ROBERT LADOUCEUR, PATRICIA-MAUDE FOURNIER, SOPHIE LAFOND, ANNIE GOULET, HÉLÈNE SIMONEAU, SERGE SÉVIGNY, ISABELLE GIROUX /
Robert Ladouceur, Ph.D., professeur émérite, École de psychologie, Université Laval

Patricia-Maude Fournier, M.Ps., psychologue, École de psychologie, Université Laval

Sophie Lafond, t.s., travailleuse sociale, École de psychologie, Université Laval

Annie Goulet, Ph.D., professionnelle de recherche, École de psychologie, Université Laval

Hélène Simoneau, Ph.D., chercheuse, CRD de Montréal – Institut universitaire

Serge Sévigny, Ph.D., professeur agrégé, Faculté des sciences de l’éducation, Université Laval

Isabelle Giroux, Ph.D., professeure agrégée, École de psychologie, Université Laval

Correspondance :
Robert Ladouceur, École de psychologie
2325, allée des Bibliothèques
PAV-FAS, Université Laval
Québec (Qc), Canada
G1V 0A6
Courriel : robert.ladouceur@psy.ulaval.ca

Cette étude a été réalisée à l’aide d’une subvention de recherche attribuée par le Fonds de recherche du Québec – Société et culture

Résumé

JEu me questionne est le premier programme québécois d’intervention semi-autonome conçu pour venir en aide aux joueurs désirant exercer un meilleur contrôle sur leurs habitudes de jeu. Ce programme pourrait être offert dans les centres de santé et de services sociaux (CSSS), l’une des portes d’entrée pour les demandes de services en jeu problématique. Plusieurs CSSS du Québec qui offrent des services de première ligne à une clientèle variée intègrent déjà à leur offre de service un programme d’autotraitement pour les problèmes de consommation d’alcool. Un programme tel JEu me questionne correspond-il à un besoin et à un intérêt pour les CSSS ? L’étude vise à documenter la situation actuelle des services offerts en CSSS en matière de jeu et à vérifier la perception des administrateurs et des intervenants des CSSS à l’égard d’une éventuelle offre de ce programme dans leur milieu. Quatre-vingt-deux intervenants et seize administrateurs recrutés dans neuf CSSS du Québec ont rempli un questionnaire élaboré pour les besoins de l’étude. Les résultats montrent que près de 70 % des CSSS n’offrent pas de services d’intervention précoce pour les problèmes de jeu, redirigeant plutôt les demandeurs vers des ressources spécialisées. La majorité des répondants (65 %) affiche un intérêt pour offrir ce programme dans leur établissement et perçoit qu’il répondrait à un besoin des usagers. Pour réaliser cette offre, les répondants soulèvent l’importance d’une formation adéquate, la présence de ressources en quantité suffisante, la concertation des milieux cliniques et la promotion du service. Le manque de temps et de ressources humaines et financières représente le principal obstacle. Des solutions à ces contraintes sont discutées, dont la gestion centralisée de ce programme pour un meilleur accès aux joueurs.

Mots-clés : centre de santé et de services sociaux, problèmes de jeu, offre de services, autotraitement

JEu me questionne: a program desired by the health and social service centres in Quebec?

Abstract

JEu me questionne is the first semiautonomous intervention program in Quebec designed to help gamblers that wish to exercise greater control over their gambling habits. This program might be offered in the Centres de santé et de services sociaux (CSSS), one of the front door resources for service demands concerning pathological gambling. Many CSSS in Quebec that offer frontline services to a diverse clientele incorporate a self-care program for alcohol consumption problem to their services. Does a program such as JEu me questionne is perceived as need and interest for CSSS? This study aims to document the services currently offered in CSSS, to verify the needs of CSSS for an eventual offer of the program and to identify facilitating factors and obstacles to this service. Eighty-two stakeholders and 16 administrators recruited in 9 CSSS in Quebec completed a questionnaire developed for the purpose of this study. Results show that nearly 70 % of CSSS do not offer early intervention services for problem gambling, rather referring applicants to specialized resources. The majority of respondents (65 %) shows an interest in providing this program and perceives that it may meet users’ requirements. This new service would require the importance of adequate training, a sufficient quantity of resources, consultation with clinical environments and promotion of the service. Lack in time and in human and financial resources represents the main obstacles. Solutions to these constraints are discussed, including the centralized management of the program. This could foster a better access to gamblers before the occurrence of more serious gambling-related problems.

Key words: centre de santé et de services sociaux, problem gambling, service offer, self-treatment

« JEu me questionne »: ¿un programa deseado por los CSSS de Quebec?

Resumen

JEu me questionne es el primer programa quebequense de intervención semi autónoma para ayudar a los jugadores que desean ejercer un mejor control sobre sus hábitos de juego. Este programa podría ofrecerse en los centros de salud y de servicios sociales (CSSS), una de las puertas de entrada para los servicios de juego problemático. Muchos CSSS de Quebec que brindan servicios de primera línea a una clientela variada integran ya en su oferta de prestaciones un programa de auto tratamiento para los problemas de consumo de alcohol. ¿Corresponde un programa como JEu me questione a una necesidad y a un interés de los CSSS? El estudio apunta a documentar la situación actual de los servicios ofrecidos por los CSSS en materia de juego y a verificar la percepción de los administradores y de los agentes de los CSSS con respecto a una eventual oferta de este programa en su medio. Ochenta y dos agentes y dieciséis administradores reclutados en nueve CSSS de Quebec completaron un cuestionario elaborado según las necesidades del estudio. Los resultados indican que alrededor del 70% de los CSSS no ofrecen servicios de intervención precoz para problemas de juego y redirigen en cambio a los demandantes hacia recursos especializados. La mayoría de los encuestados (65%) muestra interés en ofrecer este programa en su establecimiento y considera que respondería a una necesidad de los usuarios. Para poder concretar esta oferta, los encuestados destacan la importancia de una formación adecuada, de la presencia de recursos en cantidad suficiente, de la concertación de los medios clínicos y de la promoción del servicio. La falta de tiempo y de recursos humanos y financieros constituye el principal obstáculo para instaurar el programa. Se analizan soluciones a estas dificultades, entre ellas la gestión centralizada del programa para lograr un mejor acceso a los jugadores.

Palabras clave: centro de salud y servicios sociales; problemas de juego, oferta de servicios, auto tratamiento.

Parmi les personnes qui participent à des jeux de hasard et d’argent, certaines développent un problème de jeu pathologique (American Psychiatric Association [APA], 2003). D’autres éprouvent des problèmes sans pour autant présenter les critères nécessaires pour ce diagnostic. Ces personnes sont qualifiées de joueurs « à risque » et représentent approximativement 1,3 % de la population québécoise, alors que le taux de joueurs pathologiques probables s’élève à 0,7 % (Kairouz & Nadeau, 2010). Les habitudes de jeu des joueurs à risque peuvent s’intensifier et causer de graves problèmes personnels, sociaux et financiers, d’où l’importance de leur offrir de l’aide avant l’aggravation des problèmes.

Outre les coûts sociaux associés à l’utilisation des services de santé et du système judiciaire (Henricksson & Lipsey, 1998 ; Ladouceur, Boisvert, Pépin, Loranger & Sylvain, 1994), les problèmes de jeu sont associés à des problèmes émotionnels et physiques (Black, Moyer & Schlosser, 2003), à la dégradation des relations conjugales (Tepperman, Korn & Lynn, 2006), aux séparations et divorces (Shaw, Forbush, Schlinder, Rosenman & Black, 2007), aux problèmes financiers (Kalishuk, Nowatzki, Cardwell, Klein & Solowoniuk, 2006) et aux tentatives de suicide (Lesieur, 1998).

Au Québec, des services sont disponibles pour aider les joueurs à surmonter leurs problèmes (Audet et al., 2003 ; Desrosiers & Jacques, 2009). Ces joueurs s’adresseront aux centres de réadaptation (traitements publics et gratuits) ou aux maisons de thérapie certifiées (traitements privés et payants). Les joueurs qui désirent recevoir de l’aide sont généralement dirigés par les lignes d’aide téléphoniques, les CSSS (mission Centre local de services communautaires [CLSC])[1] ou encore par les médecins de famille. Les services déployés aux joueurs dans les centres de réadaptation au Québec sont généralement offerts à l’externe, mais certains offrent l’hébergement. Dans les centres de réadaptation, les joueurs sont traités à l’intérieur du programme Dépendances, souvent de façon indifférenciée de l’alcoolisme et des toxicomanies. Dans les maisons de thérapie, la durée des services est variable, mais l’hébergement dure habituellement trois à quatre semaines. Que les services s’offrent en centre de réadaptation ou en maison de thérapie, l’approche cognitive–comportementale jumelée à des services sur la gestion des finances et à l’approche motivationnelle représente la norme. D’ailleurs, les traitements validés empiriquement reposent principalement sur cette approche qui demeure le standard dans le traitement des joueurs pathologiques (Pallesen, Mitsem, Kvale, Johnses & Molde, 2005).

Cependant, une donnée partagée par la plupart des spécialistes œuvrant dans le domaine du jeu indique que seulement 3 % des joueurs souffrant d’un problème de jeu entreprennent un traitement formel (Raylu & Oei, 2002 ; Suurvali, Hodgins, Toneatto & Cunningham, 2008). Les joueurs évoquent plusieurs raisons pour justifier ce fait, dont le désir de régler leur problème par eux-mêmes, la gêne et l’embarras, la peur des préjugés et les coûts élevés (Hodgins & el-Guebaly, 2000 ; Rockloff & Shoffield, 2004). De plus, parmi les joueurs qui amorcent une intervention, entre 30 % et 50 % abandonnent prématurément le traitement (Ladouceur et al., 2004 ; Melville, Casey & Kavanagh, 2007).

Dans un contexte différent, soulignons qu’il existe peu d’interventions destinées aux joueurs problématiques ou « à risque », c’est-à-dire aux personnes qui éprouvent des difficultés avec les jeux de hasard et d’argent, mais qui ne rencontrent pas les critères d’un diagnostic formel de jeu pathologique ou de trouble de jeu selon le DSM-5 (APA, 2013). Mais, cette distinction soulève beaucoup de confusion et d’ambiguïté. En effet, plusieurs termes ont été utilisés pour faire référence au degré de difficulté des gens qui s’adonnent aux jeux de hasard et d’argent. Le South Oaks Gambling Screen (SOGS ; Lesieur et Blume, 1987), instrument de dépistage des problèmes de jeu, classe les joueurs selon le nombre de critères endossés par ces derniers. Sur un total de 20 critères, les gens qui en endossent de 0 à 3 reçoivent l’étiquette de joueurs sans problème, ceux endossant 3 ou 4 critères reçoivent celle de « joueurs à risque » et ceux en cumulant 5 et plus sont classés « joueurs pathologiques probables ». Les études n’ont jamais validé le bien-fondé de l’étiquette « joueur à risque » et, surtout, n’ont jamais clairement établi qu’un joueur à risque s’achemine progressivement et chroniquement vers la catégorie « joueur pathologique ». Pour les spécialistes, cette catégorie a suscité de nombreuses controverses tant au niveau théorique que clinique. Cette confusion devient encore plus répandue parmi le grand public. Afin d’éviter de susciter cette ambigüité dans la présente étude, nous utilisons le terme « joueur problématique » pour faire référence aux personnes qui s’adonnent aux jeux de hasard et d’argent et qui éprouvent des difficultés ou des conséquences négatives à la suite de cette pratique. Nous limiterons le libellé « joueur pathologique » pour les personnes qui satisfont les critères du DSM.

Pour ce faire, l’utilisation d’une formule de traitement autodidacte, par l’intermédiaire d’un manuel d’autotraitement, pourrait augmenter la demande d’aide et réduire les abandons en cours de traitement. Un programme d’autotraitement, à l’aide d’un manuel ou d’un site Internet, a déjà fait ses preuves pour diminuer ou cesser la consommation d’alcool (Apodaca & Miller, 2003 ; Marlatt et al., 1998). Notamment, le programme Alcochoix+, créé au Québec (Simoneau, Landry & Tremblay, 2004), est reconnu comme apportant des gains thérapeutiques aux personnes souhaitant réduire ou cesser leur consommation d’alcool. La majorité des CSSS intègrent d’ailleurs ce programme à leur offre de services.

En ce qui a trait spécifiquement aux problèmes de jeu, plusieurs travaux montrent que des interventions basées sur des manuels d’autotraitement, accompagnées d’un minimum d’interactions avec un thérapeute, permettent la réduction des comportements de jeu (Raylu, Oei & Loo, 2008). Dickerson, Hinchy et England (1990) ont mené une première étude publiée en 1990 auprès de 29 joueurs participant au jeu au moins une fois par semaine et qui considéraient trop jouer, révélant une diminution des habitudes de jeu, c’est-à-dire la fréquence des séances de jeu et des pertes de contrôle et le montant d’argent hebdomadaire misé, tant pour ceux ne recevant qu’un manuel que ceux recevant, en plus, des interventions motivationnelles. Deux études canadiennes ont aussi souligné l’efficacité d’une intervention basée sur l’utilisation d’un manuel d’autotraitement chez des joueurs à risque (Robson, Edwards, Smith & Colman, 2002) et pathologiques (Hodgins, Currie & el-Guebaly, 2001). Hodgins, Currie, Currie et Fick (2009) ont évalué l’efficacité de manuels d’autotraitement d’orientation cognitive-comportementale jumelés à des interventions motivationnelles auprès de 314 joueurs pathologiques répartis en un groupe contrôle et trois groupes expérimentaux : (1) manuel d’autotraitement uniquement, (2) entrevue téléphonique motivationnelle combinée au manuel, (3) entrevue téléphonique motivationnelle combinée au manuel et à six entretiens de support. Les résultats mettent en évidence l’efficacité à court et à moyen terme (suivi six mois) de ces interventions, comparativement au groupe contrôle, sur la diminution des habitudes de jeu et des critères diagnostiques du jeu pathologique satisfaits (Hodgins et al., 2009).

Programme de traitement semi-autonome JEu me questionne

JEu me questionne consiste en un programme de traitement semi-autonome destiné aux joueurs québécois et élaboré par Ladouceur et coll. (2010). Ce programme s’inspire notamment des programmes suivant une approche cognitive-comportementale dont l’efficacité a été éprouvée, tels Gambling Decisions: An Early Intervention Program for Problem Gamblers (Robson et al., 2002), Becoming a winner: Defeating problem gambling (Hodgins & Makarchuk, 1997), Alcochoix+ (Simoneau et al., 2004, ainsi que du Programme d’évaluation et de traitement des joueurs excessifs (Ladouceur, Boutin, Doucet, Lachance & Sylvain, 2000).

Le programme de traitement JEu me questionne s’inscrit dans une visée d’intervention précoce et offre une formule semi-autonome d’une durée variant de 8 à 12 semaines. Cette formule offre la possibilité aux joueurs de cheminer à leur propre rythme à l’aide d’exercices, de réflexions, de textes informatifs sur le jeu et sur les pièges associés et de grilles d’autonotation des activités de jeu. Il s’accompagne également de deux entrevues téléphoniques de type motivationnel avec un intervenant. Ce programme propose aux joueurs deux options principales : l’abstinence ou le jeu contrôlé. Le jeu contrôlé signifie que la personne détermine et respecte des limites de temps, d’argent et de fréquence de jeu qui sont raisonnables pour elle.

Avant d’offrir le traitement semi-autonome JEu me questionne dans le réseau québécois, il serait utile de colliger les opinions de deux catégories d’employés œuvrant en CSSS, soient les administrateurs, qui ont des responsabilités de gestion et un pouvoir décisionnel, et les intervenants, qui sont en contact direct avec la clientèle. Les intervenants et les administrateurs des CSSS sont-ils intéressés à offrir un programme tel JEu me questionne ? Ce programme correspond-il à un besoin ? Notons que la présente étude ne vise pas à discuter ou à préciser un modèle qui mettrait en exergue les différentes variables associées au processus d’implantation du programme JEu me questionne. Ce travail a comme objectif principal de préciser la perception des administrateurs et des intervenants œuvrant en CSSS envers la possibilité d’offrir ce programme dans leur milieu.

Ce travail poursuit trois objectifs, à savoir : (1) documenter la situation actuelle des services offerts en CSSS en matière de jeu problématique, (2) préciser la perception des administrateurs et des intervenants de ce milieu en regard à la possibilité d’offrir JEu me questionne et (3) identifier les facteurs facilitant l’intégration du programme et les obstacles potentiels.

Compte tenu du caractère descriptif des informations recueillies, aucune hypothèse de recherche n’est avancée.

Méthodologie

Participants

Vingt et un CSSS de la province de Québec aux profils variés en matière de milieu socioéconomique (favorisé, neutre ou défavorisé) et de région d’appartenance (éloignée, rurale ou urbaine) ont été approchés pour participer à l’étude. Neuf CSSS n’ont pas donné suite à la demande malgré plusieurs relances, alors que trois ont refusé de participer au projet évoquant un refus stratégique, une réorganisation interne complète de l’établissement ou un manque d’intérêt lié au faible nombre de demandes de service pour des problèmes de jeu. Neuf CSSS (9/21, soit 43 %) offrant des services d’intervention de première ligne de la province de Québec ont accepté de participer à l’étude. Des neuf CSSS, quatre sont situés en région éloignée, deux en région rurale et trois en région urbaine. De ces neuf CSSS, 82 intervenants et 16 administrateurs composent l’échantillon final.

Caractéristiques sociodémographiques des participants. L’échantillon se compose majoritairement de femmes (82 % des intervenants et 56,3 % des administrateurs). Plus de la moitié des participants sont âgés de 41 ans ou plus (50 % des intervenants et 69 % des administrateurs).

La majorité des participants détient un diplôme universitaire de baccalauréat, de maîtrise ou de doctorat (88 % des intervenants et 93,8 % des administrateurs). Parmi les intervenants ayant précisé leur domaine d’études (n = 74), 65 % possèdent une formation en travail social, 16 % en psychologie et 9 % en soins infirmiers. Des neuf administrateurs ayant précisé leur domaine d’études, cinq sont formés en travail social, un en psychologie, un dans le domaine infirmier et deux en gestion.

La majorité des participants occupent un poste à temps complet (90 % des intervenants et 93,8 % des administrateurs). Le nombre d’années d’expérience de travail acquises dans un CSSS varie de 1 mois à 32 ans (Mdn = 8 ans) pour les intervenants (n = 82) et s’élève en moyenne à 12 ans (ÉT = 10,0 ; Mdn = 2,9 ans) pour les administrateurs, mais onze d’entre eux (68,8 %) avaient déjà occupé d’autres fonctions en CSSS avant l’obtention de leur poste actuel.

Instruments de mesure

Évaluation des besoins du milieu et des conditions pour offrir le programme. Ce questionnaire[2] a été élaboré pour les besoins de cette étude en deux versions : intervenants (26 questions) et administrateurs (24 questions). Les questions se répondent à l’aide de choix multiples et de courts développements et se regroupent en fonction des thèmes suivants : (1) services offerts par le CSSS en matière de jeu problématique (p. ex. : références à d’autres services, prise en charge et outils d’intervention utilisés), (2) nombre de joueurs problématiques traités, (3) intérêt à offrir des services aux joueurs comme JEu me questionne et besoins comblés par ce programme, (4) conditions pour offrir le programme (p. ex. : personnes responsables, temps et budget disponibles pour la gestion et l’intervention) et (5) obstacles potentiels. Les dernières questions visent l’obtention de renseignements sociodémographiques, tels le sexe et l’âge, le niveau de scolarité et l’occupation principale actuelle. La version du questionnaire pour les administrateurs ne comprend pas les questions ciblant les outils d’intervention utilisés et la connaissance du jeu pathologique, mais interroge les administrateurs sur le temps nécessaire à la gestion du programme et sur le budget annuel qui devrait y être consacré.

Procédure

Vingt et un CSSS répondant à l’indice de défavorisation par secteur de CSSS (Pampalon & Raymond, 2000) ont été sollicités par téléphone pour participer à l’étude. La définition des milieux socio-économiques utilisée relève de l’indice de défavorisation de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ ; voir Pampalon & Raymond, 2000) mis à jour en fonction des données du recensement de 2006 de Statistique Canada (R. Pampalon, communication personnelle, 15 avril 2009). Cet indice intègre des composantes matérielles (scolarité, revenu, emploi) et sociales (structure familiale, état matrimonial), alors que la définition du type de région repose sur la classification des secteurs statistiques de Statistique Canada (voir du Plessis, Beshiri, Bollman & Clemenson, 2001) selon les données du recensement de 2006 (Statistique Canada, 2007). Pour chaque région représentée, au moins un CSSS devait provenir d’un milieu relativement favorisé et un autre d’un milieu relativement défavorisé.

Afin de favoriser la collaboration des CSSS, l’appui de l’Association québécoise d’établissements de santé et de services sociaux (AQESSS) a été obtenu. Pour chacun des CSSS sollicités, les personnes responsables du secteur Intervention, tels les directeurs de programme, les chefs de service ou les coordonnateurs cliniques, ont d’abord été jointes pour leur soumettre un résumé du projet. Les responsables de deux CSSS ont redirigé la demande de participation vers le comité d’éthique de leur établissement. La description du programme fournie aux participants se lisait comme suit :

«JEu me questionne » est basé sur une approche cognitive et comportementale adaptée à la problématique du jeu pathologique. L’objectif de ce programme est d’aider l’individu à modifier ses habitudes de jeu afin que celles-ci n’occasionnent plus de conséquences négatives dans sa vie. Le programme utilise un manuel d’autotraitement de 143 pages permettant au joueur de progresser selon son rythme, soit durant environ 6 semaines. Cette formule semi-autonome s’accompagne de deux entrevues téléphoniques (avec un intervenant) de type motivationnel afin de soutenir la personne dans son processus de changement.

Le manuel JEu me questionne se divise en cinq phases. La phase 1 comprend des exercices qui visent à aider l’individu à situer la place du jeu dans sa vie et à faire ressortir l’ambivalence quant à sa décision de changer. La phase 2 amène le joueur à cibler les situations à risque qui lui donnent envie de jouer et différentes stratégies comportementales pour faire face à ces situations.

Dans la phase 3, le joueur fixe ses objectifs de réduction de ses habitudes de jeu et commence à mettre en pratique les stratégies proposées. De plus, il identifie les pièges reliés aux jeux de hasard et d’argent.

La phase 4 vise à relever les succès et les difficultés qui ressortent de la mise en application des nouvelles stratégies en ce qui concerne la réduction et le contrôle des habitudes de jeu. Cette phase permet aussi la prise de conscience des pensées automatiques présentes chez le joueur et de l’impact de celles-ci sur ses habitudes de jeu.

Finalement, la phase 5 concerne la consolidation des acquis concernant les stratégies qui aideront à maintenir les nouvelles habitudes de jeu et à prévenir la rechute.

Le manuel du participant JEu me questionne comprend des exercices simples, des lectures ainsi que des suggestions fournies en annexes. Le participant trouvera, entre autres, en annexes des suggestions de lecture, une grille budgétaire, des méthodes de relaxation et des mesures en cas de rechute. Il est à noter que le manuel est convivial et attrayant pour l’utilisateur.

N’hésitez pas à nous contacter si vous souhaitez avoir plus d’information sur le programme JEu me questionne afin de répondre au questionnaire ci-joint. »

Après avoir donné l’accord pour participer à l’étude, la personne responsable suggérait une liste d’intervenants et d’administrateurs qui s’impliquaient dans des programmes susceptibles d’atteindre une clientèle de joueurs problématiques, par exemple ceux ciblant les adultes, la santé mentale et les dépendances. À partir de cette liste, les administrateurs et les intervenants travaillant auprès de la clientèle (p. ex. : psychologues, travailleurs sociaux, agents de relation humaine, infirmiers) ont été joints par téléphone pour solliciter leur participation à remplir un questionnaire papier pendant 15 minutes. Les répondants intéressés recevaient ce questionnaire par courrier postal et devaient le retourner dans une enveloppe-réponse affranchie jointe à l’envoi. Ce projet a obtenu l’approbation du comité d’éthique de l’Université Laval (numéro d’approbation 2007-209 R-1).

Analyses statistiques

Les questions ouvertes ont fait l’objet d’une analyse de contenu par la lecture des réponses des répondants, puis par l’élaboration d’une codification décrivant leur contenu thématique. Deux assistants de recherche au baccalauréat en psychologie ont codifié les réponses des 98 participants de façon indépendante et résolu le problème des disparités par consensus. Des statistiques descriptives ont permis l’analyse des questions ouvertes et à choix de réponses (p. ex. : médiane, étendue, fréquences de réponse).

Résultats

À moins d’une indication contraire, les résultats portent sur les 82 intervenants et les 16 administrateurs.

Situation actuelle des services offerts en CSSS

Seulement 30 % des intervenants et 31,3 % des administrateurs rapportent que leur CSSS offre des services de repérage, d’évaluation ou de suivi psychosocial pour les problèmes de jeu. L’absence de services en jeu problématique se justifie par les raisons suivantes (55 intervenants et 11 administrateurs). D’abord, la spécialisation particulière nécessaire au traitement de cette problématique amène le personnel à diriger les joueurs vers des services spécialisés (69 % des intervenants et 90,9 % des administrateurs) et l’absence de besoins manifestés par la clientèle pour les services en jeu en fait un domaine non prioritaire (16,4 % des intervenants). Finalement, 12,7 % des intervenants mentionnent le développement actuel de ce genre de services en CSSS.

Demandes de service en lien avec le jeu problématique et les moyens utilisés pour y répondre

Plus de la moitié des répondants (54,9 % des intervenants et 68,8 % des administrateurs) mentionnent que leur CSSS a reçu des demandes de service en jeu problématique au cours de l’année précédant cette cueillette d’informations. Ces demandes de services proviennent d’une clientèle diversifiée, comme les joueurs, leurs proches et, plus rarement, les organismes communautaires ou les intervenants. Dans l’ordre, tel qu’estimé par les intervenants (n = 27) et les administrateurs (n = 6), le nombre de demandes reçues annuellement pour des services en jeu problématique varie de 1 à 30 (Mdn = 5) et de 3 à 20 (Mdn = 8,5).

Soixante-cinq intervenants et treize administrateurs se positionnent sur les moyens utilisés pour répondre aux demandes de service. Ces moyens consistent principalement en la référence à des organismes spécialisés ou à la ligne téléphonique Jeu : aide et référence (84,6 % des intervenants et 92,3 % des administrateurs) ou par la prise en charge à l’intérieur même du CSSS (38,5 % des intervenants et 61,5 % des administrateurs).

Les outils d’intervention utilisés par les intervenants auprès de joueurs

Seuls les intervenants ont à se positionner sur les outils d’intervention utilisés auprès de joueurs en CSSS. L’absence d’un outil spécifique est mentionnée par 44 % des intervenants, alors que 12 % ne fournissent aucune réponse. Les autres intervenants (n = 36) utilisent des grilles de repérage des problèmes de jeu (27,7 %) et des manuels, des dépliants ou des guides d’intervention (22,2 %).

Les outils d’intervention utilisés auprès de joueurs ou de leurs proches s’inscrivent dans une approche thérapeutique spécifique. La thérapie cognitive-comportementale (n = 7 sur 13), l’approche motivationnelle (n = 5 sur 13) et la réduction des méfaits (n = 4 sur 13) sont les approches mentionnées par les participants qui pouvaient fournir plus d’une réponse.

Besoins des CSSS

Les services de première ligne pour la problématique du jeu

Bien que 8,5 % des intervenants ne prennent pas position, une majorité de participants (59,8 % des intervenants et 68,8 % des administrateurs) souhaite offrir des services pour les joueurs problématiques en CSSS. Le mandat de première ligne des CSSS à offrir une aide immédiate aux joueurs représente la raison la plus populaire en appui à une telle offre (42 % des intervenants [21/50] et 54,5 % des administrateurs [6/11])[3]. Pour ceux qui considèrent que ces services ne devraient pas se trouver en CSSS (n = 26 intervenants [31,7 %] et 5 administrateurs [31,2 %]), la principale raison concerne la complexité du jeu problématique nécessitant des ressources spécialisées (74,1 % des 27 intervenants et 60 % des administrateurs)[4].

Les besoins des CSSS pour un programme tel JEu me questionne

Dispenser le programme JEu me questionne en CSSS répondrait à un besoin selon plus de la moitié des répondants (59,8 % des intervenants et 68,8 % des administrateurs). Selon les participants, les problèmes de jeu augmentent et l’offre de tels services en CSSS répondrait à une demande de la population desservie (38,5 % des intervenants et 72,7 % des administrateurs). Pour certains, un programme spécifique aux joueurs pourrait agir comme outil d’autocontrôle en favorisant l’-introspection (30,8 % des intervenants et 18,2 % des administrateurs) et agir comme stratégie préventive, de sensibilisation et de repérage (30,8 % des intervenants et 9,1 % des administrateurs).

À l’opposé, les répondants en défaveur d’un programme tel JEu me questionne en CSSS (n = 22 intervenants [26,8 %] et 3 administrateurs [18,8 %]) évoquent surtout le fait que peu de demandes ont été reçues pour la problématique du jeu (n = 16 intervenants [69,6 %]) et la prise en charge de cette clientèle par des ressources plus spécialisées (n = 5 intervenants [21,7 %] et 1 administrateur sur 3).

Appréciation anticipée de JEu me questionne

Une majorité de participants rapportent que JEu me questionne serait apprécié des usagers en CSSS (72 % des intervenants et 81,3 % des administrateurs). Cinquante-neuf intervenants et onze administrateurs justifient leur opinion. Pour eux, ce programme propose un outil supplémentaire, moins stigmatisant et plus adapté au jeu problématique (58,8 % intervenants et 54,5 % des administrateurs) et il constitue une bonne façon de responsabiliser les joueurs en leur permettant d’user d’autocontrôle sur leurs habitudes de jeu (27,5 % intervenants et 27,3 % des administrateurs).

À l’opposé, neuf intervenants et un seul administrateur pensent que ce programme ne serait pas apprécié des usagers, bien que davantage de participants fournissent des explications justifiant ce fait (n = 15 intervenants et 4 administrateurs). Les raisons évoquées concernent surtout les problèmes de langue et de scolarité de la clientèle (40 % des intervenants et 50 % des administrateurs).

Intérêt à offrir le programme JEu me questionne en CSSS. Les CSSS représentent un endroit de choix pour offrir le programme JEu me questionne, selon une majorité de répondants (73,2 % des intervenants et 93,8 % des administrateurs), surtout en raison de leur mandat de première ligne. Cependant, seize intervenants (19,5 %) et un administrateur mentionnent une opinion contraire, évoquant principalement l’existence de ressources spécialisées pour cette clientèle, alors que 7,3 % des intervenants ne prennent pas position. Au tableau 3 figurent les commentaires des participants, tant ceux en faveur qu’en défaveur d’offrir le programme JEu me questionne en CSSS.

Les meilleurs endroits pour dispenser JEu me questionne sont les CSSS pour une grande proportion de participants (50 % des intervenants et 75 % des administrateurs), suivis par les organismes communautaires (31,7 % des intervenants et 31,3 % des administrateurs), les centres de réadaptation (23,2 % intervenants) ou d’autres milieux disparates, tels les cliniques privées (23,2 % des intervenants) et les groupes d’entraide (18,8 % des administrateurs).

Conditions gagnantes et obstacles à offrir le programme en CSSS

Conditions gagnantes

Soixante-treize intervenants et tous les administrateurs (n = 16) se positionnent sur les conditions gagnantes facilitant l’offre de JEu me questionne en CSSS. Les conditions les plus citées concernent la formation des intervenants (53,4 % des intervenants et 56,3 % des administrateurs). L’intérêt de ces derniers pour le programme, jumelé à sa promotion auprès des usagers, des intervenants et des partenaires cliniques représente une autre condition citée par plusieurs intervenants (43,8 %). La nécessité d’une concertation entre les différents milieux (services, programmes et centres de traitement) est une condition principalement rapportée par les administrateurs (50 %). Le tableau 1 collige l’ensemble des conditions mentionnées par les participants.

Obstacles

Le manque de ressources (humaines, financières, temps, espace) nécessaires au bon fonctionnement du programme (53,9 % des intervenants et 66,7 % des administrateurs) représente l’obstacle à l’offre du programme JEu me questionne en CSSS le plus rapporté. Le faible nombre de demandes reçues pour les problèmes de jeu est cité par 30,3 % des intervenants, alors que les réticences des intervenants et des partenaires cliniques pour l’intégration de ce programme aux services offerts en CSSS apparaissent comme une préoccupation qui touche 40 % des administrateurs. Le tableau 2 présente les obstacles mentionnés par les répondants.

Responsables, temps requis et budget nécessaires à l’application du programme

Les intervenants des CSSS devraient être les acteurs clés dans l’application du programme selon près de trois quarts des intervenants (72 % [52/72]), suivis par les dirigeants (32 % [23/72]) et une ou plusieurs personnes œuvrant à l’intérieur des programmes Dépendances ou Alcochoix+, qu’il s’agisse d’intervenants, de psychologues ou d’administrateurs (23,6 % [17/72]).

Plutôt que des personnes spécifiques comme responsables de l’application du programme, les administrateurs ciblent les différentes équipes des CSSS. Ainsi, les équipes des programmes Dépendance et Alcochoix+ (43,8 %) et les services courants s’adressant à l’ensemble de la clientèle (31,3 %) sont les plus cités. Dans une moindre mesure, 18,8 % des administrateurs croient que cette responsabilité incombe à l’équipe Santé mentale, 12,5 % à l’équipe Accueil, évaluation et orientation et 6,3 % au programme psychosocial.

L’estimation du temps nécessaire pour intervenir auprès d’une clientèle bénéficiant du programme JEu me questionne en CSSS varie de 30 minutes à 28 heures hebdomadaires (Mdn = 4 heures) selon 52,4 % des intervenants et de 30 minutes à trois jours et demi (Mdn = 6,5 heures) selon 62,5 % des administrateurs. Onze administrateurs fournissent aussi une estimation du temps nécessaire pour gérer ce programme qui varie de 45 minutes à 3 jours et demi par semaine (Mdn = 2,5 heures).

Enfin, le budget annuel nécessaire pour offrir le programme JEu me questionne en CSSS, tel -qu’-estimé par cinq administrateurs, varie entre 10 000 $ et 200 000 $ (Mdn = 35 000 $).

Discussion

Le premier objectif de cette étude vise d’abord à préciser la perception des administrateurs et des intervenants œuvrant en CSSS à offrir des services en matière de jeu problématique. Les résultats montrent que la majorité des CSSS n’offre pas de services de repérage, d’évaluation ou de suivi psychosocial pour les problèmes de jeu. Lorsqu’un joueur ou un membre de l’entourage fait une demande de service, les CSSS dirigent principalement les demandes vers la ligne téléphonique Jeu : aide et référence ou vers une ressource spécialisée sur leur territoire, comme les centres de réadaptation en dépendance et les maisons de thérapie certifiées.

Plus de la moitié des intervenants et des administrateurs des CSSS mentionnent recevoir à l’occasion des demandes d’aide pour les problèmes de jeu, variant de 1 à 30 demandes annuellement, selon leurs estimations. Considérant qu’au Québec, 94 CSSS desservent la population (ministère de la Santé et des Services sociaux, 2013), cette estimation correspondrait à un nombre se situant entre 94 et 2 820 demandes de service annuelles en jeu problématique à l’échelle provinciale. Ce nombre apparaît peu élevé, comparativement aux demandes reçues par la ligne d’aide Jeu : aide et référence qui représentent 7 046 appels pour l’année 2011-2012 (Centre de référence du Grand Montréal, 2012). La porte d’entrée première pour les demandes d’aide en jeu problématique ne semble donc pas se trouver en CSSS.

Le second objectif de l’étude vérifie l’intérêt perçu du personnel des CSSS à offrir des services en jeu problématique et, tout particulièrement, à rendre disponible le programme JEu me questionne. La majorité des intervenants et des administrateurs sont favorables à offrir de tels services. Cependant, certains participants demeurent réticents à offrir ces services aux joueurs. Ils opinent avec le fait que les problèmes de jeu demandent des ressources spécialisées. Certains ajoutent que leur charge de travail est déjà suffisamment grande.

Lors de l’introduction du programme Alcochoix+ en CSSS, l’intérêt des intervenants envers ce programme était un prérequis leur permettant de recevoir la formation (Cournoyer, Simoneau, Landry, Tremblay & Patenaude, 2009). Certains intervenants interrogés rapportent avoir développé leur intérêt envers ce programme durant la formation (Cournoyer et al., 2009), révélant ainsi que l’intérêt du personnel des CSSS peut se développer au même rythme que la connaissance du programme, du moins chez ceux croyant minimalement à son potentiel. Le même scénario pourrait se produire pour certains des intervenants et administrateurs qui étaient à priori réfractaires à offrir JEu me questionne en CSSS.

Le troisième objectif de l’étude consiste à évaluer les conditions gagnantes et les obstacles à rendre disponible ce programme en CSSS. La formation adéquate et l’intérêt du personnel clinique, la présence de ressources en quantité suffisante, la concertation entre les centres existants et la promotion de ce service auprès des partenaires et des usagers arrivent en tête de liste des conditions gagnantes. Ces éléments ont aussi été mentionnés lors de l’évaluation du programme Alcochoix+ (Cournoyer et al., 2009).

Les principaux obstacles soulevés par les participants concernent surtout le manque de temps et de ressources, qu’elles soient humaines ou financières, pour faire sa promotion, sa gestion et son application. Ces obstacles sont similaires à ceux soulevés par les intervenants qui se sont positionnés à l’égard de l’introduction du programme Alcochoix+ en CSSS (Cournoyer et al., 2009).

Par ailleurs, une disparité divise les participants quant à leur ouverture à offrir des services aux joueurs. L’offre du programme JEu me questionne en CSSS est-elle viable considérant ces disparités au sein du milieu ? Il est clair qu’avant le début des démarches visant à offrir ce programme en CSSS, l’usage de stratégies pour favoriser le ralliement du personnel et augmenter leur intérêt serait nécessaire.

Malgré ces obstacles, une majorité d’administrateurs et la moitié des intervenants considèrent que les CSSS représentent l’endroit idéal pour dispenser JEu me questionne. Les administrateurs s’accordent aussi sur le fait que le programme Dépendances, abritant déjà Alcochoix+, pourrait prendre en charge le programme d’autotraitement pour le jeu. Lorsqu’une prise en charge des joueurs problématiques se fait à même les CSSS, elle semble d’ailleurs s’effectuer à l’intérieur du programme Dépendances. Or, ce type de programmes n’est pas disponible dans tous les CSSS de la province de Québec. Ainsi, pour offrir des services en jeu problématique, les CSSS devront ajouter des services structurés et uniformes dans tout le réseau. Cependant, si le programme Alcochoix+ faisait déjà partie des services offerts en CSSS, ceci pourrait faciliter l’offre de JEu me questionne, puisque le personnel possède l’expérience nécessaire à la mise en œuvre d’une autre formule d’autotraitement.

Notons que les obstacles mentionnés par les participants rejoignent les problèmes rencontrés dans l’application d’Alcochoix+ en CSSS, notamment le manque de ressources (Cournoyer et al., 2009). Une question se pose : est-ce judicieux d’envisager l’introduction du programme JEu me questionne en CSSS considérant ces lacunes humaines et financières ? Comment ajouter cette responsabilité à celles déjà grandes des intervenants œuvrant en CSSS ? Une gestion centralisée de JEu me questionne en CSSS pourrait s’avérer une alternative permettant de pallier ces différents obstacles.

Ce type de gestion permettrait l’administration du programme à un seul endroit. Par ailleurs, le fait que l’intervention nécessaire à JEu me questionne se déroule par téléphone à la suite de l’envoi du manuel d’autotraitement vient aplanir les contraintes créées par les distances géographiques. La centralisation augmenterait son accès dans chacune des régions du Québec et pourrait réduire les coûts. Deux autres faits militent en faveur d’offrir ce service en CSSS. D’abord, comme nous le mentionnions en introduction, peu de joueurs consultent pour leurs problèmes de jeu. Les spécialistes s’accordent pour dire que seulement 3 % à 5 % des joueurs problématiques font appel à des services spécialisés pour résoudre leur problème. Il est plausible de croire que certains de ces joueurs seraient plus disposés à consulter dans un service de première ligne qu’un service spécialisé. Le stigma perçu du « jeu pathologique » serait nettement moins en évidence. Ensuite, nous avons déjà documenté le fait que plusieurs joueurs ne consultent pas les services spécialisés, croyant que l’objectif serait la cessation complète de la pratique de tout jeu de hasard et d’argent (Ladouceur, Lachance & Fournier, 2009). Le programme JEu me questionne laisse à l’individu le choix de l’objectif à atteindre, soit l’abstinence ou la pratique modérée du jeu. S’adressant à des joueurs éprouvant divers degrés de difficultés avec le jeu, l’offre de ce programme, dans un contexte de première ligne, semble cohérente et appropriée.

Soulignons quelques limites théoriques et méthodologiques de ce travail. D’abord, comme nous le mentionnions en début, cette étude n’avait pas pour but de préciser les conditions pour l’implantation du programme JEu me questionne dans les CSSS. Nous nous sommes situés à une étape préalable, soit de connaître la perception des administrateurs et des intervenants quant à la possibilité d’offrir ce programme dans leur milieu. Ainsi, nous n’avons pas abordé les variables théoriques reliées à une telle implantation potentielle. Aussi, notons que le faible taux de réponse (43 %) et l’instrument de mesure construit aux fins de cette étude et, de ce fait, non validé préalablement limitent la portée de cette étude. Enfin, il aurait été intéressant de connaître le point de vue des utilisateurs potentiels quant à l’offre de ce service dans un établissement de première ligne.

En conclusion, cette étude démontre l’intérêt perçu du personnel des CSSS pour offrir le programme JEu me questionne dans leur établissement. Cette étude puise ses principales forces dans le large portrait dressé de l’opinion du personnel des CSSS, tant les décideurs que les intervenants, œuvrant dans différentes régions du Québec. Une étude comparative évaluant les coûts et les bénéfices de rendre disponible ce programme en CSSS et par l’intermédiaire d’une ressource centralisée permettrait de nuancer et d’affiner la décision quant au meilleur endroit pour offrir JEu me questionne dans le réseau québécois de la santé.

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Notes

[1] ^Au moment de l’étude, l’appellation CSSS avec mission CLSC prévalait pour nommer les centres dont il est question ici. Aujourd’hui, cette distinction n’est plus utilisée et les CSSS avec une mission CLSC sont nommés CSSS.

[2] ^Une copie du questionnaire est disponible sur demande en communiquant avec le premier auteur.

[3] ^Bien que 49 intervenants soient en faveur de l’offre de service en jeu en CSSS, 50 intervenants justifient cette position.

[4] ^Bien que 26 intervenants croient que les services en jeu problématique ne devraient pas se retrouver dans les CSSS, 27 intervenants justifient cette position.

Tous droits réservés © Drogues, santé et société, 2013

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