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YAN FERGUSON, SHANY LAVOIE, MARIE-CLAUDE PLESSIS-BÉLAIR, VINCENT WAGNER, KARINE HUDON, MARIE-ÈVE GOYER, JORGE FLORES-ARANDA /
Yan Ferguson, M. Sc., professionnel de recherche, Institut universitaire sur les dépendances

Shany Lavoie, M.A., professionnelle de recherche, Institut universitaire sur les dépendances

Marie-Claude Plessis-Bélair, M.A., professionnelle de recherche, Institut universitaire sur les dépendances

Vincent Wagner, Ph. D., chercheur d’établissement, Institut universitaire sur les dépendances

Karine Hudon, BA, chargée de projet, Institut universitaire sur les dépendances

Marie-Ève Goyer, MD, M.Sc., professeure adjointe de clinique, Département de médecine familiale et médecine d’urgence, Université de Montréal

Jorge Flores-Aranda, Ph. D., professeur, École de travail social, Université du Québec à Montréal

Correspondance
Yan FergusonInstitut universitaire sur les dépendances
Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux
du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal
Hôpital Notre-Dame, Pavillon Lachapelle
1560, rue Sherbrooke Est, local TS3338
Montréal (QC) H2L 4M1
yan.ferguson.ccsmtl@ssss.gouv.qc.ca


Résumé

Introduction : Dans le contexte de la crise de surdoses d’opioïdes sévissant actuellement au Canada, il est prioritaire d’investir des efforts pour identifier et promouvoir les meilleures pratiques cliniques au sein des services de santé et des services sociaux accompagnant les personnes ayant un trouble lié à l’utilisation d’opioïdes. Cet article vise à présenter les résultats d’une démarche participative visant à identifier les caractéristiques des services à bas seuil d’exigence et à déterminer les meilleures pratiques dans la prise en charge médicale du sevrage, et ce, dans la perspective d’améliorer l’accès et les services offerts aux personnes utilisatrices d’opioïdes. 

Méthodologie : Cette démarche a misé sur deux revues narratives de la littérature portant respectivement sur les caractéristiques des services à bas seuil et sur les meilleures pratiques sur la prise en charge médicale du sevrage. Des entretiens individuels et de groupes ont été menés auprès de cliniciens, d’intervenants communautaires et de personnes utilisatrices d’opioïdes dans différentes régions du Québec afin de dresser l’état des pratiques en services à bas seuil et en prise en charge médicale du sevrage. 

Résultats : L’analyse des résultats a mené à l’élaboration de dix propositions d’amélioration des services offerts aux personnes utilisatrices d’opioïdes au Québec. Ces propositions touchent notamment à la philosophie d’intervention, l’organisation du continuum de services et à l’inclusion des pairs. Elles ont donc des implications concrètes pour les équipes de soins partenaires, les gestionnaires et les décideurs du réseau de la santé et des services sociaux québécois offrant des services aux personnes utilisatrices d’opioïdes.

Conclusion : La démarche employée pour arriver à l’élaboration de dix propositions d’amélioration des services offerts aux personnes utilisatrices d’opioïdes au Québec, par sa nature participative, a permis des retombées concrètes dans ce domaine. L’opérationnalisation de ces propositions permettra d’améliorer l’accessibilité et la qualité des services offerts aux personnes utilisatrices d’opioïdes. Pour ce faire, les acteurs clés devront pouvoir compter sur un soutien organisationnel et clinique afin de pouvoir les décliner localement. 

Mots-clés : opioïdes, trouble lié à l’utilisation des opioïdes (TUO), dépendance, précarité, démarche participative, guide clinique 

Proposals for the improvement of opioid agonist treatment in Quebec

Abstract

Introduction: The actual opioid crisis highlights the need to invest in and promote best practices for people with opioid use disorder. This article aims to present results of a participative approach used in two research projects aimed at identifying the characteristics of low threshold programs and the best practices in the medical management of opioid withdrawal. The two projects ultimately share the objective of improving treatment for people with opioid use disorder and access to these services.

Methods: The two projects relied on two narrative reviews whose objectives were to identify best practices regarding low threshold services for people with opioid use disorder and the medical management of opioid withdrawal. Individual and group interviews were conducted with clinicians, community workers and people using opioids in different regions of Quebec in order to assess the state of practices in low-threshold services and in medical management of opioid withdrawal.

Results: The results of these two projects led to the publishing of ten proposals for the improvement of services for people with opioid use disorder in Quebec. These proposals relate to the intervention’s philosophy, peer inclusion, and the continuum of care for people with opioid use disorder. These proposals have implications for clinical teams, administrators and stakeholders involved in services provision to people with opioid use disorder. 

Conclusion: Throughout the process, the participative approach described in this article led to improvements in the way services are offered to people with opioid use disorder in Quebec. Ultimately, the improvement of the care for people who use opioids, involves the development of formation and training for healthcare professionals, the update of clinical guidelines regarding treatment of opioid use disorder, and the development of services to support healthcare professionals implementing those proposals. 

Keywords: opioids, opioid use disorder (OUD), addiction, vulnerable people, participative approach, clinical guidelines 

Propuestas para el mejoramiento de las prácticas para el tratamiento del trastorno relacionado con el uso de los opioides en Quebec 

Resumen

Introducción: En el contexto de la crisis de las sobredosis de opioides que hace estragos en la actualidad en Canadá, es prioritario invertir esfuerzos para identificar y promover las mejores prácticas clínicas en los servicios de salud y los servicios sociales que acompañan a las personas que presentan un trastorno relacionado con la utilización de opioides. Este artículo se propone presentar los resultados de un proceso participativo destinado a identificar las características de los servicios de bajo nivel de exigencia y determinar cuáles son las mejores prácticas en el tratamiento médico de la desintoxicación, con la perspectiva de mejorar el acceso y los servicios que se ofrecen a las personas usuarias de opioides. 

Metodología: Este proceso se apoya en dos revisiones narrativas de la bibliografía referidas respectivamente a los servicios de bajo nivel de exigencia y a las mejores prácticas en el tratamiento médico para la desintoxicación. Se llevaron a cabo entrevistas individuales y grupales con clínicos, representantes comunitarios y personas usuarias de opioides en diferentes regiones de Quebec con el fin de establecer el estado de las prácticas en servicios de bajo nivel de exigencia y del tratamiento de la desintoxicación. 

Resultados: El análisis de los resultados condujo a la elaboración de 10 propuestas de mejoramiento de los servicios ofrecidos a las personas usuarias de opioides en Quebec. Estas propuestas se refieren principalmente a la filosofía de la intervención, a la organización de un continuo de servicios y a la inclusión de pares. Tienen por lo tanto consecuencias concretas para los equipos de atención asociados, para los gestionarios y para quienes toman decisiones en la red de salud y de servicios sociales quebequenses que ofrecen servicios a las personas usuarias de opioides. 

Conclusión: El proceso adoptado para llegar a la elaboración de 10 propuestas de mejoramiento de los servicios ofrecidos a las personas usuarias de opioides en Quebec ha permitido, por su naturaleza participativa, obtener efectos concretos en este terreno. La puesta en práctica de estas propuestas permitirá mejorar el acceso y la calidad de los servicios que se ofrecen a las personas usuarias de opioides, para lo cual los actores clave deberán contar con un apoyo organizativo y clínico que les permitirá aplicarlos localmente. 

Palabras clave: opioides, trastorno relacionado con el uso los opiodes, proceso participativo, adiccion, precariedad, guia clinica


Introduction

Le contexte

La crise des surdoses liées aux opioïdes qui secoue actuellement l’Amérique du Nord représente un enjeu de santé publique prioritaire pour les autorités sanitaires canadiennes et québécoises. Entre janvier 2016 et septembre 2019, au Canada, plus de 14 700 décès associés à la consommation d’opioïdes et 19 490 hospitalisations pour intoxication aux opioïdes ont été répertoriés (Comité consultatif spécial sur l’épidémie de surdoses d’opioïdes, 2020). Au Québec, entre janvier 2019 et mars 2020, 530 décès suspectés d’être liés à une surdose d’opioïdes ont été observés (Institut national de santé publique du Québec, 2020). Bien que ce nombre semble moindre que pour d’autres provinces canadiennes, les données de surveillance québécoise indiquent une augmentation du nombre de décès apparemment liés
à la consommation d’opioïdes depuis le début des années 2000 (Shemilt et al., 2017).

Pour les personnes ayant un trouble lié à l’utilisation d’opioïdes (TUO), le traitement par agonistes opioïdes (TAO) représente l’option de choix (Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances [CCSA], 2018 ; Initiative canadienne de recherche en abus de substance [ICRAS-CRISM], 2018). Cependant, à l’instar de l’accessibilité à de nombreux services et soins de santé de première ligne, l’accessibilité à ce type de service demeure complexe, particulièrement pour les personnes vivant en situation de précarité. En effet, l’accès aux services peut être modulé par des barrières de différentes natures. Ces barrières peuvent notamment être d’ordre géographique, lorsqu’une personne éprouve des difficultés à accéder à un service en raison des distances à parcourir pour s’y rendre ; économique dans le cas où l’accès au service occasionne des frais directs ou indirects ; organisationnelle lorsque des critères d’accès stricts limitent l’accès à un service ; et enfin socioculturelle et relationnelle dans le cas où la personne éprouve des difficultés d’accès au service en raison d’un traitement différentiel basé sur des caractéristiques individuelles ou sur la base de son appartenance à un groupe (Hyppolite, 2019). Dans le cas précis des programmes de TAO, on note que -ceux-ci présentent des seuils d’exigence qui répondent peu ou pas aux modes de vie de certaines populations en situation de précarité, notamment les personnes utilisatrices de drogues par injection (UDI) (Poliquin et al., 2018). Ainsi, afin de répondre aux barrières d’accès au TAO vécus par ces personnes, des modèles de TAO dits à bas seuil d’exigence[1] ont été développés au cours des années 1980 (Strike et al., 2013). 

Parallèlement, et parfois en réponse aux problèmes d’accès et d’un manque de flexibilité des TAO au Québec et ailleurs dans le monde, certaines personnes ayant un TUO vont formuler des demandes de sevrage rapide des opioïdes, et ce, malgré les risques associés à ce type de pratiques, tels les rechutes, les infections, les surdoses et la mortalité (Bentzley et al., 2015 ; Bruneau et al., 2018 ; Dunn et al., 2011 ; Gandhi et al., 2003 ; Initiative canadienne de recherche en abus de substance [ICRAS-CRISM], 2018 ; Weinstein et al., 2018). En conséquence de quoi, les cliniciens doivent jongler avec la demande et les évidences scientifiques qui vont à l’encontre de cette pratique. Or, le peu d’information médicale et le peu de formation disponible pour les cliniciens québécois concernant les sevrages d’opioïdes représentent un enjeu. Dans ce contexte, il apparaît nécessaire de s’intéresser aux meilleures pratiques dans le domaine du TAO de sorte à maximiser les taux de succès du traitement, l’atténuation des symptômes de sevrage et la transition vers un traitement à long terme. De même, dans l’objectif de réduire le fardeau sanitaire et social associé au mésusage d’opioïdes, il apparaît important de réfléchir à la mise en place de différentes actions de réduction des méfaits, notamment à l’amélioration de l’accès au TAO (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2018a, 2018b).

Les projets 

Dans ce contexte, deux projets de recherche financés par le Programme sur l’usage et les dépendances aux substances (PUDS) de Santé Canada ont été menés entre 2018 et 2020 par les auteurs. Ces projets visaient à permettre une réflexion sur les avenues à privilégier pour faciliter l’accès, la rétention en TAO et l’amélioration des pratiques de prise en charge médicale du sevrage d’opioïdes. Ces deux projets ont reçu l’approbation du comité d’éthique dépendances, inégalités sociales et santé publique du Centre intégré universitaire de santé et services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal (dossiers # DIS-1819-48 et DIS-1819-49). Le premier projet, identifié ci-après par « projet de recherche sur les services à bas seuil », visait à documenter les différentes pratiques en prestation de soins et de services à bas seuil d’exigence afin de réfléchir à l’amélioration de l’accès au traitement de la dépendance aux opioïdes au Québec.

Le second projet de recherche, appelé ci-après « projet de recherche sur la prise en charge médicale du sevrage », visait à documenter les pratiques sur la prise en charge médicale du sevrage afin de soutenir les cliniciens et les gestionnaires à mieux répondre aux demandes des personnes formulant une demande de sevrage d’opioïdes au Québec.

Objectif 

L’objectif de cet article est de présenter les résultats d’une démarche participative visant à identifier les caractéristiques des services à bas seuil d’exigence et les meilleures pratiques dans la prise en charge médicale du sevrage, afin d’améliorer l’accès et les services offerts aux personnes utilisatrices d’opioïdes. Dans un premier temps, nous détaillons la méthodologie à la base de cette démarche, et dans un second temps, nous présentons sommairement les dix propositions d’amélioration des pratiques en TUO. Enfin, nous discutons des implications de ces propositions pour l’organisation des soins et des services destinés aux personnes utilisatrices d’opioïdes au Québec. 

Méthodologie

Les deux projets de recherche décrits ici ont employé des méthodes et activités de recherche similaires. Celles-ci sont résumées à la figure 1. 

Démarche participative et itérative

Pour chacun des projets présentés ci-haut, un comité consultatif a été formé avec pour mandat de conseiller, orienter et soutenir l’équipe de recherche concernant la pertinence des démarches des deux projets de recherche. Ces deux comités consultatifs étaient composés d’experts universitaires, de représentants des ordres professionnels, de représentants du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), de professionnels du réseau de la santé et des services sociaux (RSSS), de représentants du milieu communautaire possédant une connaissance de l’intervention auprès des personnes ayant un TUO et auprès des personnes en situation de précarité, de même que de personnes utilisatrices d’opioïdes. Les deux comités se sont rassemblés à quatre reprises pendant les deux années des projets. 

Un groupe de travail a également été formé avec le mandat d’orienter et soutenir l’équipe de recherche relativement aux enjeux entourant la pratique et la prestation de soins et de services à bas seuil. Ce groupe de travail était composé d’un représentant des personnes utilisatrices d’opioïdes et de professionnels du RSSS et du réseau communautaire. 

Les différents comités ont été consultés selon une logique itérative afin d’informer l’équipe de recherche sur les enjeux et de faciliter la participation des différents acteurs ciblés. Ainsi, les résultats des différentes étapes des deux projets ont été présentés à ces groupes de façon à assurer la pertinence de ceux-ci et à confirmer les étapes subséquentes. De même, les analyses préliminaires et les résultats de chacun des deux projets de recherche ont été soumis aux membres des différents comités pour validation et pour amorcer une réflexion générale sur l’amélioration des pratiques en TUO au Québec. Enfin, les dix propositions d’amélioration des pratiques ont également été soumises à ces différentes instances pour validation et bonification.

Revues narratives

D’abord, une revue narrative de la littérature a été menée pour chacun des projets. L’approche narrative est décrite par Barnett-Page et Thomas (2009), comme permettant l’analyse d’un corpus hétérogène de données et de dresser un bilan des connaissances sur un sujet donné. Ce type d’approche a été favorisée à une approche systématique pour son adéquation à la nature exploratoire de l’étude et de ses objectifs, à savoir de jeter les bases d’une réflexion sur les avenues à privilégier pour faciliter l’accès, la rétention en TAO et l’amélioration des pratiques de prise en charge médicale du sevrage d’opioïdes. 

Ainsi, dans le cadre du projet portant sur les services à bas seuil, l’objectif de la revue était de documenter les caractéristiques et les modèles de prestation de services à bas seuil destinés aux personnes en situation de précarité avec une attention particulière pour les personnes ayant un TUO. Trois axes de recherche ont été explorés, à savoir : 1) la philosophie d’intervention, 2) les services offerts, et 3) l’organisation des services. La revue narrative menée dans le cadre du projet de recherche sur la prise en charge médicale du sevrage avait pour objectif d’identifier les meilleures pratiques médicales dans le cadre d’un sevrage d’opioïdes. Trois axes de recherche ont été explorés : 1) l’entrée dans les services lors d’une demande de sevrage d’opioïdes, 2) la prise en charge médicale du sevrage d’opioïdes, et 3) les interventions connexes au traitement pharmacologique principal. 

Une stratégie de recherche documentaire a été développée pour chacun des deux projets et visait dans les deux cas une exploration de la littérature scientifique et grise. Plus spécifiquement, l’exploration de la littérature scientifique a été effectuée en interrogeant les bases de données suivantes : Medline, Cinahl Plus, PubMed, Embase, PsycINFO, Érudit et CAIRN. Les critères d’inclusion utilisés sont rapportés au tableau 1. L’exploration de la littérature en lien avec les services à bas seuil a permis de repérer 1 442 articles dont 42 ont été retenus aux fins de l’analyse. Dans le cas du projet sur la prise en charge médicale du sevrage, 1 738 articles ont été repérés parmi lesquels 39 articles (représentant 38 études) ont été retenus pour l’analyse (voir figure 2-3).

Pour les deux projets, la stratégie de recherche de la littérature grise visait à répertorier spécifiquement les guides cliniques nationaux et internationaux se rapportant à la prise en charge clinique dans le cadre du TAO. Dans le cadre du projet portant sur les services à bas seuil nous avons, pour des raisons logiques et pragmatiques, également restreint l’exploration de la littérature grise aux guides cliniques nationaux et internationaux se rapportant à la prise en charge clinique du TAO ; cela afin de permettre une réflexion concrète sur l’amélioration des services en TAO et une comparaison avec les programmes et services à bas seuil. L’exploration de la littérature grise a été effectuée au moyen du moteur de recherche Google et par l’exploration de sites Web d’organisations gouvernementales et non gouvernementales, nationales et internationales. À terme, respectivement 26 et 30 guides cliniques ont été retenus aux fins de l’analyse. 

Les informations obtenues à l’issue de la recherche de la documentation scientifique et de la littérature grise ont été systématiquement prélevées à l’aide de grilles d’extraction sous forme de fiches de lecture. L’information ainsi colligée a été organisée et analysée à l’aide du logiciel Nvivo12 dans un projet et à l’aide d’un document Excel dans l’autre. L’ensemble de l’information a été examiné séparément par les membres de l’équipe de recherche (YF, VW, MCPB) selon une approche d’analyse thématique et sous la supervision du co-chercheur principal (JFA) (Barnett-Page et Thomas, 2009 ; Paillé et Mucchielli, 2012). Chacun des articles retenus a été évalué à l’aide d’une grille d’évaluation permettant d’apprécier la qualité des articles retenus nonobstant le type de devis utilisé (Hawker et al., 2002). Cette évaluation a permis de déterminer la force des différentes thématiques ainsi identifiées à la suite de l’analyse. Les résultats de ces démarches ont également été présentés aux comités consultatifs afin d’être validés et utilisés pour réfléchir les étapes subséquentes.

Entretiens

En complément aux deux revues narratives, des entretiens semi-dirigés et des groupes de discussion ont été menés par les membres de l’équipe de recherche (MCPB, KH et JFA) auprès d’équipes cliniques, d’intervenants communautaires et de personnes utilisatrices d’opioïdes de différentes régions du Québec. Ces entretiens individuels et de groupes avaient pour objectif de documenter la réalité et les pratiques de prise en charge médicale des TUO dans les services internes de gestion du sevrage d’établissements ayant une mission de centre de réadaptation en dépendance (CRD) au Québec ainsi que la réalité des services à bas seuil en TUO au Québec. Préalablement aux entretiens en personne, un questionnaire a été rempli par les gestionnaires responsables de ces services afin de collecter des données sur l’organisation de leur service et sur les personnes qui le fréquentent. 

Ultimement, dans le cadre du projet portant sur les services à bas seuil, sept gestionnaires et 24 cliniciens de programmes de TAO à « bas seuil » de six régions du Québec ont été rencontrés, de même que 26 intervenants d’organismes communautaires ainsi que 37 personnes utilisatrices d’opioïdes. La durée des entretiens individuels et de groupe variait entre une heure et trois heures. Dans le cadre du projet portant sur la prise en charge médicale du sevrage, six établissements ont été visités et un total de six gestionnaires et dix cliniciens ont été rencontrés en entretien de groupe. La durée moyenne de ces entretiens était d’une heure et trente minutes. 

Les entretiens ont été intégralement retranscrits et leur contenu a été soumis à une analyse de contenu thématique à l’aide du logiciel Nvivo12 avec pour objectif de dégager les convergences et les divergences de points de vue concernant les différentes thématiques explorées (Paillé et Mucchielli, 2012). Les analyses ont été effectuées par les membres de l’équipe de recherche (MCPB, SL) sous la direction du co-chercheur principal (JFA) qui possède une grande expérience en analyse qualitative. À l’instar des résultats des revues narratives, les résultats ont également été partagés avec les membres des comités consultatifs.

Événement provincial sur la prise en charge médicale du sevrage d’opioïdes

Enfin, dans le cadre du projet de recherche portant sur la prise en charge médicale du sevrage, l’équipe de recherche a organisé un événement de réseautage et de transfert de connaissances qui a permis de rejoindre 63 différents professionnels de différentes régions du Québec œuvrant en CRD dans la gestion du sevrage d’opioïdes. Cette activité a permis de récolter davantage d’informations concernant la prise en charge des sevrages d’opioïdes en CRD au Québec. Les informations ont été colligées sous forme de notes manuscrites au cours d’ateliers de groupes où les participants étaient divisés par profession (médecins, infirmières, intervenants psychosociaux). Les résultats ont été compilés et résumés pour une utilisation par l’équipe de recherche. Ces résultats ont permis d’enrichir le portrait des services de sevrage en CRD et mieux orienter la collecte de données subséquente via les entretiens. 

Triangulation des données

Les activités décrites ci-haut ont été menées dans le cadre d’une démarche participative visant à établir un dialogue entre la recherche scientifique, les savoirs cliniques et expérientiels. À cet effet, les résultats issus de ces différents domaines ont été mis en commun lors de séances de travail regroupant les membres de l’équipe de recherche (YF, SL, MCPB, KH, MEG, JFA) et ont servi de base à la formulation de propositions pour l’amélioration de la prise en charge du TUO au Québec. Plus spécifiquement, les résultats des entretiens menés dans le cadre des projets de recherche ont permis d’identifier les points d’amélioration au sein des services destinés aux personnes utilisatrices d’opioïdes au Québec. Ensuite, les résultats des deux revues ont permis d’identifier les pistes de solutions pouvant être déployées dans le contexte provincial. Ultimement, les constats quant aux points d’amélioration des services ainsi que les pistes de solutions repérées dans la littérature scientifique ont été présentés aux différents comités consultatifs afin de valider leur pertinence et leur applicabilité à un contexte québécois. À la suite de ces consultations, ces propositions ont été raffinées par les membres de l’équipe de recherche pour être formulées sous forme de dix propositions d’amélioration des services en lien avec le TUO. Celles-ci sont présentées à la section suivante. 

Résultats

Les dix propositions formulées par l’équipe de recherche à l’issue de la démarche présentée ici ont été réfléchies dans l’idée d’un continuum de services en adéquation avec les réalités plurielles des personnes utilisatrices d’opioïdes. Ces propositions visent à permettre aux différents acteurs œuvrant dans le milieu de la dépendance de réfléchir aux modifications à apporter dans l’organisation des services afin d’appliquer les meilleures pratiques. Nous proposons ici un survol de ces propositions et de leurs implications pour les équipes cliniques. 

Proposition 1 — Ancrer la pratique auprès des personnes utilisatrices d’opioïdes dans une philosophie de réduction des méfaits et une vision holistique.

Les résultats du projet portant sur les services à bas seuil dénotent l’importance de la philosophie de la réduction des méfaits et d’une approche holistique dans la prestation de services auprès de personnes utilisatrices d’opioïdes. Soulignons qu’il ne suffit pas de déployer des pratiques ou des interventions de réduction des méfaits pour que celles-ci correspondent aux valeurs de cette philosophie. À titre d’exemple, les entretiens menés auprès de cliniciens et de gestionnaires ont permis de noter des divergences dans la mise en application des concepts philosophiques à la base de cette approche. Plusieurs cliniciens rencontrés éprouvaient un malaise face à la consommation concomitante au TAO et certains estimaient que l’abstinence devrait toujours être l’objectif ultime du traitement. Dans le même ordre d’idées, une disparité importante dans la pratique de la réduction des méfaits subsiste encore aujourd’hui entre les différentes régions du Québec qui ont été visitées. Enfin, la vision holistique caractérisant les services destinés aux personnes en situation de précarité recensés dans la littérature met de l’avant l’importance de prendre en considération l’ensemble des besoins des personnes ainsi que les forces et les limites de celles-ci. Conséquemment, l’offre de services qui en découle est multifacette et mise sur des collaborations entre différents acteurs du RSSS et du réseau communautaire pour répondre aux besoins des personnes. Les entretiens ont dénoté la difficulté de mettre en application ce type de vision, notamment en raison d’un cloisonnement des différents services dont pourrait bénéficier la personne. 

Proposition 2 — Démocratiser l’accès au traitement du TUO 

Les besoins psychosociaux et de santé parfois complexes des personnes utilisatrices d’opioïdes ainsi que leurs réticences envers le réseau de la santé, exigent qu’une attention particulière soit portée à la manière dont les services de TAO leur sont offerts. Les obstacles dont il faut tenir compte sont tant organisationnels, géographiques et administratifs que relationnels. À cet effet, de nombreux cliniciens interrogés ont mentionné que les délais d’accès au TAO au Québec étaient trop longs et incompatibles avec la temporalité et l’urgence de la demande et des besoins des personnes utilisatrices d’opioïdes.

L’accessibilité géographique des TAO est également notée comme problématique par les personnes interrogées. Notamment, la disponibilité de l’ensemble de l’arsenal pharmacothérapeutique a été notée comme étant très variable selon les régions. Le manque de médecins prescripteurs dans certaines régions est également décrié, celui-ci participant à la diminution de l’accessibilité de ce type de traitement. Dans cette optique, il apparaît nécessaire de pouvoir offrir l’amorce du traitement et un accès à l’ensemble des molécules dans divers contextes tels que les services spécialisés, les urgences, les services psychiatriques, les centres de détention et les groupes de médecine familiale dans une logique de No wrong door. Ce principe vise à faciliter l’accès aux ressources dont une personne a besoin pour faire face aux problématiques qu’elle rencontre, et ce, peu importe à quel endroit où celle-ci s’adresse initialement (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2018a). 

Proposition 3 — Assouplir le cadre réglementaire des ordres professionnels pour permettre la mise en place de modalités de traitement du TUO flexibles et adaptées. 

Les entretiens menés auprès de personnes utilisatrices d’opioïdes et d’intervenants communautaires ont souligné l’importance d’appliquer des modalités de traitement souples et adaptées à la réalité et aux problématiques de la personne afin de favoriser la rétention en traitement. À cet effet, les cliniciens interrogés ont mentionné être limités dans la flexibilité qu’ils peuvent accorder au traitement des personnes en raison du cadre réglementaire régissant le TAO qui prévalait au moment de les rencontrer. Ultimement, les modifications souhaitées par les cliniciens devraient avoir comme principe directeur la préséance du jugement clinique sur les règles professionnelles appliquées de façon rigide et unilatérale. Les cliniciens ont cependant exprimé le désir de pouvoir compter sur un guide clinique pour les soutenir dans l’application de leur jugement clinique.

Proposition 4 — Accueillir la demande initiale de services et assurer la sécurité de la personne utilisatrice d’opioïdes

La littérature scientifique concernant les services à bas seuil relève l’importance d’accompagner les personnes utilisatrices d’opioïdes lorsque celles-ci font une demande de soins et de services. Plus précisément, on observe dans de nombreux services la présence d’une personne qui assure la liaison vers les différents services offerts dans la communauté. Au Québec, les cliniciens rencontrés ont mentionné que les démarches nécessaires pour avoir accès aux services dont les personnes utilisatrices d’opioïdes ont besoin sont souvent complexes et la navigation entre les différentes étapes peut être décourageante pour une personne utilisatrice d’opioïdes. Ceux-ci ajoutaient également que, dans le contexte de la crise des surdoses liées aux opioïdes, la réduction des barrières à l’accès aux services représente un enjeu prioritaire pour assurer la sécurité des personnes utilisatrices d’opioïdes. 

Dans cette optique, la remise de matériel essentiel de réduction des méfaits dont la naloxone devrait être une pratique intégrée chez les différents professionnels susceptibles de rencontrer des personnes utilisatrices d’opioïdes (voir figure 4). Or, les entretiens menés dans différentes régions du Québec ont permis de relever des disparités importantes dans les pratiques de réduction des méfaits et dans le soutien offert par l’entremise de matériel de réduction des méfaits. 

Note. Tiré du Guide québécois d’amélioration des pratiques sur la prise en charge du trouble lié à l’utilisation des opioïdes (TUO) (p. 37) [fichier PDF], par M.-È. Goyer, K. Hudon, S. Bell, Y. Ferguson, S. Lavoie et M.-C. Plessis-Bélair, 2020, http://dependanceitinerance.ca/wp-content/uploads/2020/04/GuideTUO-FR-2020.pdf. © Institut universitaire sur les dépendances. Reproduit avec permission. 

Proposition 5 — Effectuer une évaluation adaptée, débuter rapidement le TAO et choisir le meilleur contexte de soins

Les personnes utilisatrices d’opioïdes devraient pouvoir être évaluées directement par une équipe offrant le traitement du TUO afin de bénéficier d’un accès rapide et simplifié au TAO. Or, les entretiens menés auprès des cliniciens démontrent que les délais d’attente entre la demande initiale et la prise en charge subséquente varient de façon importante selon les régions (allant de la journée même jusqu’à un mois d’attente). Les cliniciens rencontrés mentionnent également vivre des frustrations face à ces délais et constatent que de longs délais d’attente peuvent décourager les personnes qui font une demande de traitement. Concernant, l’évaluation des personnes, ces cliniciens notent que les outils spécialisés sont souvent trop longs et peu adaptés aux personnes utilisatrices d’opioïdes notamment celles en situation de précarité. De même, certaines personnes interrogées mentionnent que ces évaluations sont contraignantes et intrusives. En somme, les modalités d’accès aux soins et services offerts aux personnes utilisatrices d’opioïdes semblent peu correspondre aux besoins exprimés par ces personnes. 

Proposition 6 — Favoriser des collaborations formelles avec les acteurs-clés

Afin de pouvoir répondre rapidement et de façon holistique aux besoins des personnes utilisatrices d’opioïdes, l’instauration et la formalisation de liens de collaborations représente un élément incontournable. Dans le cadre des entretiens menés auprès des professionnels, plusieurs personnes ont mentionné l’importance de développer des collaborations au sein du réseau de la santé afin de faciliter l’accès à un ensemble de services, de favoriser la rétention en traitement et d’encourager la prise en charge de la personne. Plus précisément, plusieurs cliniciens mentionnent l’aspect officieux des collaborations qui reposent principalement sur des liens professionnels et non pas entre les structures elles-mêmes. 

La littérature scientifique consultée relativement aux services à bas seuil peut à cet effet servir d’inspiration pour l’organisation des services de TAO du Québec. En effet, de nombreux services à bas seuil repérés misent sur une offre de services exhaustive au sein d’un même lieu. Dans le cas où cela n’est pas possible, ces derniers peuvent miser sur des corridors de services durables et bien identifiés. Ainsi, des partenariats entre les équipes de soins, les pharmacies, les organismes communautaires (OC), les ressources d’hébergement en dépendance (RHD), les hôpitaux et les services correctionnels et de psychiatrie de chaque région devraient être mis en place et formalisés. 

Proposition 7 — Intégrer les demandes de sevrage d’opioïdes dans un plan de traitement et d’accompagnement à long terme de la personne

Les résultats de l’analyse de la littérature scientifique et grise concernant la prise en charge médicale du sevrage d’opioïdes indiquent qu’il convient d’éviter le sevrage d’opioïdes chez une personne ayant un TUO en raison des risques d’abandon, de rechutes, de surdoses,
de morbidité et de mortalité qui y sont associés. 

Les entretiens dénotent que des demandes de sevrage sont toujours faites au Québec malgré les contre-indications à cet effet. Les résultats de la revue de littérature portant sur la gestion médicale du sevrage semblent indiquer que les services de prise en charge du sevrage représentent en quelque sorte un premier point de contact avec le réseau de la santé et des services sociaux. En ce sens, cela représente une opportunité pour les équipes de soins de proposer des TAO. Dans ce contexte, la prise en charge du sevrage devrait s’inscrire dans une logique de plan de traitement et d’accompagnement à long terme. À cet effet, la littérature scientifique consultée recommande la mise en place d’un continuum de services favorisant une transition rapide vers un traitement de maintien lorsque la personne le désire. De même, certains cliniciens rencontrés mentionnent l’importance de créer des collaborations étroites entre les services de sevrage et les services de TAO.

Proposition 8 — Offrir le suivi du traitement du TUO en continu et en fonction de la précarité de la situation de la personne.

L’importance de la continuité du traitement a été notée par l’ensemble des intervenants consultés et ressort fortement de la littérature consultée comme étant un élément fondamental de la prise en charge des personnes utilisatrices d’opioïdes. De la même manière, les documents consultés mettent de l’avant l’importance de limiter l’attrition au traitement et le cas échéant, faciliter la reprise des traitements lorsque la personne fait une demande de retour en service. 

Un second élément de la prise en charge également observé dans les écrits scientifiques et souligné par les cliniciens rencontrés, demeure que les personnes utilisatrices d’opioïdes ne représentent pas une catégorie homogène de personnes. Conséquemment, cela appelle à une réponse adaptée en fonction des besoins qui vont différer d’un individu à l’autre. De la même manière, l’intensité du suivi devrait être adaptée en fonction des besoins et des caractéristiques de la personne en traitement. Cependant, les résultats des projets présentés ici dénotent l’importance d’une offre minimale de services pour toutes les personnes utilisatrices d’opioïdes souhaitant entamer un TAO (voir figure 5).

Note. * La prise en charge du VIH et du VHC ne fait pas partie du panier minimal bien que celle-ci soit encouragée, spécifiquement pour le traitement du VHC qui constitue un traitement rapide et circonscrit dans le temps.

Tiré de Guide québécois d’amélioration des pratiques sur la prise en charge du trouble lié à l’utilisation des opioïdes (TUO) (p. 55) [fichier PDF], par M.-È. Goyer, K. Hudon, S. Bell, Y. Ferguson, S. Lavoie et M.-C. Plessis-Bélair, 2020, http://dependanceitinerance.ca/wp-content/uploads/2020/04/GuideTUO-FR-2020.pdf. © Institut universitaire sur les dépendances. Reproduit avec permission. 

Nous notons également que ces différents niveaux de besoins influenceront le modèle d’organisation des services. Ainsi, les personnes ayant davantage de besoins à combler devraient bénéficier de services plus intensifs au sein d’une même structure (voir figure 6). C’est-à-dire, tendre vers une intégration au sein d’un même espace physique (modèle one stop shop) à l’instar de certains programmes à bas seuil recensés.

Note. Tiré de Guide québécois d’amélioration des pratiques sur la prise en charge du trouble lié à l’utilisation des opioïdes (TUO) (p. 56) [fichier PDF], par M.-È. Goyer, K. Hudon, S. Bell, Y. Ferguson, S. Lavoie et M.-C. Plessis-Bélair, 2020, http://dependanceitinerance.ca/wp-content/uploads/2020/04/GuideTUO-FR-2020.pdf. © Institut universitaire sur les dépendances. Reproduit avec permission.

Proposition 9 — Promouvoir l’intervention par les pairs aidants au sein des équipes offrant le traitement du TUO

Plusieurs services à bas seuil recensés dans la littérature misent sur l’implication de pairs aidants au sein de la structure de services. Cependant, les entretiens menés auprès d’intervenants et de gestionnaires de services de TAO à bas seuil au Québec ont démontré qu’aucune de ces ressources ne s’appuie sur la présence de pairs aidants au sein de leur équipe. Or, lorsqu’interrogés sur la pertinence de cet ajout, tous étaient convaincus du bien-fondé d’intégrer des pairs aidant au sein de leurs équipes. Notamment, il a été mentionné que cela permettrait d’améliorer les services offerts aux personnes en suivi par une amélioration de la confiance et une meilleure communication avec l’équipe clinique ; les pairs aidants pouvant adopter un rôle de traducteur de la réalité de ces personnes. 

Proposition 10 — Soutenir la stabilité des équipes offrant le traitement du TUO

Plusieurs personnes interrogées dans le cadre des deux projets de recherche notent la difficulté d’embaucher et de retenir du personnel qualifié au sein de leurs équipes, particulièrement dans les régions hors centre urbain du Québec. Cet élément va de pair avec le manque de formation observé relativement à la philosophie de la réduction des méfaits et dans la formation spécialisée dans la prise en charge médicale du sevrage d’opioïdes. Plusieurs solutions ont été proposées pour pallier ces difficultés de rétention du personnel. Ainsi, afin de répondre à ces préoccupations, les gestionnaires et les équipes offrant le traitement du TUO devraient avoir accès à du soutien tant clinique qu’organisationnel sous forme de formation continue basée sur les dernières données scientifiques ou sous forme de mentorat pour les équipes interdisciplinaires. 

Discussion

Les propositions découlant des travaux de recherche présentés dans cet article ont des implications importantes pour l’organisation des services offerts aux personnes utilisatrices d’opioïdes au Québec. Ces implications interpellent à la fois les équipes de soins partenaires (équipe clinique), les gestionnaires des services de la santé et des services sociaux du Québec, ainsi que les décideurs responsables de l’organisation du RSSS. Nous présentons ici une courte discussion sur les principaux défis que ces propositions soulèvent pour chacun de ces groupes. 

Équipe de soins partenaires

Les résultats des projets de recherche et les propositions qui en découlent mettent de l’avant l’importance du rôle décisionnel qu’a la personne utilisatrice d’opioïdes sur les objectifs et les modalités de son propre traitement. Ainsi, nous proposons d’adopter le vocable « équipe de soins partenaires » pour définir l’équipe clinique qui aura pour mandat d’accompagner la personne dans son traitement. La composition de l’équipe de soins peut être modifiée en fonction de l’intensité du suivi que la personne décidera de mettre en place en collaboration avec son équipe (proposition 8). Cependant, ce changement s’accompagne d’un questionnement et d’une tension chez les professionnels de la santé formés à agir en tant qu’experts et qui devront dorénavant adopter un rôle d’accompagnateur pour les personnes en TAO. Le défi pour les cliniciens sera d’adapter constamment leur pratique en fonction des caractéristiques, des besoins et des objectifs que la personne aura exprimés pour son traitement (proposition 1).

Réseau de la santé et des services sociaux

La question du cloisonnement des services est au cœur des défis auxquels devront faire face les gestionnaires du RSSS. En effet, l’intervention selon une approche holistique (proposition 1) nécessite des collaborations fortes qui sont à la fois interprofessionnelles et interorganisationnelles (proposition 6). Les gestionnaires du RSSS sont ainsi appelés à établir et à formaliser des corridors de services efficaces et durables permettant de répondre
à l’ensemble des besoins des personnes ayant un TUO.

D’autre part, le besoin de formation des équipes cliniques à travers le Québec apparaît comme un défi important pour les gestionnaires du RSSS (proposition 10). Le développement d’une offre de formation continue et de mentorat aux membres des équipes de soins partenaires permettrait de répondre à cette préoccupation (proposition 2 et 10). 

Décideurs

Enfin, comme noté précédemment, les personnes responsables de l’organisation du RSSS sont interpellées par l’importance de procéder à une révision des documents-cadres en lien avec le TAO (propositions 1,3,4 et 5). L’assouplissement du cadre réglementaire régissant le TAO, le développement de formations en continu, le développement d’un guide clinique en TUO et l’utilisation d’outils d’évaluation adaptés au TAO représentent autant d’éléments qui permettraient de favoriser une pratique professionnelle flexible et adaptée.

Dans un autre ordre d’idées, les résultats appellent également à une démocratisation de l’accès aux TAO afin de garantir une couverture d’accès équitable aux services du TUO (proposition 2). Pour ce faire, les décideurs du RSSS pourraient envisager de faire la promotion du TAO auprès de différents milieux de pratiques (ex. : urgences, services psychiatriques, centres de détention et groupes de médecine familiale) et de la possibilité d’amorcer rapidement le TAO au sein de ces services. Ultimement, cela permettrait de mettre en pratique le principe du No wrong door tout en améliorant l’accessibilité du TAO au Québec.

Forces et limites[2]

La mise en place de deux comités consultatifs et d’un groupe de travail représente une grande force de la démarche présentée ici. L’existence de ces comités, l’implication de ses différents membres ainsi que le caractère itératif de la démarche ont permis d’enrichir de façon importante les activités de recherche et l’élaboration des dix propositions.

De la même façon, en cohérence avec l’approche participative souhaitée par l’équipe de recherche, l’avantage de la démarche présentée est d’avoir pu consulter des personnes utilisatrices d’opioïdes afin d’explorer leur lecture des services actuels en TUO et de documenter leurs pistes de solutions. Ainsi, l’apport de représentants de personnes utilisatrices d’opioïdes aux différents comités a permis de renforcer la cohérence et surtout la pertinence des propositions qui ont été élaborées.

La démarche décrite ici présente toutefois certaines limites. D’abord, celle-ci repose sur des revues narratives de la littérature plutôt que systématique. Bien que ce choix ait pu permettre de répondre aux objectifs de cette étude, cela a potentiellement limité l’exhaustivité des résultats repérés à l’issue de la recherche documentaire. Dans le même ordre d’idées, les propositions ainsi développées auraient pu bénéficier d’être encadrées par une démarche standardisée reconnue dans le domaine de la santé tel que la démarche Grading of Recommendations Assessment, Development and Evaluation (GRADE) (The GRADE Working Group, 2021) permettant de pondérer de façon systématique la force des preuves présentées. Enfin, à l’instar d’autres démarches participatives, la démarche s’est avérée chronophage et a nécessité des investissements financiers importants. En effet, la mise en place, des comités consultatifs et du groupe de travail a nécessité un travail significatif d’organisation et de concertation tout comme les nombreux déplacements afin de rencontrer les différents acteurs et d’assurer une représentativité des régions du Québec. 

Conclusion

La démarche de triangulation des résultats de recherche ayant mené à l’élaboration des dix propositions qui se retrouvent dans le Guide québécois d’amélioration des pratiques sur la prise en charge du trouble lié à l’utilisation des opioïdes (TUO) (Goyer et al., 2020) représente un exemple d’une démarche participative porteuse d’enseignements. La démarche employée a permis de prendre en considération l’expérience vécue par les cliniciens et les gestionnaires œuvrant dans le domaine du TUO, mais aussi, et surtout, celle des personnes utilisatrices des services. Ces constats ont permis de formuler des propositions reflétant les résultats de la recherche scientifique, la pratique clinique et le savoir expérientiel. Sans être exhaustives, les propositions qui découlent de ces projets constituent un point de départ vers l’amélioration des pratiques sur la prise en charge du TUO pour le Québec. 

En plus de l’apport aux connaissances québécoises sur le TUO, la démarche présentée s’est avérée être un moteur de changements positifs dans le domaine. En effet, de nombreuses occasions ont été saisies par l’équipe de recherche pour faire la diffusion des résultats des deux projets et ont permis des retombées concrètes. L’équipe de recherche a notamment pu contribuer à la révision du cadre réglementaire régissant la pratique du TAO qui a été effectuée dans la dernière année et qui permettra aux cliniciens d’adopter une pratique plus souple et flexible. De même, en continuité avec les travaux présentés ici, l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS) a été mandaté pour élaborer un guide d’usage optimal des agonistes opioïdes pour le TUO afin de soutenir les prescripteurs en première ligne à offrir le TAO. Ultimement, la démarche décrite ici a mené à la création de l’Équipe de soutien clinique et organisationnel en dépendance et itinérance par le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal (Équipe de soutien clinique et organisationnel en dépendance et itinérance, 2020). Cette équipe a notamment comme mandat d’offrir un soutien pour répondre aux questions d’ordre clinique et organisationnel en lien avec les services en dépendance et en itinérance pour l’ensemble du Québec. Cette équipe assurera également un soutien à la mise en place des propositions d’amélioration des pratiques décrites ici. 


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Note

[1] ^Les programmes à bas seuil d’exigence visent à réduire les barrières et des critères d’accès auxquels une personne doit faire face pour accéder aux services et en bénéficier dans le temps (Edland-Gryt et Skatvedt, 2013 ; Islam et al., 2013).

[2] ^Nous invitons le lecteur intéressé à consulter le document « Rapport combiné des recherches : “Vers de meilleures pratiques pour les personnes en situation de précarité et dépendantes aux opioïdes : optimiser l’accès et l’organisation des soins de santé et des services sociaux au Québec” et “La prise en charge médicale dans le cadre de la gestion du sevrage des troubles de l’usage d’opioïdes (TUO) dans les CRD au Québec : documenter les meilleures pratiques par l’élaboration d’un guide pratique afin de soutenir le déploiement et l’organisation » (Plessis-Bélair et al., 2020) pour la présentation détaillée de la méthodologie employée pour chacun des deux projets ainsi que les limites associées. 

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