LAURENCE KERN, GAYATRI KOTBAGI, JEAN-JACQUES RÉMOND, PHILIP GORWOOD, LUCIA ROMO /
Gayatri Kotbagi, doctorante, Centre de Psychiatrie et Neurosciences
Jean-Jacques Rémond, doctorant, Université Paris Ouest
Philip Gorwood, professeur de psychiatrie, Centre de Psychiatrie et Neurosciences
Lucia Romo, professeur, Université Paris Ouest, enseignant chercheur, Centre de Psychiatrie et Neurosciences
Correspondance :
Laurence Kern
Bâtiment S
bureau 120
200, avenue de la république
92 000 Nanterre cedex 1
laurence.kern@gmail.com
Résumé
But : Le but de ce travail est de comparer les joueurs qui jouent à de tels jeux sur des sites comme les casinos ou les hippodromes (joueurs hors ligne) et ceux qui jouent en plus en ligne (joueurs mixtes) en traçant les profils de ces joueurs.
Méthode : 608 joueurs hors ligne et mixtes ont répondu à plusieurs questionnaires qui ont porté sur : 1) les données sociodémographiques (genre, âge, situation de famille, éducation) ; 2) les mesures de dépistage des usages problématiques des jeux de hasard et d’argent ; 3) la consommation d’alcool ; 4) les mesures d’anxiété et de dépression et 5) les mesures sociocognitives (distorsions cognitives et confiance en soi).
Résultats : L’échantillon, d’un âge moyen de 53.0 ans (de 17 à 76 ans ; E.T = 15,9) est composé majoritairement de femmes (femmes : 60 % ; hommes : 39 %) ; 55 % des personnes interrogées vivent en couple. Seulement 23,7 % (N = 144) des participants sont des joueurs mixtes. En ce qui concerne la consommation d’alcool, 31,5 % (N = 191) ont des conduites à risque ou problématiques ; au niveau du jeu 19,6 % (N = 109) sont considérés à risque modéré selon l’indice canadien de jeu excessif (ICJE, 2001), alors que 9 % (N = 55) sont des joueurs pathologiques probables. Les joueurs mixtes sont de façon significative plus jeunes, jouent plus, ont des scores à l’ICJE plus élevés, sont plus anxieux et ont une plus grande consommation d’alcool. Ils présentent également des distorsions cognitives plus intenses (contrôle prédictif), mais ont, en revanche, moins confiance en leur capacité d’arrêter de jouer que les joueurs hors ligne.
Conclusion : Une sévérité accrue au jeu pathologique et des distorsions cognitives plus intenses rendent la population des joueurs mixtes fragile. Quelques pistes d’intervention et de prévention seront proposées en guise de conclusion.
Mots-clés : jeu pathologique, distorsions cognitives, confiance en soi, Internet, dépendances
Cognitive distortions of off-line and mixed gamblers and gamers
Abstract
Aim: The aim of this study is to compare and trace profiles of individuals who go to casinos, hippodromes, etc. to gamble (offline gamblers) and those who in addition to it, gamble online (mixed gamblers).
Method: A total of 608 players responded to a battery of questionnaire. It consisted of: 1) socio–demographic data (gender, age, family situation, education); 2) measures of gambling; 3) alcohol consumption; 4) measures of anxiety and depression and 5) socio-cognitive measures (cognitive distortions and self-confidence).
Results: We notice that our population in majority, consists of women (39% men, 60% women) with a mean age of 53 (Agemin: 17 years, Agemax: 76 years, S.D.: 15.97); 55% were married or living together. Only 23.7% (N = 144) of subjects are in/off gamblers. With respect to consumption of alcohol, 31.5% (N = 191) have problems with alcohol; 19.6% (N = 109) are at moderate risk of pathological gambling and 9% N = 55) are pathological gamblers. Mixed gamblers are significantly younger, play more, have higher scores on problematic gambling, are more anxious and have higher levels of alcohol consumption. They also have significantly higher scores on cognitive distortions (particularly on the dimension of predictive control) but on the other hand, have lower levels of confidence with respect to their capacity to stop gambling as compared to offline gamblers.
Conclusion: Mixed gamblers are characterized by higher intensity with respect to pathological gambling and cognitive biases. Therefore, special attention should be paid to this fragile population. Some interventional and preventive approaches are proposed.in the conclusion section.
Keywords: pathological gambling, cognitive distortions, self confidence, Internet, addictions
Distorsiones cognitivas de los jugadores de juegos de azar y de dinero fuera de línea y mixtos
Resumen
Objetivo: El objetivo de este trabajo es el de comparar a los jugadores que juegan en sitios tales como casinos o hipódromos (jugadores fuera de línea) y los que además juegan en línea (jugadores mixtos), mediante el trazado de los perfiles de los mismos.
Método: 608 jugadores fuera de línea y mixtos respondieron a varios cuestionarios: 1) los datos sociodemográficos (género, edad situación familiar, educación); 2) las medidas de despistaje de los usos problemáticos de los juegos de azar y de dinero; 3) el consumo de alcohol; 4) las medidas de ansiedad y depresión y 5) las medidas sociocognitivas (distorsiones cognitivas y confianza en sí mismo).
Resultados: La muestra, de una edad promedio de 53.0 años (de 17 a 76 años; E.T = 15,9) está compuesta principalmente por mujeres (mujeres: 60%; hombres: 39%); el 55 por ciento de las personas interrogadas viven en pareja. Solamente el 23,7% (N = 144) de los participantes son jugadores mixtos. En cuanto al consumo de alcohol, el 31,5% (N = 191) presentan conductas riesgosas o problemáticas; en lo que respecta al juego, se considera que el 19,6 % (N = 109) presenta un riesgo moderado según el índice canadiense de juego excesivo (ICJE, 2001), mientras que el 9 % (N = 55) son probables jugadores patológicos. Los jugadores mixtos, significativamente, son más jóvenes, juegan más, tienen puntajes elevados según el ICJE, son más ansiosos y consumen más alcohol. Presentan igualmente distorsiones cognitivas más intensas (control predictivo) pero tienen, por el contrario, menos confianza en su capacidad de dejar de jugar que los jugadores fuera de línea.
Conclusión: Una mayor severidad en el juego patológico y distorsiones cognitivas más intensas hacen que la población de jugadores mixtos sea más frágil. Como conclusión, se proponen algunas posibilidades de intervención y de prevención.
Palabras clave: Juego patológico, distorsiones cognitivas, confianza en sí mismo, Internet, dependencias.
Introduction
Pour la plupart des personnes, les jeux de hasard et d’argent (JHA) constituent une activité de loisir parmi tant d’autres, sans effets délétères. Cependant, pour certains individus, le jeu prend de telles proportions qu’il entraîne des conséquences désastreuses. Le jeu, pratiqué à l’excès, de façon compulsive, avec un besoin irrépressible de miser de l’argent, est qualifié de pathologique. Ainsi, le jeu pathologique est reconnu comme un trouble du contrôle des impulsions dans la nosologie psychiatrique (APA, 1996) ; ses effets délétères se manifestent dans toutes les sphères de la vie et affectent également la famille et les proches. Cependant, dans le DSM-5 (American Psychiatric Association, 2013), le jeu pathologique est inclus sous la nomenclature des troubles addictifs.
Ces dernières décennies, nombre d’auteurs ont mis en évidence le rôle des caractéristiques structurelles des JHA dans l’acquisition, le développement et le maintien du jeu pathologique (par exemple, Griffiths, 2003 ; Parke, Griffiths, & Irwing, 2004). Ainsi, les facteurs de maintien du jeu pourraient être le jeu lui-même (taux de retour, montant des mises), mais également des facteurs individuels (personnalité) et des facteurs contextuels (culture, environnement, relations sociales). L’accès aux JHA a été facilité avec leur apparition sur Internet. De ce fait, jouer peut se faire dans les casinos ou autres lieux physiques réels ou virtuels, avec de vraies sommes d’argent. Comme dans de nombreuses dépendances, nous pouvons identifier trois grands types de facteurs impliqués dans le jeu pathologique : des facteurs liés au participant lui-même (individuels) ; des facteurs liés à l’objet de dépendance et, donc, au jeu (structurels) et des facteurs liés à l’environnement ou contextuels (Bouju, Grall-Bronnec, Quistrebert-Davanne, & Venisse, 2011). En 2005, près de 30 millions de Français ont joué au moins une fois de l’argent, soit trois adultes sur cinq (Venisse, Adès, & Valleur, 2007). En Europe, le jeu de hasard et d’argent sur Internet (JAI) connaît la croissance la plus rapide des JHA, avec des recettes annuelles dépassant 6,16 milliards d’euros en 2008 (Commission européenne, 2011), soit 7,5 % des recettes annuelles de l’ensemble du marché des JHA. Selon le Livre vert[1] (Commission européenne, 2011), ces chiffres devraient doubler en 2013.
L’autorité de règlementation des jeux en ligne (ARJEL, 2011) a dénombré sur l’offre légale 1,3 -million de comptes de joueurs actifs, le total de mises était de 187 millions d’euros en paris sportifs, 278 millions d’euros en paris hippiques, 1,515 milliard d’euros pour le poker en cash game et 345 millions d’euros de droits d’entrée aux tournois de poker en ligne (Gola, 2013). Entre 1960 et 2005, les dépenses des Français aux JAI ont augmenté de 148 %. Les JAI deviennent ainsi de plus en plus populaires et concernent trois domaines : les paris hippiques et sportifs (autorisés depuis la loi du 8 juin 2010) ainsi que le poker (autorisé depuis la loi du 30 juin 2010). Tous secteurs confondus, la population des joueurs en ligne reste majoritairement jeune (56 % des joueurs ont moins de 35 ans) et de plus en plus mobile (17 % d’entre eux se connectent avec leur téléphone intelligent ou leur tablette numérique, contre 9 % un an auparavant). Les joueurs en ligne sont plutôt des hommes (87 %). La dépense moyenne annuelle par compte de joueur est de 250 € (325,5 $ canadiens) et 52 % des joueurs en ligne jouent au poker (cf. ARJEL, 2011). Selon le bulletin Tendance de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT, 2011) et d’après la nomenclature de l’échelle indice canadien du jeu excessif (ICJE) (Ferris & Waynn, 2001), 3,7 % des joueurs français actifs sont dans la catégorie des joueurs excessifs, 7,1 % dans la catégorie des joueurs à risque modéré et 12,2 % sont dans la catégorie des joueurs à risque faible. Dans une récente enquête populationnelle québécoise (Kairouz, Nadeau, & Paradis, 2010), il s’avère que 1,3 % des personnes qui ont joué dans les douze derniers mois ont des risques modérés et 0,7 % sont des joueurs pathologiques probables.
Les JAI peuvent paraître comme étant une continuité logique aux formes traditionnelles de JHA. Cependant, l’environnement de jeu n’est pas le même : les interactions entre les joueurs sont plus limitées, l’anonymat est conservé. Il n’y a pas de contact direct avec l’argent. Les joueurs peuvent se créer plusieurs comptes et plusieurs avatars. Ils peuvent ainsi jouer de manière simultanée sur différents sites, ceci peut entraîner une perte de la notion du temps passé à jouer devant l’ordinateur ou de la somme jouée. Cotte et Latour (2009) comparent des joueurs de casino hors ligne et mixtes et ils montrent que la façon de jouer de ces personnes est différente. En effet, les joueurs de JAI ont intégré ce mode de jeu dans leur vie quotidienne. Cette activité a des conséquences sur toute la famille, elle est réalisée de façon plus compétitive et moins sociale.
Les JAI auraient, pour des joueurs pathologiques, des spécificités que nous ne retrouverions pas dans le jeu hors ligne telles que la commodité, le confort, la facilité d’accès au jeu. Les joueurs de JAI auraient également une aversion pour l’atmosphère et la clientèle des établissements de jeu, une préférence pour la nature des JAI, une perception de gains potentiels plus importants, des dépenses générales plus basses et ils apprécient le caractère anonyme du jeu (Wood et Williams, 2007). Pour certains auteurs (Ladd et Petry, 2002), les JAI pourraient entraîner des problèmes plus sévères que le jeu hors ligne sur les plans financier et familial. A priori, peu d’études ont analysé le profil des joueurs hors ligne et des joueurs mixtes. Parmi ces quelques recherches, Wood et Williams (2011) comparent, dans leur étude, les joueurs de JAI et les joueurs hors ligne de 105 pays (N = 7921, 25 % joueurs de JAI). Leurs résultats mettent en évidence le fait que les joueurs de JAI sont en réalité majoritairement mixtes. Dans une autre étude (Gainsbury, Wood, Rusel, Hing, & Blaszczynski, 2012), les participants (N = 6682) recrutés par Internet étaient essentiellement de jeunes hommes qui travaillaient. Ces derniers présentaient moins d’illusions de jeu (superstitions et incompréhension de la nature des résultats déterminés au hasard), une attitude plus positive envers le jeu, des dépenses de jeu élevées, une variété dans le type de jeu (par exemple : casino, paris sportifs, loterie, poker), une sévérité aiguë des problèmes de jeu, une consommation de tabac, d’alcool et d’autres drogues plus importantes. Identifier les différences entre joueurs mixtes et hors ligne paraît important afin : 1) de comprendre, d’expliquer et de prédire les conduites à risque et problématiques ; 2) de proposer des pistes de prévention et de protection adaptées à ces joueurs.
Le jeu problématique a souvent été attribué, entre autres facteurs, à un ensemble de croyances erronées et une capacité supposée à contrôler ou à prédire les résultats du jeu, ce qui entraîne une persistance dans le comportement de jeu (Oei, Lin, & Raylu, 2008). Les cognitions erronées ou les pensées irrationnelles telles que l’illusion de contrôle et le contrôle prédictif ont également été observées, celles-ci contribuant à augmenter le comportement problématique de jeu (Maccallum, Blaszczynski, Ladouceur, & Nower, 2007). Ghezzi et al. (2006), émettent l’hypothèse que les joueurs pathologiques ont des difficultés à comprendre et à appliquer un principe d’indépendance entre les tours. Dans une étude sur les styles de pensées, Maccallum et al. (2007) montrent que les distorsions cognitives concernant les JHA ont pour conséquence de surestimer la probabilité de gagner. De plus, elles se potentialisent et augmentent la probabilité que les joueurs prennent des décisions risquées pendant leur séance de jeu. Néanmoins, si le lien entre l’illusion de contrôle et la dépression n’est pas clairement établi dans la littérature (Dannewitz et Weatherly, 2007), Hopley et Nicki (2010) montrent que la présence d’un problème de JAI peut être liée à une image de soi (concept de soi) négative où le jeu existe pour échapper aux états émotionnels négatifs comme la dépression, l’anxiété, le stress, le sentiment d’ennui et l’impulsivité.
L’objectif de l’étude est d’analyser les facteurs individuels chez les joueurs mixtes, tels que : 1) les distorsions cognitives jouant « un rôle central dans le développement et le maintien du jeu en amenant le participant à nier la part de hasard et de chance dans le jeu » (Barrault et Varescon, 2012 : 18-19) ; 2) le sentiment d’efficacité personnel (SEP), c’est-à-dire la croyance en ses capacités d’organiser et d’exécuter les actions nécessaires pour atteindre un résultat donné. Or, selon Bandura (1982), l’élément le plus important pour expliquer la variance d’un comportement est ce concept nommé également confiance en soi. Le niveau du SEP pourrait influencer les intentions, les décisions et les actions d’un individu (Ülkümen, Manoj, & Morwitz, 2008).
Dans une perspective de prévention, ce concept semble donc central. De plus, d’un point de vue sociocognitif, les éléments pertinents dans une intervention thérapeutique sont : 1) l’identification de la situation à haut risque qui incite le comportement de dépendance ; 2) le développement de l’efficacité personnelle du participant et 3) la mise en pratique des stratégies de coping adéquates (Conner et Norman, 2005).
Objectifs
Il s’agit, à travers cette étude, de comparer le profil des joueurs hors ligne et mixtes et, plus particulièrement, d’examiner les distorsions cognitives et le sentiment d’efficacité personnelle de ces deux types de joueurs.
Méthode
Participants
L’échantillon se compose de 608 joueurs (237 hommes : 39 % ; et 365 femmes : 60 % ; 1 % non renseigné). L’âge moyen est de 53,0 ans (âgemin = 18 ans ; âgemax = 91 ans ; E.T = 15,9). Tous les participants de cette étude sont âgés de plus de 18 ans.
Les deux groupes de types de joueurs ont été créés a posteriori, donc après l’analyse des types de jeux pratiqués. La procédure de recrutement a donc été la même pour les deux groupes. Les inclusions dans l’étude ont eu lieu sur la même période de l’année. Pour le groupe de joueurs recrutés au casino, des assistants de recherche sollicitaient les joueurs directement au casino tous les jours de la semaine et à tous les moments de la journée. Il en est de même pour les joueurs recrutés dans les hippodromes. Les personnes acceptant de participer à l’étude ont été amenées dans une salle isolée du casino afin de remplir le formulaire d‘information, le consentement et, le cas échéant, les questionnaires. Tout au long de la passation, un assistant de recherche était présent. Pour les hippodromes et les gares, les passations se faisaient directement sur le lieu de jeu, dans des endroits calmes. Tous les participants recevaient une lettre d’information et un formulaire de consentement éclairé selon les critères du groupe de travail sur l’éthique de l’Unité de formation et recherche sciences psychologiques et sciences de l’éducation (UFR-SPSE) de l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense. Parmi les personnes sollicitées, le taux de refus a été de 53 %. Les trois attachés de recherche étaient formés à la passation des questionnaires et donnaient les mêmes consignes standardisées.
La majeure partie des personnes (N = 344 ; 55 %) est mariée ou vit en concubinage. La majorité (63 %) d’entre eux est parent de 1 à 3 enfants. Sur l’ensemble des joueurs interrogés, 76,3 % (N = 464) déclarent ne jouer qu’à des JHA hors ligne et 23,7 % (N = 144) disent aussi jouer sur Internet, ces joueurs sont appelés « joueurs mixtes ». Notre échantillon a été recruté dans des casinos (59,9 % ; N = 364), des hippodromes (20,1 % ; N = 122) et dans la population générale (11,5 % ; N = 70).
Instruments de mesure
Le questionnaire était composé de cinq parties. La première concernait les données sociodémographiques ; la deuxième partie permettait d’examiner les JHA et JAI. Une troisième partie permettait de mettre en évidence les habitudes liées à la consommation d’alcool et une autre partie était consacrée à la mesure de l’intensité des symptômes anxieux et de dépression. Enfin, des renseignements sur des variables cognitives étaient pris en considération (distorsions cognitives, confiance en soi).
Jeu problématique
L’Indice canadien du jeu excessif (ICJE ou CPGI pour Canadian problem gambling index) (Ferris et Wynne, 2001) était utilisé dans sa version française. L’ICJE est un questionnaire de dépistage à neuf questions dont la fiabilité apparaît satisfaisante. Cet outil est davantage centré sur les problèmes et les conséquences liés au jeu. La modalité de réponse est une échelle de Likert en quatre points (de 1 = « Jamais » à 4 = « Presque toujours »). L’étude initiale sur la validation de l’outil a démontré une structure unidimensionnelle, une bonne consistance interne (alpha = 0,84) et une bonne fiabilité test-retest (r = 0,78). En ce qui concerne la cotation, un score de zéro est synonyme d’absence de problème de jeu, un score égal à un ou deux montre un faible risque, un score de trois à sept dévoile un risque modéré et un score supérieur ou égal à 8, un problème de jeu pathologique. Dans la majorité des études épidémiologiques utilisant l’ICJE, les auteurs associent les deux plus hauts niveaux, soit le jeu à risque modéré et le jeu problématique, en une seule et même catégorie. Ceci permet d’obtenir une meilleure puissance statistique dans les résultats (Cox, Yu, Afifi, & Ladouceur, 2005). Cet outil permet de regrouper les joueurs en trois catégories qui sont joueurs pathologiques, à risque et non problématiques.
Croyances erronées
Le Gambling related cognitions scale (GRCS) (Raylu et Oei, 2004, adaptation française Grall-Bronnec et al., 2012) est un questionnaire évaluant les distorsions cognitives liées aux JHA. Cette échelle comprend 23 éléments. Le participant doit indiquer dans quelle mesure il est d’accord avec l’énoncé, sur une échelle de Likert en sept points (allant de 1 = « pas du tout d’accord » à 7 = « tout à fait d’accord »). L’échelle possède cinq dimensions dont les dysfonctionnements cognitifs reflétant l’incapacité perçue à arrêter de jouer (la perception d’être incapable de résister à une envie de jouer), les biais interprétatifs (les interprétations favorables à la poursuite du jeu), l’illusion de contrôle (la perception de pouvoir prédire l’issue d’un jeu de hasard), les attentes liées au jeu (la perception quant aux effets espérés du jeu) et le contrôle prédictif (la perception de pouvoir contrôler le résultat d’un jeu). Les qualités psychométriques de cet outil sont satisfaisantes (Raylu et Oei, 2004) comme en témoignent la validité de structure à travers l’analyse factorielle confirmatoire et la fidélité dont les alpha de Cronbach sont compris entre 0,77 et 0,91 pour les dimensions et 0,93 pour l’échelle.
Confiance en soi
Le Drug Taking Confidence Questionnaire (DTCQ-8) (Sklar et Turner, 1999), adaptation française (Romo et al., 2009) est à la base une mesure brève pour évaluer l’efficacité personnelle à gérer les problèmes chez les usagers d’alcool et de drogues. Ce questionnaire est composé de huit questions qui évoquent des situations associées à des émotions positives ou négatives. L’individu doit répondre sur une échelle de 0 % à 100 % (intervalle de 20). Cette échelle mesure la confiance dans sa capacité à résister à la consommation de l’alcool ou de drogues ou à la pratique de jeu dans des situations de haut risque. Les qualités psychométriques (validité et fidélité) montrent que le DTCQ-8 est un outil valide. En effet, le coefficient de consistance interne est de 0,89 pour l’échelle globale. La corrélation entre les scores totaux du DTCQ-8 et du DTCQ-50 est de 0,97.
Consommation d’alcool
Le questionnaire Alcohol Use Disorder Test (AUDIT) (Saunder, Aasland, Babor, DeLaFuente, & Grant, 1993), validé en français par Gache et al. (2005), est un questionnaire évaluant la consommation d’alcool. Il permet de repérer l’abus et la dépendance liés à l’alcool. C’est l’instrument le plus utilisé en France pour le dépistage des problèmes d’alcool. Le questionnaire concerne la période actuelle (12 derniers mois écoulés). Il comprend dix questions avec des réponses cotées de zéro à quatre et explore trois dimensions, dont la fréquence, la quantité consommée, la dépendance et les problèmes rencontrés à cause de la consommation d’alcool. L’étude de validation de la version française (Gache et al., 2005) a permis de mettre en avant les qualités psychométriques satisfaisantes de cet outil. La consistance interne est de 0,87. La sensibilité varie entre 0,94 et 0,69, et la spécificité entre 0,58 et 0,96 selon les scores seuils. Les scores renvoient à des normes, avec la particularité de seuils différents pour l’homme et la femme. Un score supérieur ou égal à huit chez l’homme et à sept chez la femme signifie un abus d’alcool. Un score supérieur à 12 chez l’homme et à 11 chez la femme témoigne d’une dépendance à l’alcool.
Anxiété et dépression
Le Hospital Anxiety Depression Scale (HAD) (Zigmond et Snaith, 1983) est une échelle composée de 14 éléments, dont sept mesurent l’anxiété et sept mesurent la dépression (version française validée par Lepine, Godchau, & Brun, 1985 et Razavi, Delvaux, Farvacques, & Robaye, 1990). Pour chaque élément, il y a quatre modalités de réponse allant de zéro à trois. L’échelle possède des qualités psychométriques satisfaisantes. En effet, la consistance interne varie de 0,68 à 0,93 (moyenne 0,83) pour l’anxiété, et de 0,67 à 0,90 (moyenne 0,82) pour la dépression. La fiabilité test-retest est bonne comme en témoigne la corrélation entre les scores à deux semaines d’intervalle qui est de 0,80. Un score global est calculé en faisant la somme des réponses aux 14 éléments (varie de 0 à 42) ainsi que deux sous-scores correspondant aux dimensions d’anxiété et de dépression (0 à 21). Plus les scores sont élevés, plus la symptomatologie est sévère. Pour les deux dimensions, un score se trouvant entre huit et dix indique la présence de troubles anxieux ou dépressifs avérés.
Variables de contrôle
Les variables telles que l’âge, le genre, le niveau d’études, la situation professionnelle et le type et la fréquence de jeu dans les douze derniers mois et à vie (liste des différents jeux mentionnés au début du questionnaire SOGS) (Lesieur et Blume, 1987) ont été contrôlées afin de dresser un portrait sociodémographique des participants. Ces variables ont également été incluses en covariables dans les différentes analyses statistiques.
Résultats
Les statistiques ont été réalisées à l’aide du logiciel SPSS 19. Dans un premier temps, les statistiques effectuées étaient descriptives. Dans un deuxième temps, les joueurs hors ligne ont été comparés avec les joueurs mixtes grâce à des T de Student ou des Chi². Dans un troisième temps, des régressions linéaires ont été réalisées afin de mettre en évidence les variables qui avaient le plus de poids sur le jeu pathologique.
Concernant l’échantillon total, 285 personnes ne présentent pas de problème de jeu (46,9 %), 141 personnes sont à faible risque (23,2 %), 119 sont à risque modéré (19,6 %) et 55 ont des problèmes de jeu (9 %). Au vu de ces chiffres élevés, nous rappelons que le recrutement s’est fait dans des lieux de jeux. Enfin, 18 personnes disent être surendettées (3 %). Les achats de billets de loterie (44,7 %) et les machines à sous (45,7 %) sont les jeux les plus pratiqués hors ligne dans les douze derniers mois. Selon les critères de l’AUDIT-C, 191 personnes auraient des problèmes liés à l’alcool (31,5 %). Seules 32 personnes (5,3 %) seraient considérées comme anxieuses selon l’HAD et 17 (2,8 %) présenteraient des symptômes de dépression.
Afin de comparer les joueurs hors ligne et les joueurs mixtes selon des variables qualitatives (genre, statut, catégorie socioprofessionnelle [CSP], JHA ou JAI pratiqués), nous avons effectué des Chi². Il apparaît que les joueurs hors ligne et mixtes n’ont pas le même profil sociodémographique. Les joueurs du premier groupe sont retraités (45 %) ou en activité professionnelle (45 %). En ce qui concerne les joueurs mixtes, ils sont majoritairement en activité (52,4 %) contre 27 % de retraités et 9 % sont étudiants. La différence des CSP est significative entre les joueurs hors ligne et mixtes, X² (8, N = 285) = 43,98 ; p < 0,001. Si la majeure partie des joueurs hors ligne sont des femmes (47,8 % contre 28,4 %), nous remarquons pour les JAI un équilibre selon le genre (12,8 % de femmes, contre 11 % des hommes).
Il existe également des différences significatives entre les joueurs hors ligne et les joueurs mixtes au niveau de différents types de jeux pratiqués. En ce qui concerne les types de jeux réalisés au cours de la vie, les joueurs mixtes se retrouvent significativement plus dans les cercles privés² (2, x² (2, N = 285) = 33,50 ; p < 0,001) et se consacrent significativement plus à des jeux de cartes pour de l’argent²x² (2, N = 285) = 35,80 ; p < 0,001). En revanche, ces joueurs mixtes jouent significativement moins que les joueurs hors ligne aux jeux de loteries instantanées et au bingo² (2, x² (2,N = 285) = 9,69 ; p = 0,008). Les données sont présentées dans le tableau 1.
Des T de Student ont été également effectués pour comparer les joueurs mixtes et hors ligne selon des variables quantitatives (âge, âge du début de jeu en bourse, score de l’ICJE, anxiété, dépression, consommation de l’alcool, biais d’interprétation, illusion de contrôle, contrôle prédictif, attentes liées aux jeux, incapacité d’arrêter et confiance en soi). Ces analyses mettent en évidence des profils différents comme le montre le tableau 1. Les joueurs mixtes sont plus jeunes, ils ont commencé plus tôt à jouer aux JHA gratuits, ont des scores à l’ICJE plus élevés et sont plus anxieux. Ils consomment significativement plus d’alcool, présentent un score au contrôle prédictif plus élevé, des attentes liées aux jeux légèrement plus importantes ainsi qu’une incapacité perçue de s’arrêter.
Des corrélations (tableau 2) ont permis d’analyser le rapport entre les variables quantitatives. Le jeu pathologique mesuré à travers l’ICJE est corrélé de façon positive avec l’anxiété, la dépression et l’ensemble des dimensions de l’échelle de croyances erronées. En revanche, des corrélations significatives et négatives entre l’ICJE et la confiance que les joueurs témoignent en leur capacité d’arrêter de jouer sont à noter.
Les régressions linéaires ont permis d’identifier les variables qui avaient le plus de poids sur les conduites problématiques de jeu selon l’ICJE.
La première série de régressions a été réalisée en considérant l’échantillon total (tableau 3), puis on a différencié dans une autre analyse les joueurs mixtes et les joueurs hors ligne. Le tableau 3 permet de constater, lorsque les variables genre, âge, nombre d’enfants, état civil, dépression, anxiété, distorsions cognitives et confiance sont ajustées, que les variables ayant le poids significatif le plus important sur l’ICJE sont la confiance en sa capacité d’arrêter de jouer (plus le score à l’ICJE est haut, moins les joueurs ont confiance en leur capacité d’arrêter), les distorsions cognitives (notamment l’incapacité perçue d’arrêter de jouer). Nous notons une tendance en ce qui concerne le genre. En effet, les femmes de cette étude sont plus à risque de développer des problèmes de jeu. Les distorsions cognitives liées aux biais d’interprétation et à l’illusion de contrôle peuvent aussi expliquer une partie du score de l’ICJE. Ce premier modèle rend compte de 29,2 % de la variance du score de l’ICJE.
Le deuxième modèle de régression qui concernait uniquement les joueurs mixtes explique, quant à lui, 25,4 % de la variance de l’ICJE ; les variables confiance en soi et les distorsions cognitives comme l’incapacité de s’arrêter ont les poids les plus importants dans l’explication de la variance de ce score (confiance en soi : ß = -0,031 ; p = 0,006 ; incapacité de s’arrêter, ß = 0,22 ; p = 0,006). Les biais d’interprétation ont aussi une importance dans l’explication du score de l’ICJE, mais -relative (p = 0.07).
En ce qui concerne les joueurs hors ligne, le modèle explique 43,1 % de la variance. Les mêmes variables expliquent un score élevé à l’ICJE (confiance en soi : ß = -0,13 ; p= 0,002 ; incapacité de s’arrêter, ß = 0,20 ; p = 0,000 ; illusion de contrôle, ß = -0,12 ; p = 0,022).
Discussion
Au niveau des joueurs
L’objectif de cet article est de comparer les joueurs hors ligne et mixtes afin de mettre en évidence leurs spécificités et leurs points communs. Il semble en effet que, si la littérature souligne des points communs qui permettent de proposer de grandes lignes de prévention à tous, des spécificités existeraient aussi pour les différents types de joueurs (hors ligne, mixtes) qui demanderaient ainsi une prise en charge plus adaptée.
En ce qui concerne les variables sociodémographiques, il s’avère que les joueurs hors ligne et mixtes ont un statut socioprofessionnel et un nombre d’enfants similaires. Dans cette étude, les joueurs mixtes vivent en couple (mariées ou en concubinage) tout comme le sont dans des proportions similaires les joueurs hors ligne. Ces résultats sont en partie conformes à ceux trouvés par Gainsbury et al. (2012). Ces auteurs montrent que les joueurs mixtes ont tendance à être mariés, tandis que les joueurs hors ligne seraient divorcés, séparés ou jamais mariés. La proportion des joueurs mixtes vivant en couple est élevée, mais cela est peut-être une conséquence de notre recrutement. Un résultat similaire est retrouvé dans l’étude de Barrault et Varescon (2012). Ces dernières chercheuses mettent en évidence, chez les joueurs de poker en ligne et hors ligne, des données sociodémographiques comparables. Nous pouvons imaginer que les différents types de joueurs ont certaines caractéristiques communes, ce qui permettrait de proposer de grandes lignes de prévention pour tous. En revanche, les joueurs hors ligne, dans notre étude, sont significativement plus âgés que les joueurs mixtes. Ce résultat diffère des résultats de la littérature (Barrault et Varescon, 2013 ; Gainsbury et al., 2012) qui ne trouvent pas de différences significatives entre les joueurs en ligne et hors ligne. Ce résultat peut être imputé à différents facteurs : 1) le recrutement des joueurs s’est fait dans des casinos, hippodromes et ces derniers jouaient à divers jeux non uniquement au poker ; 2) ce recrutement n’a pas été réalisé en ligne. Les joueurs de l’étude de Gainsbury et al. (2012) sont nettement plus jeunes que notre échantillon (29,72 ans contre 53 ans). Cela pourrait traduire un problème générationnel. En effet, les personnes plus âgées, même si elles peuvent avoir accès à Internet, sont peut-être moins habituées à son utilisation. De fait, elles auront plus tendance à continuer à fréquenter les casinos ou les autres lieux de jeu réels. Enfin, l’échantillon de cette étude est composé majoritairement de femmes ; cela pourrait s’expliquer par une plus grande sensibilité des femmes à remplir les questionnaires et accepter de participer à une telle étude. Ce résultat est contraire à la littérature où les échantillons sont majoritairement masculins. Afifi et al. (2010) suggèrent qu’une plus grande participation des femmes aux jeux pourrait être due à la disponibilité de plus en plus grande des formes légales de jeux et, notamment, ceux sur Internet. Dans cette étude, comme le recrutement du jeu hors ligne s’est fait essentiellement dans des casinos, ceci peut justifier la surreprésentation des femmes qui jouent aux machines à sous.
Au niveau du jeu
Les joueurs hors ligne jouent significativement moins en ce qui a trait au volume et au type de jeux que les joueurs de JAI. Cela pourrait s’expliquer par une offre de jeu plus importante sur Internet, mais également par les contraintes horaires inexistantes, puisque l’accès aux JAI est libre, et ce, à n’importe quelle heure de la nuit ou de la journée. Ce résultat est conforme aux travaux de Monaghan et Derevensky (2008) qui mettent l’accent sur le caractère intemporel d’Internet qui entraîne des temps de jeu de plus en plus importants. Nous notons également, tout comme le proposaient Ladd et Petry (2002), que les joueurs hors ligne présentent significativement moins de problèmes de jeu que les joueurs de JAI. Ceci pourrait être en lien avec l’accessibilité qui existe dans le jeu sur Internet. Les personnes pouvant jouer où elles veulent, comme elles le veulent, sans se déplacer, sans restriction horaire, il semble qu’il y ait moins de garde-fous. Ce résultat est conforme aux travaux de Bonnaire (2011) ainsi que de Ladd et Petry (2002) qui soulignent le potentiel de dépendance des JAI. Ceci pourrait être en lien avec le fait que les joueurs hors ligne sont significativement moins anxieux que les joueurs de JAI. Des études complémentaires sont nécessaires pour mettre en évidence ce possible lien.
En ce qui concerne les distorsions cognitives, la prédiction de résultats est significativement moins importante chez les joueurs hors ligne que chez les joueurs mixtes. Cela pourrait être attribuable au fait que, sur l’ordinateur, les personnes auraient tendance à croire qu’ils contrôlent plus la situation que dans un lieu de jeu. Les scores des attentes liées au jeu et à l’ICJE sont moins importants chez les joueurs hors ligne ; cette différence n’est cependant pas significative. De plus, les joueurs hors ligne se pensent plus capables de s’arrêter de jouer que les joueurs mixtes. Une corrélation significative et positive entre l’ensemble des distorsions cognitives et le score à l’ICJE est à noter. Concrètement, plus un joueur est à risque, plus il fait preuve de distorsions cognitives. Ce résultat est conforme aux résultats de la littérature (pour une revue : Barrault et Varescon, 2012). L’étude montre qu’en situation de JAI ou JHA, le joueur présente de nombreuses croyances liées au jeu. La différence majeure entre les joueurs hors ligne et mixtes, au niveau de ces distorsions, concerne surtout le contrôle prédictif. Ainsi, les joueurs mixtes ont davantage tendance à penser qu’un gain est probable et, de ce fait, leurs croyances sont basées essentiellement sur l’intuition, les pressentiments ou les présages. Ainsi, les joueurs mixtes pensent probablement plus contrôler ce qui se passe autour d’eux et les événements liés au JAI. Les régressions linéaires mettent en évidence le rôle de ces croyances dans le jeu problématique tant chez les joueurs hors ligne que chez les joueurs mixtes. Ces résultats sont conformes aux résultats de la littérature (Barrault et Varescon, 2012). En effet, de nombreuses études montrent l’importance de ces croyances erronées chez les joueurs de JHA. Ainsi, pour Maccallum et al. (2007), les cognitions erronées ou les pensées irrationnelles, telles que l’illusion de contrôle et le contrôle prédictif, ont également été observées chez les joueurs pathologiques, celles-ci contribuant à augmenter la durée des séances de jeu et leur intensité. Des études vont dans le sens de ces résultats et prouvent que l’illusion de contrôle a une place centrale dans la dépendance aux JHA (Joukhador, Blaszczynski & Maccallum, 2004 ; Delfabro et al., 2000).
Dans l’étude, nous constatons cette tendance de l’illusion de contrôle dans l’explication de la variance de l’ICJE, tant chez les joueurs hors ligne que mixtes. Par ailleurs, les résultats permettent de démontrer le rôle de l’incapacité perçue de s’arrêter de jouer comme le montrent Raylu et Oei (2004). Cette relation se confirme avec la place importante de la confiance en soi dans cette explication de la variance. De fait, plus un joueur est à risque de développer des problèmes de jeu, plus il se perçoit comme étant incapable de s’arrêter de jouer, et moins il a confiance en sa capacité de s’arrêter. Cependant, ce manque de confiance serait relativement similaire chez les joueurs hors ligne et mixtes. Il n’existe pas de différence en ce qui concerne la confiance en soi pour l’arrêt du jeu entre ces deux groupes. Ce résultat pourrait signifier que, quelle que soit la modalité de jeu (hors ligne ou mixte), plus le joueur a un comportement problématique avec le jeu, moins il a confiance en sa capacité d’arrêter de jouer.
Ce travail comporte des limites inhérentes : 1) à la taille de l’échantillon ; 2) aux refus probables de personnes étant à risque ou problématiques qui n’ont pas voulu perdre du temps ou qui étaient en colère après avoir perdu au jeu. La recherche comporte des données d’auto-évaluation sans possibilité de comparer avec des données d’hétéroévaluation et 3) il s’agit d’une enquête longue ; ceci aurait pu induire de la fatigue, un manque de concentration, et explique un taux de décrochage important à partir du dernier tiers du questionnaire (15 %).
Perspectives
Ce travail est à poursuivre et à développer en comparant les joueurs hors ligne, mixtes et uniquement en ligne. Le pourcentage de la variance expliquée laisse à penser que des variables de personnalité et de trajectoires des joueurs sont à prendre en considération. Parmi les pistes de prévention et dans la ligne de l’ARJEL (2014), il est nécessaire de considérer des modérateurs de temps et des modérateurs de l’argent (comme des obligations de pauses, la possibilité de passer du temps avant de valider une mise, l’existence d’encouragements, ou pas, à jouer après des pauses, etc.). Le travail de prévention et les interventions thérapeutiques avec les joueurs devront tenir compte de dimensions comme le sentiment d’efficacité dans l’arrêt du comportement. En effet, la perception de la capacité à réaliser un comportement est nécessaire pour amorcer un changement. Il semble pertinent de proposer un travail d’information sur les JHA/JAI, mais également sur les distorsions cognitives qui semblent être déterminantes dans le maintien du jeu problématique.
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Notes
[1] ^Le livre vert sur les jeux d’argent et de hasard en ligne dans le marché intérieur est publié par la Commission européenne. Il offre un éventail d’idées dans le but de lancer, à l’échelle européenne, une consultation et un débat sur les JAI.
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