifier comment d’autres caractéristiques, regroupées sous le concept de « slickness » (par exemple, les parties courtes, les interruptions), permettent aux jeux de s’intégrer harmonieusement dans le quotidien du joueur sans perturber son emploi du temps. Les résultats de cette étude permettent de mieux cerner l’équilibre qu’offrent les jeux F2P entre le « stickiness » et le « slickness » qui permet une omniprésence harmonieuse de ces jeux dans le quotidien des joueurs.
Mots-clés :
jeux mobiles, free-to-play, théorie des pratiques sociales, stickiness, slickness, vie quotidienne
Time and games: The integration of mobile free-to-play games into the players’ everyday lives
Abstract
Mobile games have become an integral part of many people’s daily lives, especially since the rise of the Free-to-Play (F2P) model, which enables access to these games for free. Players can play at any time, in part due to the characteristics of the game that encourage players to spend as much time as possible in the game. However, understanding the ways in which F2P gaming practices integrate in everyday life remains a poorly documented phenomenon. Drawing conceptually from social practices theory, this study aims to explore how the characteristics of F2P games shape the way these games integrate into players’ everyday lives, emphasizing the role of materialities and temporalities in understanding this process. Secondary analyses were conducted on data collected through semi-structured interviews with 15 participants who played mobile F2P games daily. Thematic analysis helped identify how games’ “stickiness”, which refers to characteristics that encourage players to spend as much time as possible in the game (new additions, limited offers), fosters the ubiquity of F2P games in everyday life. Analyses also show how characteristics regrouped under the concept of “slickness” (short gaming sessions, temporizing functions) enabled their harmonious integration into players’ everyday lives without causing friction with daily occupations. The results of this study provided insights on how F2P games achieving balance between stickiness and slickness contribute to integrating the games into players’ daily lives.
Keywords: mobile games, free-to-play, social practices theory, stickiness, slickness, everyday life
Sobre el tiempo y los juegos: la integración de los juegos móviles Free-to-Play en la vida cotidiana de los jugadores
Resumen
Los juegos móviles son ya parte integrante de la vida cotidiana de mucha gente, sobre todo después del éxito del modelo Free-to-Play (F2P), que permite acceder a ellos de manera gratuita. Ahora es posible jugar en todo momento, en parte gracias a las características de juego, que incitan a hacerlo constantemente. La integración de las prácticas de juego en la vida cotidiana sigue siendo un fenómeno poco documentado. Basándose conceptualmente en la teoría de las prácticas sociales, este estudio se propone explorar de qué manera los juegos móviles F2P modelan la integración de estas prácticas en el cotidiano de los jugadores. Nuestro análisis presta atención a los roles de las materialidades y las temporalidades en este proceso de integración. Se han llevado a cabo análisis secundarios sobre datos recogidos en entrevistas semi estructuradas realizadas con 15 personas que juegan diariamente a los juegos móviles F2P. El análisis temático ha permitido identificar de qué manera la “stickiness” (adherencia), es decir, las características del juego que incitan a pasar jugando la mayor parte del tiempo posible, como por ejemplo, las novedades, las ocasiones limitadas, favorecen una mayor presencia de los juegos en la vida cotidiana. El análisis permite identificar también de qué manera otras características, agrupadas en el concepto de “slickness” (astucia), por ejemplo las partes cortas, las interrupciones, permiten al juego integrarse armoniosamente en el cotidiano de los jugadores sin perturbar su empleo del tiempo. Los resultados de este estudio permiten identificar mejor el equilibrio que ofrecen los juegos F2P entre la “stickiness” y la “slickness” que permiten una omnipresencia armoniosa de estos juegos en la cotidianeidad de los jugadores.
Palabras clave: juegos móviles, Free-to-Play, teoría de las prácticas sociales, stickiness, slickness, vida cotidiana
Diverses formes de pratiques de jeu s’insèrent désormais dans la vie quotidienne de millions de personnes à travers le monde, notamment grâce aux technologies mobiles qui permettent à leurs utilisateurs de jouer en tous lieux et en tout temps (Hjorth et Richardson, 2021 ; Mäyrä et Alha, 2021). À l’heure actuelle, l’une des formes de jeu les plus populaires est celle des jeux mobiles. En effet, le marché de ces jeux mobiles a généré un revenu de 93,2 milliards de dollars en 2021, soit une augmentation de 7,3 % par rapport à l’année précédente (Wijman, 2021). Cette croissance s’est maintenue en 2022, se chiffrant à 5,1 % comparativement à 2021 avec des revenus totalisant 103,5 milliards de dollars (Wijman, 2022). Un tel constat laisse entrevoir une popularité croissante de ces jeux qui demeurent accessibles via les appareils mobiles comme les téléphones cellulaires ou les tablettes électroniques (Paul, 2020).
Depuis plusieurs années, la vaste majorité des jeux mobiles est conçue et offerte aux joueurs selon le modèle d’affaires dit free-to-play (F2P) (Alha et al., 2014 ; Brockmann, et al., 2015 ; Mäyrä et Alha, 2021), où les jeux peuvent être téléchargés et joués gratuitement moyennant le visionnement de publicités ou le recours à des achats en cours de jeu, parfois appelés « microtransactions » (Whitson et Dormann, 2011), pour l’obtention de privilèges (Mäyrä et Alha, 2021). Le modèle F2P se démarque du modèle plus « traditionnel » des jeux vidéo sur divers plans, notamment sur le principe de gratuité (Nieborg, 2015), mais aussi sur la base de la conception et des caractéristiques de jeu (Mäyrä et Alha, 2021). Cela influence à la fois la façon dont les jeux sont conçus (Luton, 2013) et la façon dont les joueurs feront l’expérience de caractéristiques comme le recrutement, l’engagement, la monétisation et le temps dans le jeu à travers leurs pratiques de jeu (Alha, 2019).
Engagement et monétisation dans les jeux mobiles F2P
Puisque le modèle F2P requiert que les joueurs effectuent des achats en cours de jeu ou visionnent des publicités pour générer des revenus, les compagnies qui conçoivent ces jeux doivent tenir compte de cet impératif (Luton, 2013). Dans cet esprit, malgré une diversité de catégories de jeux, les jeux mobiles F2P partagent de nombreuses caractéristiques (Mäyrä et Alha, 2021), notamment celle de favoriser l’engagement des joueurs afin de les amener à jouer quotidiennement (Frommel et Mandryk, 2022) et à monétiser (Luton, 2013). Ces caractéristiques incitent les joueurs à passer le plus de temps possible dans le jeu (Luton, 2013 ; Reynolds, 2016), pour éventuellement en convertir une fraction d’entre eux — entre 1 % et 10 % — en « joueurs-payeurs » (Alha, 2019 ; Hamari et al., 2017 ; Nieborg, 2016).
Afin d’encourager les joueurs à payer, certains jeux misent sur des offres spéciales limitées dans le temps (Hsiao et Chen, 2016), alors que d’autres incluent dans leur fonctionnement des inconvénients et des irritants qui peuvent être contournés par le biais de la monétisation (Mäyrä et Alha, 2021). À titre d’exemple, le jeu populaire Candy Crush Saga de la compagnie King intègre une caractéristique de « vies » limitées, qui lorsqu’épuisées, sont récupérées après une période d’attente forcée, en payant, ou avec l’aide d’amis joueurs (Mäyrä et Alha, 2021). Sur la base de ces caractéristiques, l’expérience des joueurs reflète un engagement non pas intense, mais plutôt régulier, c’est-à-dire de façon à ce que les pratiques de jeu soient récurrentes à des intervalles réguliers dans une journée (Evans, 2016 ; Grainge, 2011).
Le temps et l’intégration des jeux mobiles F2P dans le quotidien
En plus d’être conçus de manière à favoriser l’engagement des joueurs, les jeux F2P sont pensés de façon à s’intégrer de manière harmonieuse à leur vie quotidienne. Au-delà des temps d’attentes forcés, le temps est un concept central dans les caractéristiques de jeux F2P. Selon Chess (2018), l’expérience des joueurs illustre comment ce sont dans les temps interstitiels du quotidien qu’ils ont tendance à jouer, c’est-à-dire dans les courts temps morts qui ne sont généralement pas utilisés à d’autres fins. Les joueurs peuvent, par exemple, planter et récolter des produits virtuels à intervalles réguliers comme il est possible de le faire dans le jeu FarmVille (Mäyrä et Alha, 2021). Sur la base de ces caractéristiques, les joueurs jouent généralement pendant quelques minutes seulement, entre leurs obligations quotidiennes qui ont lieu à différents moments de leur journée (Evans, 2016 ; Mäyrä et Alha, 2021).
Un des constats mis en lumière par la littérature relativement aux dimensions temporelles des caractéristiques des jeux mobiles F2P souligne comment ces jeux exploitent les temps morts des joueurs (Bell et al., 2006 ; Chess, 2018 ; Hjorth et Richardson, 2021 ; Moore, 2011) et les encouragent à jouer de façon régulière et répétée (Evans, 2016). Dans cette perspective, la conception des jeux repose sur une utilisation judicieuse de ces ruptures comme sources d’expériences positives de jeu, de façon à inciter le joueur à retourner jouer plus tard (Bogost, 2010 ; Evans, 2016).
Le processus de conception des jeux F2P vise donc la recherche d’un équilibre entre l’engagement et les temps d’attente forcés dans le jeu, qui favoriseront à leur tour une rétention des joueurs, c’est-à-dire le maintien et la récurrence des pratiques de jeu dans le quotidien afin que les jeux soient lucratifs pour les compagnies (Luton, 2013 ; Rozner, 2021). Cet aspect soulève un équilibre complexe entre la conception d’une expérience de jeu agréable pour les joueurs et les stratégies commerciales mises en place par les compagnies qui conçoivent des jeux pour générer des revenus (Evans, 2016).
Certaines recherches ont par ailleurs adopté le point de départ de « la vie quotidienne » des joueurs pour comprendre comment les pratiques de jeu ne se positionnent pas en rupture avec leur quotidien, mais s’imbriquent plutôt dans les nécessités et les contraintes de la vie courante (Apperley, 2010 ; Cypher et Richardson, 2006 ; Copier, 2007 ; Kallio et al., 2011 ; Eklund, 2012). Plusieurs études ont conclu que les jeux mobiles F2P s’insèrent dans les contours des activités et obligations quotidiennes des joueurs, c’est-à-dire dans différents courts temps morts du quotidien et à des intervalles parfois irréguliers (Chiapello, 2013 ; Chess, 2018 ; Evans, 2016 ; Hjorth et Richardson, 2021).
Cet aspect est particulièrement important à prendre en compte pour mieux comprendre la façon dont les pratiques de jeu s’insèrent à différents moments d’une seule et même journée. En contrepartie, il semble que peu de recherches aient exploré l’expérience subjective des joueurs quant aux caractéristiques des jeux mobiles F2P et, plus spécifiquement, comment celles-ci jouent un rôle sur leurs pratiques de jeu. Dans ce contexte, cette étude propose de 1) comprendre comment les pratiques de jeux mobiles F2P s’insèrent dans la vie quotidienne des joueurs et 2) explorer comment certaines caractéristiques de jeux F2P peuvent influencer ou même façonner cette intégration.
Cadre théorique et conceptuel
Pour comprendre la façon dont les pratiques de jeux mobiles F2P s’insèrent dans la vie quotidienne des joueurs, ce projet s’inspire des concepts généraux de la théorie des pratiques sociales (social practices theory) (Meier et al., 2018 ; Reckwitz, 2002 ; Shove et al., 2012). Cette approche théorique définit les pratiques de la vie quotidienne comme « un type de comportements “routinisés” qui se compose de plusieurs éléments, interconnectés les uns aux autres […] » (Reckwitz, 2002, p. 249). La théorie des pratiques sociales permet ainsi de comprendre les interactions entre les jeux et leurs caractéristiques et l’expérience que les joueurs en font dans leur quotidien. Cette théorie permet, à travers les concepts de matérialité (Shove et al., 2012) et de temporalité (Meier et al., 2018), de comprendre ces deux aspects qui caractérisent les jeux F2P. Le concept de matérialité fait ici référence aux aspects matériels des pratiques, soit les caractéristiques qui composent les jeux mobiles F2P. Le concept de temporalité fait ici référence aux aspects temporels des pratiques, soit les différents moments d’une journée, le positionnement temporel des pratiques de jeu par rapport à d’autres activités du quotidien.
Selon Green (2002), la dimension du temps est particulièrement importante à prendre en compte lorsqu’il est question de comprendre les pratiques relatives à l’utilisation des technologies mobiles, qui est dans ce cas-ci sous-jacente au fait de jouer sur des appareils mobiles. À ce sujet, Green (2002, p. 288) propose qu’à travers l’utilisation des technologies mobiles, « les personnes organisent leurs activités autour de compartiments flexibles de temps, plutôt que de compartiments de temps associés à un espace géographique particulier ». En cohérence avec ces principes, le concept de temps interstitiels (Chess, 2018) permet de comprendre comment les pratiques de jeu peuvent s’insérer entre les occupations du quotidien des joueurs. Ce concept réfère aux courts temps morts qui se situent entre les événements et qui ne sont généralement pas utilisés à d’autres fins (Chess, 2018).
La matérialité des pratiques sociales permet par ailleurs de comprendre comment les personnes et les objets matériels — et par extension les joueurs et les caractéristiques de jeux mobiles F2P — sont intimement liés (Verbeek, 2005 ; Merchant, 2012). En effet, les interactions entre les joueurs et les caractéristiques des jeux F2P ne surviennent pas dans un vide social ; elles s’inscrivent dans un contexte plus large constitué de pratiques et de logiques diversifiées (Caron et Caronia, 2007 ; Caronia, 2005). Dans cette perspective, le concept de « stickiness», référant aux caractéristiques du jeu qui incitent les joueurs à s’engager dans un jeu et à y passer le plus de temps possible (Pierce, 2010 ; Reynolds, 2016), permet de comprendre comment les caractéristiques des jeux favorisent l’intégration répétée des jeux dans le quotidien des joueurs. En somme, les concepts de matérialité et temporalité – et par extension, le « stickiness » (Pierce, 2010 ; Reynolds, 2016) et les temps interstitiels (Chess, 2018) – permettent de mieux comprendre les interactions entre les personnes et les jeux, et plus spécifiquement comment certaines caractéristiques de jeu sont subjectivement vécues par les joueurs.
Méthodologie
Le devis qualitatif de cette étude s’inscrit dans un paradigme constructiviste. Ce paradigme, qui tend à se centrer autour de l’interprétation des actions humaines, implique que les réalités des phénomènes sont socialement construites et dépendent, pour leur forme et leur contenu, des personnes qui les entretiennent (Pilarska, 2021). Ces multiples réalités découlent du postulat voulant que les personnes attribuent une signification subjective à leurs expériences au sein de leurs mondes (Pilarska, 2021).
Procédures et échantillon
Cette étude s’appuie sur l’analyse de données secondaires issues d’entrevues qualitatives réalisées dans le cadre d’un projet de recherche intitulé E-GAMES Canada : la monétisation des jeux à l’ère des technologies mobiles et du numérique (Kairouz et al. 2019). Les participants de ce projet devaient avoir joué à au moins un jeu F2P au cours de la dernière année et avoir effectué au moins une microtransaction par mois au cours de la dernière année. Les jeux F2P sont définis dans le cadre de ce projet comme étant des jeux à téléchargement gratuit pour lesquels les joueurs n’ont pas à payer pour jouer et dans lesquels il est possible d’effectuer des achats en cours de jeu. Tous les participants rencontrés ont consenti à ce que les données issues de leur entrevue soient utilisées à des fins d’analyses secondaires.
Pour répondre aux objectifs de la présente étude[1], les participants ont été sélectionnés selon une méthode intentionnelle qui vise à choisir des cas spécifiques riches en informations en vue de répondre à une question de recherche spécifique (Schreier, 2018). À cet effet, 15 participants de l’étude E-GAMES Canada ont été sélectionnés pour participer à la présente étude sur la base de critères précis, soit d’être âgés de 18 ans et plus, de jouer sur une base quotidienne à des jeux F2P au cours des 12 derniers mois, spécifiquement sur un appareil mobile. Dans le cadre de cette étude, les appareils mobiles réfèrent aux téléphones intelligents ou tablettes électroniques, et non les consoles de jeu portables (Switch, Steam Deck, etc.).
Des entrevues semi-structurées d’une durée d’environ 90 minutes ont été effectuées entre septembre et décembre 2021. Bien que les données aient été collectées en période de pandémie, l’objet de la présente étude ne porte pas sur le rapport aux jeux F2P dans le contexte de la COVID‑19. Les entrevues se sont déroulées en ligne, sur la plate-forme Zoom et ont été menées en français ou en anglais. Les entretiens ont été réalisés à l’aide d’un guide d’entrevue semi-structuré comprenant des questions sur les jeux F2P joués au moment de l’entrevue et la façon dont ceux-ci s’intègrent à la vie quotidienne des joueurs rencontrés. Des questions spécifiques ont porté sur les caractéristiques de jeu, sur les routines des joueurs (obligations familiales, travail, études, etc.), et sur les manières dont les pratiques de jeu s’insèrent à travers leurs différentes occupations quotidiennes. Ces questions visaient à rendre explicite la « quotidienneté » des participants, qui est, par ailleurs, difficile à capter sans être évoquée explicitement (Highmore, 2002).
Analyses
Les transcriptions anonymisées des entrevues ont été importées dans le logiciel NVivo, à partir duquel le matériel d’entrevue a été codifié. Les entrevues ont fait l’objet d’analyses thématiques de contenu (Braun et Clarke, 2006), selon une approche à la fois inductive et déductive. L’approche inductive a permis aux thèmes d’émerger tout au long du processus d’analyse afin qu’ils soient fortement liés à l’expérience des joueurs (Patton, 1990, dans Braun et Clarke, 2006). L’approche déductive a quant à elle permis de reprendre les concepts de « stickiness» (Pierce, 2010 ; Reynolds, 2016) et de « temps interstitiels » (Chess, 2018) pour les appliquer aux données empiriques de cette étude (Guillemette, 2006).
Une première lecture des transcriptions a permis l’identification et la classification de thématiques centrales. Chaque entrevue a ensuite été codifiée une première fois en fonction des thématiques initiales identifiées lors de la première lecture. Cette première codification, incluant les thématiques centrales, les noms de codes et les extraits codifiés ont été discutés par l’équipe de recherche de cette étude. Certains thèmes ont été assimilés à d’autres thématiques centrales afin d’en arriver à des catégories stables mettant en lumière les dimensions relatives à l’expérience des joueurs en lien avec les caractéristiques de jeux F2P ainsi qu’à l’intégration des jeux dans la vie quotidienne des joueurs. Ces dimensions seront présentées dans la section portant sur les résultats.
Résultats
Participants
L’échantillon final est composé de 15 joueurs âgés de 22 à 56 ans (moyenne = 36 ans), dont 11 personnes s’identifiant au genre féminin et quatre au genre masculin. Parmi eux, 12 participants travaillent à temps plein, un à temps partiel, un est aux études et un est sans emploi. Dix participants sont francophones et cinq sont anglophones (Tableau 1).
Dans le cadre de ce projet, les caractéristiques des jeux F2P sont d’abord analysées par le prisme de l’expérience subjective des joueurs. En référant aux caractéristiques des jeux F2P, cette étude renvoie à celles des jeux auxquels jouaient les participants au moment de leur entrevue. Les résultats présentés portent notamment sur des jeux de puzzle, d’action, de course, des jeux de rôle, de simulation, de réalité augmentée, de réflexion, de gestion et de stratégie. Bien que certaines caractéristiques pourraient s’appliquer à d’autres jeux que ceux dont il a été question dans les entretiens, les résultats sont interprétés comme spécifiques à l’expérience des participants à l’étude. Même si les jeux mobiles F2P ont tendance à partager plusieurs caractéristiques similaires (Mäyrä et Alha, 2021), tous ces jeux ne sont pas exactement conçus de la même manière et les caractéristiques qui diffèrent d’un jeu à l’autre découlent inévitablement sur des expériences différentes de jeu.
Les résultats seront présentés selon deux grandes dimensions. D’abord le « stickiness », référant aux caractéristiques de jeu qui incitent les joueurs à y passer le plus de temps possible (Pierce, 2010 ; Reynolds, 2016), regroupe cinq sous-dimensions identifiées dans le processus d’analyse, soit les bonus de connexion quotidienne, la monétisation prolongeant les pratiques, les nouveautés, la progression et les réussites et finalement les occasions limitées dans le temps. Ensuite, la dimension « slickness » — conceptualisée sur la base de l’expérience des joueurs rencontrés dans cette étude — réfère aux caractéristiques qui favorisent l’intégration des pratiques de jeu dans la vie quotidienne des joueurs sans causer de « frictions » indésirables. Cette dimension regroupe cinq sous-dimensions identifiées dans l’analyse, soit les fonctions temporisatrices, les interruptions, les parties courtes, la flexibilité ainsi que le concept de temps interstitiels (Chess, 2018).
« Stickiness » : Comment les jeux favorisent la quotidienneté des pratiques
La dimension du « stickiness » (Pierce, 2010 ; Reynolds, 2016) regroupe cinq sous-dimensions identifiées dans le processus d’analyse (Figure 1).
L’une des caractéristiques de jeu qui illustre directement le « stickiness» est les bonus de connexion quotidienne. Qu’il s’agisse d’accomplir des tâches spécifiques en un temps donné ou de simplement se connecter au jeu, c’est la répétition quotidienne des pratiques qui se voit récompensée par le jeu, comme l’indique Marcia :
[…] Il y a des récompenses spécifiques que l’on peut obtenir juste en allant chaque jour [dans le jeu] et en complétant une série d’accomplissements. Donc, j’y jouerai peut-être une dizaine de minutes tous les soirs juste pour obtenir toutes ces récompenses. — Marcia, 22 ans, F, Love Nikki-Dress UP Queen
Cet extrait illustre comment la notion de bonus de connexion quotidienne favorise un engagement routinier dans le jeu via des récompenses obtenues en jouant pendant quelques minutes, spécifiquement tous les jours. Selon les participants, ces bonus peuvent s’agir de « vies » ou de « tours supplémentaires », ce qui se traduit généralement par la possibilité de jouer pendant une plus longue période. Néanmoins, c’est le mécanisme de récompense de l’habitude quotidienne qui illustre comment l’insertion des pratiques se façonne en fonction du « stickiness ».
Dans un deuxième temps, la monétisation qui prolonge la durée des pratiques est également une caractéristique qui accentue le « stickiness ». Dans le cas des jeux mobiles F2P, la monétisation se traduit par des achats en cours de jeu donnant accès à une variété de biens virtuels dans un jeu. Ces achats volontaires offrent notamment aux joueurs des moyens pour continuer à jouer. À ce sujet, Clément affirme que :
C’est juste pour acheter les balles […]. Et surtout, je jouais juste admettons en regardant la télévision, donc […] je finissais juste par, des fois, en acheter pour pouvoir continuer à jouer sans marcher. — Clément, 29, M, Pokémon GO, Mario Kart Tour
Le « stickiness » des jeux F2P s’illustre ici par la possibilité d’effectuer des microtransactions comme un moyen direct pour jouer plus longtemps, selon le désir du joueur. Plus spécifiquement, la monétisation permet d’allier la continuité des pratiques de jeu à la continuité d’autres pratiques du quotidien, comme écouter la télévision dans ses temps libres.
D’autres joueurs ont soulevé la façon dont les jeux F2P se renouvellent continuellement. Ce processus se caractérise par un afflux de nouveautés dans le jeu. Qu’il soit question de nouveaux personnages ou de nouveaux items modulant l’expérience de jeu, c’est la mise à jour du contenu offert qui favorise le « stickiness » :
Avoir tous les achievements je trouve ça vraiment cool, puis là des fois ils upgrade le jeu puis ils en rajoutent, puis je suis comme “mausus”, il faut que je continue ou que je recommence. — Béatrice, 34, F, Board Kings, Two Dots
Comme l’illustrent les propos de Béatrice, l’idée sous-jacente aux nouveautés est la façon dont elles génèrent le souhait de découvrir des expériences inédites dans le jeu. Les nouveautés favorisent l’intégration des pratiques dans le quotidien puisqu’elles incitent les joueurs à continuer à jouer pour découvrir ce qu’offriront ces nouveautés en termes d’expériences de jeu.
Les nouveautés peuvent également converger vers la progression et les réussites dans le jeu, comme l’illustre l’expérience de Béatrice présentée plus haut. La notion de progression réfère au cheminement du joueur dans le jeu, qu’il soit caractérisé par une réussite successive de niveaux ou par le déverrouillage de contenu. Pour Élise, la progression dans le jeu est une caractéristique qui l’incite à continuer à jouer dans le but de maintenir son avancement :
Je ne me tanne pas de ces jeux-là. Gardenscapes, clairement qu’il y a le fait que je suis rendue vraiment loin dans le jeu, fait que c’est le fun, puis je n’ai pas le goût d’abandonner mon avancement. — Élise, 31, F, Mario Kart Tour, Gardenscapes
Les propos d’Élise trouvent écho dans l’expérience de nombreux joueurs rencontrés dans cette étude. Ces joueurs rapportent comment la progression dans les jeux F2P est une caractéristique qui favorise et maintient leur engagement dans le jeu, notamment parce que cette progression leur permet d’atteindre un niveau où le plaisir ne découle pas seulement de ce qu’il y a à accomplir, mais aussi de ce qu’il y a d’accompli.
Enfin, le « stickiness » des jeux peut être favorisé par les occasions limitées dans le temps. Ces occasions offrent l’opportunité aux joueurs d’obtenir des items, des bonus ou accomplir des tâches qui sont exclusives à une période limitée. Les occasions limitées accentuent le « stickiness » des jeux, car elles sont généralement avantageuses pour les joueurs. Ceux-ci doivent ainsi jouer durant ces périodes s’ils souhaitent en tirer profit. Selon Gaëlle :
Tu veux y revenir parce que ça donne des micros-victoires, puis parce que justement, tu as tout le temps des objectifs que tu veux atteindre, puis là tu te dis, ok bien là j’ai une sidequest, puis elle va durer 48 heures, fait que là, […] je vais avoir le goût ce soir, quand mon enfant prend sa douche, puis que j’ai rien à faire, de retourner la terminer. — Gaëlle, 32, F, Cooking Diary
Comme les bonus de connexion, les occasions limitées dans le temps sont encore une fois liées à l’idée d’être récompensé. Toutefois, ce sentiment de « micros-victoires » ou de réussite personnelle qui est vécu par les joueurs semble plutôt ancré dans la nature temporaire de l’accomplissement à atteindre. C’est donc l’idée d’un accomplissement d’une durée limitée qui favorise l’insertion répétée des pratiques de jeu dans le quotidien. Ces occasions limitées dans le temps sont efficaces lorsqu’on pense aux caractéristiques qui incitent les joueurs à perpétuer leur engagement quotidien dans le jeu, surtout en raison de l’engouement que peut susciter l’aspect temporaire et « spécial » de l’occasion.
En somme, l’analyse de l’expérience des joueurs permet d’établir un portrait général des caractéristiques de jeux mobiles F2P qui favorisent l’engagement des joueurs. Ce rapport entre le « stickiness » et l’engagement du joueur n’est toutefois pas à sens unique ; il se trouve en fait contre-balancé par d’autres caractéristiques qui visent plutôt à assurer un certain équilibre qui permet aux jeux de s’intégrer de manière harmonieuse dans le quotidien des joueurs. C’est ici que le « slickness » de certains jeux F2P entre en ligne de compte.
« Slickness » : Comment les jeux s’harmonisent au quotidien
L’expérience des joueurs révèle comment une deuxième dimension — celle du « slickness » — est nécessaire afin de refléter comment, dans l’expérience des joueurs, les jeux F2P s’intègrent de façon harmonieuse à un ensemble d’obligations et d’activités quotidiennes. Le concept de « slickness » réfère aux caractéristiques des jeux F2P qui favorisent leur intégration dans le quotidien des joueurs sans causer de « frictions » indésirables dans leur emploi du temps. Selon les joueurs rencontrés, les pratiques de jeu ne s’imposent pas à tout coup comme l’activité qui aura préséance sur d’autres obligations. Les jeux mobiles F2P doivent trouver leur place dans une vie quotidienne qui est de plus en plus fragmentée et en surcharge de productivité, notamment dans le contexte d’utilisation des appareils mobiles (Wajcman, 2008). La dimension du « slickness » regroupe quatre sous-dimensions identifiées dans l’analyse ainsi que les temps interstitiels (Chess, 2018) (Figure 2).
L’une des caractéristiques qui illustrent cette dimension est celle des fonctions temporisatrices, qui réfère aux temps d’attente « obligatoires » dans le mode de fonctionnement du jeu. Ces fonctions favorisent le « slickness » des jeux F2P en imposant des moments durant lesquels le joueur ne peut pas jouer ou accomplir certaines actions. Les joueurs rencontrés expliquent qu’il est possible de jouer pendant une certaine période, jusqu’au moment où un temps d’attente leur est imposé :
[Le jeu] que je joue en ce moment ne me distrait pas trop puis je suis capable de passer à autre chose. […] Après 5 vies, il faut que tu attendes. […] J’ai fait mes 5 vies, je vais passer à autre chose, puis je reviendrai ce soir ou demain matin, puis je recommencerai là. — Béatrice, 34, F, Board Kings, Two Dots
Cet extrait illustre comment cette caractéristique favorise une insertion des pratiques de jeu en marge des obligations de la journée. Il est possible d’observer, selon l’expérience des joueurs rencontrés, une tendance selon laquelle le jeu leur permet de prendre en compte leurs occupations quotidiennes dans son mode de fonctionnement. Cette caractéristique permet ici un rapport dynamique entre les occupations d’une personne et le temps accessible pour jouer. Les fonctions temporisatrices permettent donc d’exercer le moins de restrictions possible pour le joueur, tout en s’assurant que le jeu sera à nouveau disponible une fois qu’il en aura la possibilité.
Ensuite, les interruptions réfèrent aux caractéristiques qui permettent la discontinuité des pratiques de jeu. Les jeux permettent en effet une interruption soudaine des pratiques de jeu sans que le joueur ait à vivre les contrecoups de cette interruption. À ce sujet, Najah explique que :
Ce n’est pas un jeu avec un chronomètre, où tu dois terminer quelque chose de spécifique avant de pouvoir passer à autre chose. […] Tu ne perds rien en quittant le jeu en plein milieu d’une session de jeu, ce qui est parfait. — Najah, 41, F, Evermerge, Dinner DASH Adventure
Le caractère interruptible des jeux permet aux joueurs comme Najah d’entrer et de sortir du jeu de manière totalement fluide. L’expérience des joueurs rencontrés dans cette étude soulève comment cette caractéristique permet des transitions sans entraves entre le jeu et les obligations de la vie quotidienne. Cet aspect est d’ailleurs conceptuellement lié à une autre caractéristique dont plusieurs joueurs ont fait mention, soit la possibilité de faire des parties courtes.
La caractéristique des parties courtes favorise le « slickness » des jeux F2P, puisqu’elles permettent aux joueurs de jouer même lorsqu’ils n’ont que quelques minutes de disponibles. Pour Delphine, même une partie de trois à quatre minutes peut être trop longue selon le contexte de sa journée ; lorsqu’une seule minute peut être consacrée à jouer, le jeu doit être en mesure de le permettre :
Quand j’ai moins de temps, je vais être plus porté à jouer à Candy Crush que Plants vs Zombies. Parce que dans l’arène, […] le niveau peut durer 3, 4 minutes. Une partie de Candy Crush des fois, c’est une minute, une minute et demie. Tu as 20 mouvements, ce n’est pas long, une minute c’est fait. — Delphine, 39, F, Candy Crush, Plants vs. Zombies II
Le « slickness » des parties courtes provient du fait que l’insertion du jeu dans le quotidien se fait rapidement, parfois même à l’intérieur d’une seule minute, comme Delphine le mentionne. Dans ce court intervalle, le joueur peut décider de jouer, effectuer sa partie, quitter le jeu et retourner à ses occupations journalières. Dans l’expérience des joueurs rencontrés, il est possible de tracer un parallèle entre la possibilité de faire des parties courtes et l’insertion des pratiques de jeu dans les temps morts du quotidien des joueurs.
Malgré tout, la totalité des joueurs rencontrés dans cette étude a plutôt mentionné jouer pendant les courts temps morts de leur quotidien. Ces courts temps morts, aussi appelés des temps interstitiels (Chess, 2018), sont des courts moments se situant entre les événements du quotidien et qui ne sont pas utilisés à d’autres fins. Pour Oscar, les pratiques de jeu comblent ces petits « trous » de temps :
C’est vraiment des passe-temps pour boucher les mini trous dans une journée. Se divertir. J’ai une vie professionnelle très exigeante. C’est vraiment juste du divertissement pur et dur pour se changer l’état d’esprit ponctuellement. Et c’est ce qui m’a plu dès le départ. L’aspect de pouvoir jouer un peu, mais pas trop. — Oscar, 47, M, Mafia Wars, Kiss of War
Cet extrait illustre comment les temps interstitiels se forment entre les diverses activités personnelles, familiales ou professionnelles des joueurs. C’est d’ailleurs lors de ces temps interstitiels que les jeux ont tendance à s’insérer le plus, et ce, pour tous les joueurs rencontrés pour cette étude. L’insertion des pratiques de jeu ne se fait donc pas en dépit, mais en fonction des obligations du quotidien, notamment par la possibilité de jouer pendant quelques minutes seulement. Il y a donc une adéquation entre la simplicité et la rapidité des jeux F2P et les courts temps morts qui accueillent les pratiques de jeu, pointant vers une cohabitation temporelle harmonieuse avec un quotidien occupé.
Discussion
« Slickness » et « Slickness » : une question d’équilibre
Les résultats présentés dans cette étude mettent en lumière comment l’expérience des joueurs en lien avec les différentes caractéristiques des jeux F2P peut se regrouper en deux dimensions principales — « stickiness » et « slickness ». L’expérience des joueurs rencontrés permet d’ailleurs de comprendre comment, à travers une diversité de caractéristiques de jeu, ces deux dimensions influencent et façonnent l’insertion des pratiques de jeu au quotidien. Ceci dit, le « slickness », élaboré à partir des résultats de cette étude, est un concept novateur dans la littérature propre aux jeux F2P. La contribution conceptuelle du « slickness » permet de jeter un regard nouveau sur la compréhension des pratiques de jeu en illustrant une complémentarité entre des caractéristiques de jeu qui parfois incitent (« stickiness») ou dissuadent (« slickness») les pratiques de jeu.
Le « stickiness » favorise en effet un retour vers le jeu, ce qui incite les joueurs à trouver des moments dans leur quotidien pour retourner dans le jeu (Frommel et Mandryk, 2022). Par exemple, les résultats révèlent que les joueurs qui souhaitent profiter des bonus de connexion quotidiens ou des occasions limitées dans le temps doivent faire une place au jeu à différents moments de leur quotidien pour tirer profit de ces offres avant qu’elles ne disparaissent (Frommel et Mandryk, 2022 ; Hsiao et Chen, 2016). Le « stickiness» se manifeste également par l’achat de biens virtuels dans le jeu, notamment pour prolonger le temps de jeu lorsqu’un joueur serait autrement contraint d’arrêter de jouer après l’épuisement des « vies » disponibles (Mäyrä et Alha, 2021).
Néanmoins, l’expérience des joueurs de cette étude laisse croire qu’une surabondance de caractéristiques propres au « stickiness » dans les jeux pourrait avoir le potentiel de rendre conflictuelle l’insertion des pratiques de jeu dans la vie quotidienne qui est par ailleurs composée d’obligations relatives au travail, à la vie familiale, aux études. De façon générale, ces obligations ont tendance à dessiner les contours plus ou moins rigides d’une routine qui se structure par la répétition des pratiques de la vie quotidienne (Giddens, 1984). Une intégration trop présente, voire insistante des pratiques de jeu entrerait en conflit avec les autres sphères de vie des joueurs qui sont composés, elles aussi, d’activités et de pratiques qui se répètent au quotidien. Cela dit, ce conflit entre les diverses pratiques de la vie de tous les jours peut être prévenu par le « slickness » des jeux.
Le concept de « slickness», issu des résultats de cette étude, est toutefois nécessaire pour comprendre comment certaines caractéristiques de jeux mobiles F2P permettent un rapport dynamique entre le jeu et les obligations quotidiennes des joueurs. En permettant de jouer brièvement et en minimisant les conséquences qui pourraient découler de la fin abrupte d’une partie, le « slickness » des jeux, comme illustré par la possibilité de faire des parties courtes, favorise une réintégration répétitive des pratiques dans les temps morts courts du quotidien (Chess, 2018 ; Hjorth et Richardson, 2021). Une expérience de jeu peut en ce sens être positive même si elle ne dure que quelques minutes ou même lorsqu’elle est interrompue, ce qui permet aux jeux de s’intégrer facilement aux routines et aux habitudes de la vie quotidienne des joueurs qui sont parfois source d’interruptions (Evans, 2016 ; Hjorth et Richardson, 2021).
Néanmoins, une surabondance de caractéristiques propres au « slickness » dans les jeux mobiles F2P pourrait avoir l’effet de dissuader complètement le joueur, menant à l’abandon des pratiques de jeu. Même si le « slickness » permet de faire en sorte que le joueur ne soit pas simplement enfermé dans une boucle ininterrompue d’engagement, les caractéristiques de jeu qui composent cette dimension semblent malgré tout favoriser l’engagement à long terme, en ce sens qu’elles permettent aux jeux de s’intégrer au quotidien des joueurs de façon harmonieuse et répétée.
Si le jeu n’offre pas la possibilité aux joueurs — via le bon dosage de caractéristiques de jeu — d’intégrer les pratiques de jeu au sein de sa routine quotidienne, les pratiques pourraient tout simplement disparaître dans le courant des obligations routinières. En somme, comme il est possible de le constater dans les résultats, une balance entre le « stickiness » et le « slickness » des jeux est nécessaire pour comprendre comment les pratiques de jeu s’insèrent de façon harmonieuse dans le quotidien, et plus spécifiquement dans les temps interstitiels des joueurs (Chess, 2018).
La centralité du temps dans les caractéristiques et les pratiques de jeu
Qu’il s’agisse du « stickiness» ou du « slickness», le temps est central dans la façon dont les joueurs rencontrés dans cette étude expliquent leurs expériences avec les jeux F2P. Leurs expériences révèlent effectivement comment les caractéristiques de jeux mobiles F2P ont fortement tendance à se fonder sur des principes temporels ; soit en termes de temps de jeu, soit en termes de temps d’attente. Alors que d’autres recherches ont mis en lumière le rôle et l’importance de l’espace dans leur compréhension des pratiques de jeu (Hjorth et Richardson, 2009 ; Hjorth et Richardson, 2021 ; Pink et al., 2018), l’approche théorique de ce projet ainsi que l’expérience des joueurs mettent en lumière le rôle et l’importance du temps dans l’insertion des pratiques de jeu dans leur vie quotidienne. En ce sens, les résultats permettent de comprendre comment une balance entre le « stickiness» et le « slickness» des jeux se positionne sur des bases temporelles.
Cet aspect est également cohérent avec les principes guidant la conception des jeux mobiles F2P. Pour certaines compagnies qui conçoivent ces jeux, aucune session de jeu ne devrait prendre plus de quelques minutes : « [c’est] le moyen idéal de passer trois minutes de temps libre » (King Digital Entertainment, 2014a, p. 79). Considérant cet objectif avoué et que plusieurs jeux mobiles F2P sont généralement construits sur des principes fondamentaux similaires (Luton, 2013 ; Mäyrä et Alha, 2021 ; Rozner, 2021), il semble tout à fait cohérent que l’expérience des joueurs rencontrés dans cette étude indique que les pratiques de jeu ont surtout tendance à s’insérer dans les interstices temporels de leur vie quotidienne (Chess, 2018 ; Evans, 2016 ; Hjorth et Richardson, 2014). C’est ainsi, selon certains, que les jeux s’intègrent à la toile de fond du quotidien des joueurs et deviennent omniprésents dans leur vie de tous les jours (Hjorth et Richardson, 2021), illustrant parfaitement ce que Pargman et Jakobsson qualifient comme la « “colonisation” du quotidien par les jeux » (2008, p. 234).
De nouveaux temps propices aux jeux
Les résultats présentés dans cette étude soulèvent également certains questionnements entourant la création de nouveaux temps propices aux pratiques de jeux F2P et à la consommation de biens virtuels au sein de ceux-ci, notamment en ce qui a trait aux achats qui permettent aux joueurs d’augmenter leur temps de jeu (Hamari et al., 2017). En s’insérant dans les différents moments de la vie quotidienne des joueurs, les jeux mobiles F2P multiplient les occasions où les joueurs achètent certains biens virtuels en jouant, notamment par l’apport constant en nouveautés dans le jeu (Luton, 2013). Selon certains, c’est précisément dans cette orientation que les jeux F2P ont désormais atteint le statut de service (Games-as-a-service ; Zaiets, 2020 ; Rozner, 2021).
Le modèle de « jeux en tant que service » transforme ultimement le rapport entre les compagnies qui conçoivent les jeux, les joueurs et la façon dont les pratiques de jeu s’insèrent dans la vie quotidienne de ces derniers (Clark, 2014). Cette transformation ouvre à son tour sur de nombreuses possibilités de consommation qui sont créées par l’intégration des pratiques de jeu au quotidien. Alors que certains discutent de compression temporelle et d’accélération dans un contexte social de modernité (Wajcman, 2008), les jeux mobiles F2P peuvent être vus comme une version moderne, accélérée et « temporellement compressée » des loisirs commodifiés (Grainge, 2011), mettant en relief le contexte social et culturel dans lequel ces jeux sont conçus et pratiqués.
Limites
Sur le plan des limitations, la méthode d’échantillonnage intentionnelle, choisie pour des raisons pratiques et de faisabilité, apporte certains défis quant au portrait de l’échantillon de cette étude. Cette limitation se reflète dans un plus grand nombre de participants de sexe féminin plutôt que masculin, bien que les concepts de sexe ou de genre n’aient pas été priorisés dans nos objectifs. Sur ce plan, d’autres recherches sociologiques ancrées dans les courants critiques et féministes ont précédemment mis en relief le genre comme facteur socioculturel modulant l’expérience des personnes (Aitchison, 2003 ; Wearing, 1998), une importance particulière aurait pu être attribuée au concept de genre dans l’analyse des pratiques de jeu. Guidée par un objectif et une approche théorique différente, la question du genre n’a pas été abordée dans cette étude. Il semble toutefois nécessaire de soulever ce point pour des recherches futures qui pourraient, dans la même veine que Chess (2012 ; 2018) et Green (2001), explorer les pratiques de jeux mobiles F2P dans le quotidien des personnes en fonction d’approches féministes et intersectionnelles (Chess, 2020).
Conclusion
Cet article a présenté comment certaines caractéristiques des jeux mobiles F2P peuvent être comprises par le prisme de l’expérience subjective des joueurs rencontrés dans cette étude. L’analyse a permis de regrouper les caractéristiques en deux grandes dimensions, qui, à leur tour, rendent compte d’une relation entre les caractéristiques qui favorisent directement l’engagement des joueurs et celles qui assurent une intégration harmonieuse au sein des obligations des joueurs. En somme, l’analyse de l’expérience des joueurs a permis de mieux cerner la façon dont les jeux sont conçus pour s’adapter aux obligations et aux responsabilités quotidiennes sans causer de frictions ou d’engagements de temps indésirables.
Il s’agit ici d’un point fondamental pour comprendre comment les diverses caractéristiques de jeux F2P, qu’elles soient relatives au « stickiness » ou au « slickness », ont une influence directe sur l’insertion des pratiques dans le quotidien des joueurs. Cette insertion repose sur une balance critique entre les caractéristiques qui favorise le « stickiness » et celles qui favorisent plutôt le « slickness » des jeux. Lorsque cette balance est atteinte, l’insertion des pratiques de jeu peut se faire de façon harmonieuse avec les autres occupations du temps qui composent le quotidien d’une personne. En appui des principes proposés par la théorie des pratiques sociales (Meier et al., 2018 ; Reckwitz, 2002 ; Shove et al., 2012), les résultats présentés dans cet article illustrent comment la matérialité et la temporalité façonnent les pratiques de jeu et créent les conditions d’émergence à l’intégration des pratiques de jeu dans les temps morts courts des joueurs. Le rôle des temps interstitiels (Chess, 2018) a en effet été soulevé dans l’analyse comme étant une disposition temporelle clé du quotidien des joueurs, par le fait que la totalité des joueurs rencontrés en entrevue jouait durant ces petits « trous » de temps qui parsèment leurs journées.
Considérant que le temps est un aspect central à la fois pour les caractéristiques de jeu ainsi que pour l’intégration des pratiques de jeu dans le quotidien des joueurs, il semble nécessaire de soulever l’importance que les aspects liés au temps jouent dans la conceptualisation et la compréhension des méfaits liés aux pratiques de jeu. Les résultats pointent vers l’importance de mieux comprendre, d’un point de vue subjectif, dans quelle mesure les pratiques de jeu interfèrent (ou non) avec le temps consacré aux différentes sphères du quotidien des joueurs. Alors que l’argent et la monétisation jouent potentiellement un rôle prépondérant pour une minorité de joueurs qui effectuent des achats en cours de jeu (Hamari et al., 2017 ; Nieborg, 2016), les résultats de cette étude illustrent comment la question du temps est l’un des aspects fondamentaux de la conception, du fonctionnement des jeux mobiles F2P et de leur place dans la vie quotidienne des joueurs.
Notes
[1] ^Cette étude a reçu l’approbation éthique du Comité d’éthique de la recherche de l’Université Concordia : (30016773)
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